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L'abbé Louis-Auguste LAURENT
Notice nécrologique par l'abbé KELLER
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Page 132

LES FUNÉRAILLES

   La mort de l'abbé Laurent fut une triste surprise pour tous, même pour ses amis. La plupart d'entre eux l'apprirent par la presse, à leur profonde stupéfaction et avec une émotion bien douloureuse. « Ce fut un effondrement», m'écrivait un prêtre, ami du défunt. »
Le mot est juste sous plus d'un rapport.
Le Lorrain du jour, après avoir donné des nouvelles de la santé de notre vénéré Evêque, nous annonçait brusquement le décès de celui qui fut le premier archiprêtre nommé définitivement par Sa Grandeur, peu de temps après son arrivée à Metz.
MORT DE M. L'ABBÉ LAURENT
ARCHIPRÊTRE DE GORZE

   Tous nos lecteurs partageront les sentiments de profond regret que nous avons éprouvés ce matin au Lorrain, en apprenant la mort, survenue cette nuit à deux heures et demie, d'un de nos meilleurs amis, M. l'abbé Laurent, curé-archiprêtre de Gorze. Rentré gai et dispos de Lourdes, d'où il nous avait encore adressé ses lettres pleines d'entrain, d'esprit et de piété, M. l'abbé Laurent se fatigua durant le processions des Rogations ; il s'alita samedi dernier et, dès le début, perdit ce courage et cette énergie dont il avait fait preuve l'an dernier, au cours de sa grave maladie.
Depuis trente-six heures il avait un fort délire ; hier soir, il parla courageusement de la mort à sa famille et à ses amis réunis autour de son lit et s'endormit, regardant la mort en face et confiant en Notre-Dame de Lourdes, en vaillant soldat du Christ et fidèle chevalier de Marie. Ses obsèques auront lieu mardi à dix heures trois quart.
Elles eurent lieu au milieu d'une affluence considérable d'étrangers. Ce fut un bonheur pour nous de rencontrer, dès avant les funérailles, un bon groupe de nos hommes de Lourdes. Du reste, dès l’annonce de la fatale nouvelle, M. le chanoine Collin, notre Directeur, lançait dans le Lorrain l'invitation suivante :

   « La Direction du Pèlerinage de Lourdes invite aux funérailles de M. l’ARCHIPRÊTRE LAURENT tous les Messieurs qui ont fait partie de l'un ou l'autre de « nos pèlerinages d'hommes ».

C'était un devoir de reconnaissance. Il fut compris et suivi fidèlement. Oserons-nous dire que c'est peut-être grâce à ce noyau d'hommes de Lourdes que, dès le premier instant, les funérailles de leur vénéré Prédicateur revêtirent un caractère inoubliable.
Car, quand le cortège funèbre se mit en marche, quand, dès le premier pas, M. l'abbé Winsback et M. l'abbé Moy récitèrent le chapelet, quand on entendit nos hommes prier « comme à Lourdes », ce fut un spectacle bien émotionnant et surtout édifiant. Aussi Monseigneur Pelt le reconnaîtra-t-il volontiers bientôt en nous parlant des « hommes de Lourdes qui viennent de nous édifier en récitant le chapelet à haute voix ». Du reste, tout le cortège fut à l'unisson.
Grâces à la pieuse pensée de Monsieur l'Archiprêtre de Hayange, le chapelet, repris par nos hommes de Lourdes en allant au cimetière, fut continué par toute la foule des assistants.
Ainsi le cher défunt qui ne voulait ni fleurs ni couronnes reçut, au milieu de ce cortège d'hommes en prières, la meilleure couronne que l'affection et la piété puissent déposer sur une tombe.
Ce spectacle inouï frappa surtout les étrangers. Quelques jours après, un prêtre ami, du diocèse voisin, me redonnait volontiers ses impressions touchant ces obsèques, en disant fort justement : « C'était grand, c'était digne, c'était pieux ».
Du reste, ces obsèques étaient relevées encore par la présence extrêmement nombreuse de prêtres. Près de soixante-dix ecclésiastiques remplissaient de nombreux bancs du sanctuaire, plus de trente se trouvaient au chœur.
Par une attention particulière, l'Evêché s'était chargé de régler les grandes lignes de la cérémonie religieuse.
Monseigneur Pelt, archidiacre de Metz, malgré la tournée de confirmation et le repos forcé de Monseigneur l'Evêque, s'était réservé l'éloge funèbre. A Monsieur Wagner, vicaire général, dès l'office canonial terminé à la cathédrale, s'était empressé de venir prendre une grande part aux funérailles de son ami. Ce fut M. le chanoine Ismert qui chanta la messe.
Citons encore nommément la présence de M. le chanoine Louis, au nom de l'Union Populaire ; de M. le chanoine Collin, au nom du Lorrain ; M. le chanoine Pierret, au nom de Woippy ; M. l'abbé Bénard, archiprêtre de Hayange, ami du défunt ; M. l'abbé L'huillier, archiprêtre de Dieuze, successeur à Woippy de M. l'abbé Laurent.
Donc un bon nombre de chanoines et d'archiprêtres entourés de tant de prêtres venus de tout le diocèse et d'ailleurs, malgré les fêtes de la Pentecôte, le Congrès de Saint -Avold et celui de Sarreguemines, étaient là, émus, attristés, respectueux de cette mort à laquelle on avait peine à croire, et priant pour l'âme de ce grand défunt.
Ce fut le vénéré directeur des pèlerinages qui eut l'honneur de faire diacre. M. l'abbé Weiter, aumônier au lycée, fit sous-diacre et tint à porter la croix jusqu'au cimetière si éloigné.
Des laïques influents, M. Guépratte, d' Ancy ; Messieurs Lasolgne, d'Ars ; M. Naut, de Gravelotte ; M. Jacquard, de Borny, entre autres, représentaient dignement le pays au milieu de centaines d'hommes de Lorraine.
Enfin, outre une assemblée digne et recueillie, la majesté de l'église de Gorze relevait singulièrement la grandeur des funérailles.
Des mains pieuses et dévouées, sous la direction de MM. les abbés Thirion, Sommer et Netzer, avaient orné le chœur et le catafalque avec un zèle plein de distinction.
Et quand la foule fut entrée - autant qu'elle le put -, quand de suite le recueillement se fit, quand le clergé en habit de chœur se fut rangé autour de la dépouille de celui qui fut le chef bien aimé des uns, l'inférieur respecté des autres, le grand ami de tous, quand les premières notes du chant grégorien s'élevèrent sous les voûtes séculaires du vieux sanctuaire bénédictin, la prière des assistants sembla s'arrêter un instant pour se demander si l'on n'assistait pas aux grandes funérailles d'un Bon Abbé d'autres temps.
Volontiers, nos regards se reportèrent vers ce catafalque si riche surmonté des insignes si simples de cet archiprêtre de marque. Et nous pensions que cet homme, à défaut des honneurs dont les gouvernements accablent parfois leurs fonctionnaires, s'était distingué de lui-même par de grandes qualités, d'immenses services et de nombreux mérites.
Un ami le dira quelques jours après dans la Croix de Lorraine en formulant brièvement mais justement ce que ses intimes savaient, ce que ses amis sentaient, ce que notre peuple redisait à Lourdes et en Lorraine. Du reste, ce sentiment commun, cette reconnaissance publique allaient recevoir une formule et une approbation sans réserve et pleine d'autorité.
Monseigneur Pelt, vicaire général, selon cette belle coutume réservée aux deuils du clergé, prononça l'oraison funèbre de M. l'abbé Laurent au milieu d'un recueillement plein d'émotions.
Je ne veux point louer cet éloge funèbre. Cependant, chers pèlerins de Lourdes, il m'est permis de vous dire que Monseigneur le Vicaire général, bien volontiers, a daigné le mettre à notre disposition pour le reproduire ici.
Voici donc ces paroles que nous pouvons regarder comme le jugement officiel de l'Évêché vis-à-vis de M. l'Archiprêtre de Gorze :

ALLOCUTION
PRONONCÉE AUX FUNÉRAILLES DE M. L'ABBÉ LAURENT
DANS L'ÉGLISE DE GORZE, LE 2 JUIN 1914

Beati mortui qui in Domino moriuntur....
opera enim illorum sequuntur illos.
Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur…
car leurs œuvres les suivent.
(Apocalypse)

MES FRÈRES,
   La mort de M. l'abbé Laurent, curé-archiprêtre de Gorze, est un deuil profond et général. Ceux qui le regrettent, ceux qui le pleurent, ce ne sont pas seulement ses paroissiens de Gorze, ses anciens paroissiens de Woippy et de Notre-Dame, ses élèves de la maîtrise Saint-Arnould ; ce sont les hommes de Lourdes, qui viennent de nous édifier en récitant le chapelet à haute voix dans le cortège funèbre, ce sont tous les prêtres du diocèse, dont il était une des figures les plus marquantes, ce sont tous ceux, et ils sont légion, qui ont entendu sa parole apostolique, si chaude, si entraînante ; c'est notre cher pays tout entier, dont il est un des enfants les plus illustres. Cette magnifique assistance, aussi nombreuse que distinguée, qui a voulu rendre les derniers devoirs au cher défunt, atteste d'ailleurs, mieux que toutes les paroles, la grande place qu'il occupait dans la considération publique.
Volontiers je dirais comme Daniel dans son élégie sur Saül et Jonathan : « Comment est-il tombé ce vaillant ? (II Reg. I 19), cet homme puissant en paroles et en œuvres, cet homme de caractère et de talent, ce pasteur si éclairé et si dévoué, cet orateur hors ligne qui, comme nul autre, savait enthousiasmer les foules ?
Pourquoi la Providence nous l'enlève-t-elle avant le temps, lorsque nous avons tant besoin d'ouvriers dans la vigne du Seigneur ? Mais pourquoi énumérer et relever les qualités du défunt ? N'est-ce pas aviver notre douleur et augmenter nos larmes ? J'aime mieux chercher quelques consolations dans les paroles des Saintes Ecritures comme celles que j'ai citées en commençant, afin d'élever nos pensées et nos sentiments au-dessus de la douleur qui nous accable, en considérant la couronne qui là-haut, au ciel, est réservée au vénéré défunt.
Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur. Oh ! comme le cher défunt réalise cette béatitude ! Après une vie toute consacrée à Dieu et à l'union avec Dieu par l'accomplissement fidèle des fonctions saintes du sacerdoce, il est véritablement mort dans le Seigneur, lui qui, voyant les approches de la mort, demanda à recevoir les sacrements et à s'unir dans une suprême communion au Seigneur Jésus. Il savait que pour quitter ce monde et entrer dans l'éternité, il n'y a pas pour l'âme d'appui plus solide et de viatique plus excellent que le Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Quand il prêchait aux hommes surtout, la nécessité de communier souvent, ce n'étaient pas de vaines paroles, mais l'expression de sa conviction la plus intime et la plus profonde. C'est là, mes Frères, une leçon pour nous que nul de ceux qui sont ici n’oubliera jamais. Communions souvent, communions quand nous sommes à la porte de l'éternité, afin que nous aussi, comme le vénéré défunt, nous vivions et mourions dans le Seigneur.
Le texte sacré poursuit : « leurs œuvres les suivent » ; les bonnes œuvres nous suivent dans l'éternité, parce que c'est là qu'elles reçoivent leur récompense. La vie de M. Laurent a été remplie de ces œuvres durables, qui persévèrent au-delà de la tombe. Il n'a cherché ni les trésors de cette terre, dont Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit que les voleurs les dérobent et que la rouille et les vers les rongent, ni les satisfactions de l'ambition, la gloire et les honneurs de ce monde. Mais il a travaillé constamment pour Dieu, qui fait aujourd'hui sa couronne et son bonheur.
Parmi ces œuvres, je vois tout d'abord cette église vénérable qu'il s’est appliqué avec tant de sollicitude à faire restaurer et à laquelle il a réussi à rendre son antique splendeur et sa beauté première. Il était fier à juste titre de cette restauration. Et l'histoire de Gorze, en rapportant que cette antique basilique a été bâtie par les moines bénédictins du moyen âge, ajoutera que c'est M. l'abbé Laurent qui l'a si heureusement restaurée au XXe siècle.
Tout près d'ici, il y a encore cette maison d'œuvres, ce cercle de jeunes gens que M. Laurent a créés. Il aimait la jeunesse, il lui consacrait la meilleure partie de son cœur et de son dévouement, car il savait que la jeunesse est l'avenir et qu'il n'y a rien à craindre pour la cause de Dieu dans notre pays si la jeunesse est profondément chrétienne. A côté de ces œuvres extérieures, il en est de plus cachées, mais d'autant plus grandes aux yeux de Dieu. C'est le bien qu'il a fait aux âmes, c'est la lumière qu'il a répandue dans les esprits, ce sont les convictions qu'il a affermies dans les cœurs. M. Laurent a été un apôtre, qui ne s'est pas contenté de travailler au salut des âmes dont il avait directement la charge comme curé. Sa parole puissante a retenti non seulement dans cette église, mais dans nos grands congrès de Metz, dans les pèlerinages de Lourdes, dans les assemblées populaires, grandes et petites, jusque dans les plus humbles de nos villages. Et partout sa parole chaude, vibrante, ardente produisait des fruits merveilleux : car elle était l'expression la plus vivante de sa foi, de son amour pour Dieu et pour les hommes, en même temps que de ce bons sens lorrain dont il était si richement doté. Si, parmi ceux qui m'écoutent en ce moment, il y a des hommes qui ont moins de respect humain, qui communient plus souvent, c'est à M. l'abbé Laurent qu'ils le doivent.
Enfin, il y a des œuvres plus secrètes encore : les prières du prêtre, ses souffrances, ses sacrifices, dont Dieu est le plus souvent le seul témoin. M. l'abbé Laurent a connu ces peines intimes, ces angoisses que cause aux prêtres la responsabilité qu'il a des âmes qui lui sont confiées et leur résistance parfois si opiniâtre aux conseils les plus paternels comme aux exhortations les plus pressantes. Le monde ne le soupçonne pas ; mais Dieu les récompense aujourd'hui. Je pourrais m'étendre encore sur l'activité du regretté défunt. Mais il nous faut prendre congé de ce chef, de ce père, de cet ami vénéré et aimé. Il va rejoindre dans la tombe son vénérable prédécesseur, M. l'abbé Chaussier, et tant d'autres prêtres qui ont fait le bien dans cette paroisse ; il va rejoindre ces pieux religieux, ces saints abbés qui dans les siècles passés ont illustré cette terre de Gorze, tout particulièrement ce « bon abbé Henri », inhumé dans cette élise et dont il avait eu soin de faire reconnaître les restes l'été dernier en présence de Monseigneur l’Evêque. Mais il continuera à vivre dans nos esprits et dans nos cœurs. Avec plus de raison que le poète païen, il pourrait dire et je le dis en son nom : « Je laisse un monument plus durable que l’airain ». Ce monument, c'est le bien incomparable qu'il a accompli ici-bas, c'est le souvenir, l’affection, la reconnaissance, l'admiration que nous lui garderons toujours, ainsi que les générations futures à Gorze et dans notre cher pays.
Puissions-nous, mes frères, suivre et imiter l'exemple que nous laisse le vénéré défunt ! Puissions-nous, comme lui, nous présenter devant le tribunal de Dieu, les mains remplies de bonnes œuvres que nous aurons accomplies chacun suivant sa vocation, pour Dieu et pour l'éternité, afin que pour nous aussi se réalise la parole du Saint-Esprit : « Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur.... car leurs œuvres les suivent ». Ainsi soit-il.
   Après ces paroles de simplicité et de grandeur, l’Eglise acheva ses prières.
Vénéré défunt, si c'est possible, regardez une dernière fois cet autel où tant de fois vous aviez offert le saint sacrifice et que vous quittiez pour distribuer si volontiers de nombreuses communions ! Regardez cette couronne de dignitaires ecclésiastiques dont le plus autorisé vient de vous saluer des titres de chef, de père, d'ami, de prêtre éminent, d'illustre enfant de notre cher pays.
Regardez encore autour de vous les prêtres de votre canton profondément convaincus de la grande perte qu'ils font ! Et si vous pouviez vous retourner dans votre cercueil si simple, il vous agréerait de mesurer de votre regard cet immense auditoire qui semble écouter encore les derniers échos d'une voix si connue. La Lorraine est là qui vous offre son souvenir pendant que l'Eglise vous entoure de ses prières.

Grâce aux mesures d'ordre prises avec un tact discret par Messieurs les Fabriciens, grâce au recueillement de tous, grâce enfin à la récitation du chapelet dont les pieux accents montaient déjà, la conduite au cimetière si éloigné et si pénible fut digne de toute la cérémonie.
L'abbé Laurent repose en haut du cimetière, à la place des chefs. On a vu sa tombe. Ni fleurs ni couronnes ne l’ornaient, ni caveau ni autre apparat de luxe n'attendaient sa dépouille funèbre. Plusieurs - et ils furent nombreux - jugeaient que le grand restaurateur de ce classique sanctuaire de Gorze méritait une place à l'abri de ces murs et de ces voûtes séculaires. Il fallait pour cela obtenir immédiatement l'autorisation du gouvernement. On avait des raisons de la solliciter. Mais on préféra s'abstenir. Monseigneur le vicaire général a témoigné hautement que celui dont il a fait l'éloge n'a jamais ambitionné ni la gloire ni les honneurs. Cela nous suffit amplement. Ajoutons, du reste : M. l'abbé Laurent montrait la place qu'au cimetière de Woippy il aurait occupé si volontiers tout près du saint abbé Gautiez. A Gorze, depuis sa grave maladie, il me disait : « Face au devoir, vivre au milieu de mes Gorziens, reposer au milieu de leurs défunts ».
Il repose donc là où nous l'avons quitté, en lui promettant nos prières et notre souvenir. Du haut de ce vaste cimetière abrité par ces grands bois de Gorze que les moines longeaient pour se rendre vers leurs abbayes de France, l'abbé Laurent domine toute la lorraine, depuis les côtes de la Meuse jusqu'aux dernières hauteurs surplombant la Moselle de leurs crêtes fortifiées.
Qu'il repose en paix ici-bas !
Que son bonheur soit complet là-haut.
Beati mortui… Oui, bienheureux ceux qui, comme lui, meurent dans le Seigneur.
Ses œuvres le suivent là-Haut où elles ont fait poids devant l'Eternel.
Ses œuvres restent ici-bas pour nous instruire et nous encourager.

   Beaucoup de nos hommes de Lourdes et d'autres seraient venus volontiers aux obsèques de M. l’Archiprêtre de Gorze. Ils y étaient de cœur. S'ils n'avaient pas sous les yeux ces funérailles grandes et dignes, ils lisaient avec joie et fierté cette nécrologie que M. le chanoine Collin publiait en tête du Lorrain, encadrée de deuil. Cette nécrologie a sa place dans notre relation. Monsieur le chanoine Collin, qui a accompagné nos hommes de Lourdes en 1906 et en 1908, nous a retracé ces deux premiers pèlerinages d'hommes dans deux relations que nos hommes ont lu avec tant de joie et tant de fruit ! Aussi, chers pèlerins, éprouverez-vous une satisfaction et une consolation d'entendre ou de lire les deux articles suivants, dont le premier surtout est une forte synthèse et un grand portrait de notre défunt, placés dans le cadre d'une page de l'histoire si mouvementée et parfois si poignante de notre cher pays.
NÉCROLOGIE
M. L’ABBÉ LAURENT, CURÉ-ARCHIPRÊTRE DE GORZE

   C'est une perte bien sensible que font la cité de Gorze et le diocèse tout entier en la personne de M. l'abbé Louis Laurent, curé-archiprêtre de Gorze, décédé très pieusement en son presbytère, dans la nuit de vendredi à samedi, à l’âge de 59 ans, après huit jours d'une maladie contractée la semaine précédente au cours d'une procession des Rogations. C'était plutôt une reprise du mal terrible qui l’avait terrassé l'année dernière, qui l’avait déjà mis aux portes de la mort, et dont il ne s'était point relevé, malgré les apparences.
Il meurt donc comme un soldat, d'une blessure reçue sur le champ de bataille, il tombe les armes à la main, et fût-il un guerrier vulgaire, nous lui devrions le salut d'honneur ; or, non seulement il comptait parmi les chefs les plus écoutés, mais il a été un ardent, un apôtre, un entraîneur, et il n'est peut-être pas une contrée de notre Lorraine française où son éloquente et populaire parole n'ait retenti, ou tout au moins qui n'ait fourni un contingent édifié et enthousiasmé à ses auditoires des assemblées sociales et des grands pèlerinages.
Elève du Séminaire de Metz et de Saint-Sulpice, sa vie s'est partagée entre le vicariat de Notre-Dame, la direction de la Maîtrise Saint-Arnould, la paroisse de Woippy et la cure de Gorze : ces diverses situations ont été comme les points d'attache successifs pour les missions différentes devant lesquelles ne reculait jamais son zèle et que sa brillante santé lui faisait accomplir avec trop peu de ménagements pour lui-même ; cette imprudence a été la belle faute de sa vie, mais il était au premier rang de ceux qui, pour les œuvres, pour le pays ou pour l’Eglise, ne comptent jamais avec eux-mêmes : ils suivent simplement la générosité de leur nature ; ils savent que Dieu leur rendra au centuple, et, le plus naturellement du monde, ils vont toujours de l’avant dans ce qu'ils considèrent comme un devoir, et ne sont un peu satisfaits que quand ils ont dépassé la mesure : tel a été le bon et admirable abbé Laurent, que nous pleurons aujourd'hui.
Comme vicaire de Notre-Dame, il a inauguré son rôle d'apostolat en soutenant ardemment, j'allais presque dire en créant, malgré moi, la candidature de notre cher et inoubliable abbé Jacques : il avait déjà, dans l'esprit et au cœur, la prévision du ministère social que le prêtre allait être appelé plus directement par les Papes à remplir auprès des foules, et il a eu sa bonne part dans l'entrée en scène du clergé lorrain, par la parole et par la presse, sur le terrain politique et économique : si nous avons remporté certaines victoires sur le respect humain, si nos prêtres ont joué un rôle si honorable au Parlement et ailleurs dans la transition que traverse notre pays, on lui en doit assez pour qu'au nom de tous, j'essaie de lui payer ici un peu de notre reconnaissance.
Doué pour la conduite des hommes, il a commencé par les enfants et les jeunes gens comme directeur du collège Saint-Arnould ; mais c'était une époque très difficile : n’ayant pas les grades universitaires allemands, il n'y demeura que quelques années, assez cependant pour y conquérir des sympathies fidèles et y laisser des regrets bien amers dans nombre de familles.
Devenu curé de Woippy et s'exerçant avec un succès rare à sa fonction de bon pasteur, il commença de se pencher avec amour sur les travailleurs : s'attaquant à leur routine et bravant notre inertie lorraine, il réussit à susciter autour de lui des initiatives intelligentes et a remuer en même temps le terrain social et le sillon religieux de sa paroisse.
Mais Gorze l'attendait, Gorze avec l'œuvre de l'Union populaire. Il a mis autant de souci à refaire la belle et antique église de sa paroisse qu'il mettait de zèle au soin de ses enfants, de sa jeunesse, de tous ses paroissiens, car il était curé dans l’âme, en tout et pour tous : le filial et très sincère chagrin des habitants de Gorze prouve jusqu'à quel point ils le regardaient vraiment comme leur ami et comme leur père.
Gorze, néanmoins, était pour lui un champ de manœuvres un peu limité : il ressemblait aux officiers que la vie de caserne ne satisfait qu'à moitié et que la bataille appelle, où qu'elle puisse se livrer. Aussi marchait-il au canon. Tantôt c'était pour chanter les gloires des soldats morts pour la patrie, et tous ses auditeurs savent avec quel cœur et avec quelle correction il avait coutume de le faire ; tantôt c'était pour dire dans les grands pèlerinages la dévotion du peuple lorrain à Marie ; d'autres fois, et c'est peut-être là qu'il excellait le plus, puisqu'on l'a appelé non sans raison un tribun catholique, pour entraîner les hommes de l'Union populaire, dans le mouvement social de protection économique et de défense religieuse qui est si utile en ce moment à notre Lorraine.
La mort d'un tel homme n'est donc pas un deuil seulement pour sa paroisse, mais pour toutes nos contrées de langue française et pour tout le diocèse : par sa bonté, par son talent, par sa mesure, il avait sur bien des gens un ascendant réel, sur bien des choses une influence discrète, et cela se faisait toujours dans le respect le plus délicat de la hiérarchie, dans une indépendance qui savait marcher de pair avec la discipline, avec une simplicité qui excluait toute recherche et toute personnalité, avec une rondeur si lorraine et si courtoise qu'elle attirait de suite la sympathie.
Il meurt quinze jours après le pèlerinage de Lourdes où il avait fait l'édification et la joie de nos hommes qui, un peu pour lui, n'oublieront pas sa « Communion des Quatre Saisons » ; il meurt huit jours après une enquête étrange faite par le gouvernement sur sa présence aux funérailles de l'abbé Faller à Mars-la-Tour, comme s'il avait fallu une nouvelle amertume pour endolorir et sanctifier ses derniers jours, car il l'a vivement sentie... il meurt en pleine possession de ses facultés, acceptant la mort avec la soumission joyeuse d'un prêtre plein de foi et donnant ainsi à ses paroissiens et à ses confrères un nouvel et précieux exemple. C'est à lui que je dois d'être encore au Lorrain pour lui adresser ce dernier adieu : c'est à son intervention et à ses supplications ardentes que j'ai consenti, il y a sept ans, à demeurer à ce poste de combat, et si j'évoque aujourd'hui ce souvenir personnel un peu amer, qu'on me le pardonne, c'est pour me réjouir de pouvoir officiellement et bien fraternellement le remercier et le féliciter, pour le Lorrain et pour le pays, de ce qu'il a été durant ses trente-cinq ans de ministère, un vrai prêtre, un vrai Lorrain et un grand cœur.
H. C.
Dès le lendemain, M. l'abbé Collin publiait lui-même la relation des funérailles de cet ami de Lourdes et... de Metz.  
LES FUNÉRAILLES DE M. L'ABBÉ LAURENT

Quelle imposante et magnifique manifestation ! Quel concours de clergé et de peuple !
Paroissiens de Woippy, paroissiens de Gorze, amis de Metz et d'ailleurs, Hommes de Lourdes, quel cortège vous avez fait à notre cher abbé Laurent et comme vous lui avez donné la récompense humaine de son inlassable dévouement !
Mgr Pelt, vicaire général, qui a présidé toute la cérémonie et qui a dit brièvement et si parfaitement l'éloge funèbre du défunt, a eu bien raison d'affirmer que la mort de l'Archiprêtre de Gorze est un deuil universel : l'émotion de tout le pays et la cérémonie d'hier le prouvent abondamment.
Le cortège s'ouvrait par les enfants des écoles, où l'on distinguait surtout les premiers communiants de la veille, et le clergé du canton en surplis ; puis venaient le char funèbre suivi de la belle et nombreuse famille du défunt, le clergé issu de la vieille cité de Gorze, une centaine de prêtres du diocèse et quelques-uns de France à la suite de Mgr Pelt et de M. le chanoine Wagner, vicaires généraux, et dix ou douze chanoines et archiprêtres, le Conseil municipal, le Conseil de fabrique, un beau peloton d'Hommes de Lourdes, beaucoup d'étrangers et toute la population.
La levée du corps a été faite par Mgr Pelt et la messe chantée par M. le chanoine Ismert. L'éloge funèbre a relevé surtout le zèle de M. l'abbé Laurent pour les Œuvres de jeunesse, le soin extrême qu'il a pris de restaurer si magnifiquement son antique église, son affection toujours si préoccupée pour ses paroissiens, son apostolat pour les œuvres sociales et pour le culte de l'Eucharistie, son éloquence entraînante et si populaire : en moins d'un quart d'heure tout cela nous a été dit en un beau langage et avec une émotion qui a pénétré l'assistance.
Et puis les hommes de Gorze ont enlevé le cercueil, qu'ombrageaient les tentures et qu'illuminaient mille feux, pour le porter au cimetière plus près des champs de bataille sur lesquels plus d'une fois le cher défunt avait versé de si chaudes paroles et de si bonnes prières pour les morts.
Qu'il repose là en paix sous la garde pieuse de ses chers paroissiens de Gorze ! Ils remplaceront auprès de sa tombe tous les Lorrains fidèles qui gardent si affectueusement le souvenir de ceux qui se sont montrés, eux, plus complètement fils de la terre et fils de l’Eglise. C'est ce qu'a été plus que d'autres M. l'abbé Laurent avec sa nature abondante et son grand cœur. Il a été sans doute hier déjà bien récompensé par la prière de ces 800 hommes qui l’ont conduit au cimetière en récitant le chapelet ; mais quel accueil lui aura fait là-haut la Vierge de Lourdes qu'il a tant prêchée et devant laquelle il faisait encore pleurer il y a trois semaines nos 350 pèlerins.
Je veux terminer par ce souvenir de notre dernier pèlerinage d'hommes et espérer, pour la récompense du cher défunt, qu'un peuple qui sait communier pareillement à la pensée et à la direction de ses chefs, a encore bien des réserves de foi et de sécurité pour l'avenir.   H. C.

   Retenez cette dernière leçon, chers pèlerins. C'est une constatation de ce genre que Mgr Pelt faisait déjà si justement dans son oraison funèbre : « Si parmi ceux qui m'écoutent en ce moment il y a des hommes qui ont moins de respect humain et qui communient plus souvent, c'est à M. l'abbé Laurent qu'ils le doivent ».
Remarque pleine d'à-propos dont maintes fois nous avons reconnu la vérité à Lourdes et en Lorraine.
Enfin la Croix de Lorraine, dont les reproductions si inédites offrent tant d'intérêt aux lecteurs avisés, publiait le samedi suivant, en première page, le portrait du défunt. Nous en avons parlé. Mais nous n'aurions garde d'omettre la reproduction du texte complet encadrant le portrait.
Là, M. l'abbé Collin se plaisait à ébaucher à grands traits un tableau de la vie de M. l'abbé Laurent.

MONSIEUR L'ABBÉ LOUIS LAURENT

   Vicaire à Notre-Dame de Metz, directeur de la Maîtrise Saint-Arnould, curé de Woippy et archiprêtre de Gorze, M. l'abbé Laurent a été comme prêtre un initiateur, comme curé un vrai pasteur, comme Lorrain un fils de la terre, un chevalier de la Vierge et un tenant fidèle du culte du passé et de la religion du souvenir.
Si j'avais à écrire sa monographie, ce seraient là mes titres de chapitre ; on pourrait avec cela faire une photographie réussie d'un homme qui a fait beaucoup de bien et qui laisse d'unanimes regrets dans sa paroisse et dans tout le pays.
Celui qui aurait le loisir de tenter la chose, ferait une bonne œuvre. H. C.

   Naturellement, le Lorrain ne fut pas le seul journal à parler de M. l'abbé Laurent. Nous dirons dans la partie allemande de cette relation l'article que publiait la Volkstimme au sujet de ses funérailles. D'autres journaux allemands encore donnèrent leurs appréciations.
La Metzer Zeitung du mercredi 3 juin fait sien un article qu'elle emprunte à la Strassburger N.-Zeitung.
Protestons d'abord contre les inexactitudes plus ou moins convenables vis-à-vis d'autres personnes que le défunt, contenues en cet article. Puis remarquons que la presse adverse reconnaît en cet « archiprêtre » un homme éminent, à l'allure martiale.
Et citons textuellement la dernière pensée :
M. l'abbé Collin aurait dû être plus précis dans la finale de sa nécrologie si bien pesée et sentie sur le rôle de son ami. Peut être le sera-t-il dans une biographie un peu plus étendue, que M. l'archiprêtre Laurent mériterait certainement.

   La presse étrangère ajouta son mot. On nous dit que l'abbé Coubé, à Paris, le pleura publiquement.
Reproduisons aussi l'article nécrologique publié par M. René Gaël dans la Croix de Lourdes :

UN DEUIL

   Nous avons appris la semaine dernière, trop tard pour le signaler à nos lecteurs, la mort de M. l'abbé Laurent, curé-archiprêtre de Gorze (Lorraine annexée).
Ce prêtre éminent, tombé en pleine vigueur de l’âge, était un des admirables entraîneurs des pèlerinages messins et partageait avec MM. Collin et Winsback, la lourde et glorieuse tâche d'amener chaque année les fidèles de Lorraine aux pieds de notre Vierge française. Lors du dernier pèlerinage, nous l'avions retrouvé, gai, alerte, plein d'enthousiasme et d'une vigueur qui semblait promettre de longues années d'apostolat. Il avait écrit, pour la Croix de Lourdes, un compte-rendu vivant et pittoresque des belles manifestations de ces vaillants catholiques qui l'avaient surnommé - tant il savait les électriser par ses paroles et son exemple - le Caporal clairon. Il est tombé au lendemain d'un nouveau triomphe, les yeux encore pleins de la chère vision de la Grotte, le cœur toujours frissonnant d'une ardeur nouvelle puisée à la source des dévouements et des courages infatigables.
Nous saluons, avec respect, ce soldat frappé en pleine lutte et en plein triomphe.
Ses claironnées continueront à retentir au-delà de la mort, car son souvenir restera de ceux qui animent les énergies et réveillent encore l'ardeur des vivants qui n'oublient pas.
Daigne Notre-Dame de Lourdes qu'il a tant aimée, lui obtenir bientôt la récompense qu'elle réserve à ceux qui ont étendu son règne et semé dans les cœurs son amour.     R. G.
   Enfin, nous ne voulons pas omettre un article publié par le Patriote Lorrain. C'est une hymne à la terre de Lorraine à l'occasion du décès de son illustre enfant.
Pour bien le comprendre, il faut se dire que c'est comme une causerie funèbre que fait un vieux paysan devant la tombe à peine fermée de M. l'abbé Laurent.
Evidemment, cet article s'adressait « à nos gens et à ceux d'entre nous qui savent comment notre peuple pense à la campagne ».
Des images magnifiques, des pensées très profondes, relèvent le réalisme du sujet.
Voici cet article :

PO L'ABBÉ LAURENT

   Mes poures braves gens don Patriote,
Lè semainne pessâye, j'évans pedu ïnc des mioux émïns d' not' piot Patriote, y boin kèmèrade don Chan et d' vos aut'es tortus, roborous, végnerons, ovris d' lè terre et d'é ioute. L'abbé Laurent, lo prêt'e de Goûhhe, n'é quittés, l'ot r'toné dans lè terre qu' l'ainmeut s'tant, dans sè vieille bonne terre de Lourraine.
   Mâdi, quand j' l'évans p'té' è l'âtréye, j' m'â errèté devo lè baoue qu'en venïnt d' fare ; ç'oteut d' lè terre posse, d' lè grousse terre, âc de solide, enlè, âc que tient ensonne, âc qu'é d' lè sive ; d' lè terre comme lè çu d' no champs, comme lè çu qu' je r'treuvans quand j' provegnans no vègnes ; d' lè terre qu'ot molâhiéye è roborer, mâ que beille cent po yïnc, qu'ot généreuse, donote ; que n' ménège-mé quand elle rend, qu'ot tojos jone ; d' lè terre qu'en z'en vourïnt quôsi mainger, télement qu'elle ressonne au paîn que j' féyans évo l' bié qu'elle no beille.
   Quand j' l'â vu d'hend'e dans l' troû, j'y â dit, enlè, d' per mé : « Dehhendeuz dans lè terre, mo poure abbé Laurent, v'y sereuz moult beun, olleuz. V'otïns y fé d' roborou comme nos aut'es ; lè terre, por no, ç'ot comme lè mer po les poures Bretons : j' n'otans contents que quand j'otans tendus dedans, de not' longe, tranquilles, comme po dreumïn dans not' lit. J' vo dis qu' v'oteuz ogrous, vo qu' v'oteuz hhix pieds d'zo terre ; pus ogrous qu' nos, que j' restans d'sus lè terre, po lutter por léye, po lè d'fende cont' les çus que n' l'ainment-mé.
   Vo, maugré que v' meureux co jone, v' l'éveuz bien d'fendu, not' vieille terre de Lourraine, lè bonne terre que les viés ont d' friché ; que nos grand'péres s'ont fat saingner po lè woéder. Ah, v’es ainmïns beun, Monsieu Laurent, les grands grenadiers, le piots chasseurs, les grous curassiers, les édreuts artilleurs, qu'ont vudié lè darienne gotte de sang d'zous woainnes po d'fende lè terre des anciens.
   V'en éveuz dit des priéres por zous, pè-lè, en haut d' Goùhhe, au bout des champs d' béteille, quand v'ollïns dire vot' bréviaire, co vot' chèpelot por zous. Eune foès, v' m'éveuz dit que v' pâlïns évo zous, que zous âmes rézïnt terre comme des hirondelles èlentor de vo ; pis, qu'éprès vot' prière, v' les voèyïns monter comme des olouottes tot haut, tot haut, po r'joind'e lo Boin Dieu et ses saints en pèrédis.
   V'éveuz pâlé d' zous comme pa yïnc, dans les grands môtis d' Pèris, dans nos piots béhh' môtis de Lourraine ; dans les àtreyes è ioùs' qu'y dreument tranquilles ; dans nos champs, è ioùs' qu'y en é des moncés ensonne. Vot' voèx, ah ! j'men soviens, comme elle so féyeut piote, qu'en z'érïnt dit eune poure âme que d'mande des priéres; pis, comme elle so féyeut grousse, pus fourt que l' tonneurre, po n' rèconter les bèteilles de lè guérre et m' nècier les jones gens si n' restïnt-m' dignes de zous péres, fidèles Lourrains, boins chrétiens... mas point d' lâches.
   Oïl, è c' t'houre, v'oteuz évo zous, évo vos piots soldats, mes anciens kèmérades ! J' sus hhûr qu'en errivant pê-lè-haut, y en éveut pus d'y régiment po vo r'ceur, des çus qu' vos bonnes prières et vos preûches évïnt fât soûrti de d'zo terre po oller au ciel. Y v’ont reçu ; y v’ont p'té en triomphe ! Y s' sont j'tés è vot' cou, po v' dire merci. Et si l' grand saint Pierre évent v'lu face des histoéres po v' lehhier rentrer, y m' sonne que d'y coup d'épaules, ensonne, l'érïnt fât sauter l'euhh' don Pèrèdis !
   Oïl, vol c' que j'y d'heus, enlè, d’per mé, en rouâtiant sè baoue, dans l’âtreye de Goûhhe, è ioù ç' qu'en z'ollïnt d'hende so cerkieu. Auj'd'hu, l'y ot, d' zo terre. L'en é d'zo li, d'sus li, è dreute, è gauche, pertot ; l'ot moult beun', olleuz ! J'oteus content de l' veur sans caveau. Les caveaux, c'ot boin p'les çus qu'ont paoue de s'fare woéttes. Nos aut'es, roborous et végnerons, j' n'évans-m' paoue de lè terre, qu'elle no féyesse woéttes ; j' u'évans-m' paoue des véhhes, no ; lo Boin Dieu séré beun no r'treuver po l' darien jugement.
   Est-c' que j' n'ouyïams-m' tos les ans que j'otaus d' lè terre, et que je r'tonerans dans lè terre ? J'otans comme not' semence de bié : J' sèvans beun qu'y faut pûri d'zo terre po qu' lè terre seut tojos pus terre, tojo pus d' nos aut'es, tojos pus lourrainne, tojos pus piainde de nos oss et not' sang, tojos pus d' cheuz no.
   J' prierans por vo, l'abbé Laurent ; j' sèvans trop beun qu'y faut tojos prier p' les çus qu' sont en voïye. Mas, j'otans hhûrs qu' v' priereuz co pus por no, vo ! V’éveuz l’temps è c' t' houre : De d' pê-lè-haut, ve no rouâtieuz, nosaut'es, surtout, les Hommes de Lourdes et d' l'Union populaire ! Ve n' fèyeuz signe de hhûre tojos lè trèce que v'éveuz fât l' premïn, de marcher dans l' sentier que v' n'éveuz trécé. Ah, je v' promots que nos hommes ne v' roublieront-m' de s' toût. J'y répellerâ, mé, c' que v'éveuz étu boin por zous.
   Combeun de foès que v' m'éveuz dit : Herdi Chan, marche carrément : En èvant ! En èvant !! Combeun de foès que v’ m'éveuz r'mïns quand j'oteus y pou d'biscàyé, enlè ; v'évïns tojos eune bonne pèrole po r'motte le gens ; et quand vot' lâhhe main d' roborou empogneut mé lâhhe main d' roborou, bon sang ! ç'oteut comme de l'électricité que pesseut, que m' ramineut et que m' béyeut don corège. Quand vot' bonne voèx mo deheut : C’ot p'lè Lourraine, po not' vieille terre, ç'ot p' not' religion - ç'oteut comme y coup d' clairon que m' renvoïlleut et que m' féyeut chaud l' cœur. Oïl, j' v'on redis co eune foès, je n' sovienrans d' vo, d' vos r'commandations, pê-lè, devo lè Grotte de Lourdes ; tocé, è Mess', quand v’ n'enlevïns dans nos grandes réunions d' l'Union populaire catholique et lourrainne - comme vos, comme nos !
   Et maintenant, je v' quitte, je v' quittans. Les gens don Patriote et mé, surtout, lo Père Chan, je n' roublierans jèmas c' que v' otïns por no. En m'ont dit que d'vant que d'meuri, dans vot' fieuffe, ve pâlïns patoès, v' expliquïnt comment que lè terre beilleut l' bié, les grondbires, les piantes, tortot c' que fat not' nourriture et comment que, d' l'esfâte, je sourtïns tortus d' lè terre, de not' bonne vieille terre, de cheuz vo co d'è iout'e ; en m'ont dit que v' v’éveuz sovenïn don Chan et don Patriote pus d'eune foès, dans vos molèdéyes : Eh ' ben, nos-aut'es, je v’ dehans : A r'voér. Dreumeuz ; curé Laurent, dreumeuz é côtiére des vies moainnes de Goûhhe ; dreumeuz é côtiére de vo piots soldats, é côtiére de vot' émïn l’abbé Faller de Mà-lè-To ; dreumeuz surtout dans not' sainte terre de Lourrainne. Lè terre v'éveut béillé au pays, lè terre vo r'prend. J' n'otansm' joloux d' léye, pè c’ que j' l’ainmans beun, et en n' sont jèmas ,joloux des çus qu'en z'ainme beun.
   Je n' serans-m' longtemps po oller vo r'joindre, olleuz : Dihh, vingt, trente ans, qu'est-ce que ç'ot de celé, surtout p' lè terre, léye, que deure tojos, que vèque tojos, qu'é l' temps d'ettend'e, que seré tojos tolè po r'ceur ses ofants, sê vieille rèce de Lourrains, de végnerons et d' roborous.
   Dreumeuz tranquillement ! V’ éveuz fat vot' jonâye, v’ ovrïns l' dote des aut'es, pèc' que v' n'ovrïns-m' por vo, mas uniqu'ment po l' Pays, po c' que l' Pays é de mioux, sè r'ligion et sè terre. Lo Boin Dieu et lè Sainte-Vierge v' compteront vos jonâyes dobes, y v’ payeront comme lo roborou péye y boin grand valot, sans rouâtier, sans compter : V' éveuz bien cultivé vot' champ; vot' cherraoue enfoncieut perfond en terre po r'toner tortot ; les roïlles de vos champs, en les veurront co longtemps.
   Pis, v'éveuz henné pos comme en n'henneront pus ; ve n'-menègïnt-m' lè semence, v' lè lancyïnt è grousses pogneyes, lè bonne s'mence de vot' pérole et d'vot' cœur ; v'éveuz henné sans compter, sans carculer, comme y roborou qu'vient r'colter.
   Eh ! ben, curé Laurent, r'colteuz auj'd'hu c' que v’éveuz henné. Cheu no tortus, dans les cœurs de vos paoins et végnerons d' Lourrainne, lè bonne s'mence é levé, elle leveré co ; mas, pê-lè-haut, dans l' guernïn don Boin Dieu, v’éveuz d'jè treuvé en errivant y grous teuhhé d' gerbes de bê bié qu' les Anges évïnt r'colté por vos ; en errivant, v'en évïns co eune grousse bressiéye, pien vos brès, que v'évïns r'colté dans les cœurs de vos treus cent cinquante hommes de Lourdes. Lè mohhon n'ot-m' co réchevâye, vot' bonne terre de Lourrainne n'é-m' co beillé tortot c' que v’évïns henné.
   L'ot bonne, olleuz, lè terre de cheu no !    CHAN.

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