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L'abbé Louis-Auguste LAURENT
Notice nécrologique par l'abbé KELLER
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Page 116

LE CHEVALIER DE MARIE

   L'abbé Laurent aimait profondément la sainte Vierge. Il en parlait volontiers dans son ministère. Plus encore, il fut un apôtre de Marie en Lorraine et à Lourdes.
Longtemps avant qu'il ne fût le célèbre « Caporal-clairon » si connu de nos hommes de Lourdes et de Lorraine, il célébrait Marie, non seulement en son particulier, mais en chaire et hors de chaire, à l'église et en de nombreux pèlerinages lorrains en l'honneur de Marie.
La vieille Grotte de Woippy, la Salette à Plappeville et à Failly, Notre-Dame de Lourdes à Semécourt, et à Longeville, sont autant d'occasions pour lui de parler, si volontiers et si bien, de Marie et de la Lorraine fidèle à Marie.
Plus tard, ce sera l’inauguration de la Vierge à Hayange où il clôturait magnifiquement une grande journée.
Ce sera la Vierge du Mont à Gorze, où il prêche lui-même ou se contente de ses « deux mots seulement pour... ». Ce sera d'autres pèlerinages, puis des sermons de Première Communion et d'Adoration, où toujours il se révèle non seulement un dévot, mais un apôtre de Marie.

   Comme l'abbé Laurent aimait Marie, d'instinct il aima Lourdes. Aussi c'est à Lourdes qu'il eut tant et de si grandes occasions de mettre en pratique son zèle envers la Mère de Dieu. C'est là surtout qu'il fut si bien le « Chevalier de Marie ».
Issu d'une famille de cultivateurs, l'abbé Laurent avait conservé toute sa vie la simplicité de notre vie lorraine. Aucun apparat d'ameublement ou de table. La table qu'il aimait, c'était son bon bureau de travail, où librement il écrivait ses notes et statistiques de ministère, ses lettres et ses articles à la presse dont le style unique trahissait si bien l’origine. L'abbé Laurent, d’une constitution que lui et tous croyaient à toute épreuve, ne sentait pas la fatigue et n'éprouvait nullement le besoin de se reposer. Jamais avant sa maladie de 1913, il ne connut ni cure d'air ni cure d'eau, ni voyage de repos. Ses seules sorties étaient des sorties de services pour son église ou pour ses confrères auxquels il était dévoué sans mesure.
Je vois encore à côté de moi, au cimetière de Gorze, un prêtre de Metz si dévoué à nos œuvres populaires pleurant et sanglotant devant sa tombe. Combien de services n'a-t-il pas rendu à ce prêtre et à notre cause en tant d'endroits de notre Lorraine. Et combien d'autres de ses confrères savaient que jamais l'abbé Laurent ne « boudait à l'appel ». A Gorze, du reste, grâce à l'amabilité si serviable de Messieurs les Aumôniers, les sorties de M. l'Archiprêtre n'offraient point de difficulté.
Depuis vingt ans que je connaissais l'abbé Laurent, jamais donc je ne l'ai vu entreprendre le moindre voyage de simple agrément. En 1893, il fit son pèlerinage de Rome, dont il nous donne une réminiscence dans un de ses sermons à Lourdes en 1906 (page 113). Puis ce furent les pèlerinages de Lourdes. Je l'accompagnai avec quelques paroissiens et amis au premier pèlerinage diocésain de Metz en 1900. Depuis il fut de tous nos cinq pèlerinages d'hommes.
Sa seule sortie, sa grande sortie, sa sortie de douce joie, c'était donc Lourdes. Aller à Lourdes, aller à Lourdes avec nos hommes, c'étaient ses seules vacances.
Groupons maintenant ces joies de l'abbé Laurent à Lourdes.
Joies personnelles et surtout joies de « bon prêtre ». Car ce « Chevalier de Marie » aimait Lourdes à cause de Marie.
« Avec ces instructions, on n'avait pas le temps de faire son pèlerinage autrefois, me disait-il cette année. Depuis que je ne fais plus rien ou presque... au moins je peux prier pour moi, et je m'en paie. »
Il ne me laissa pas le temps de répondre et de réfuter cette sortie sur son prétendu repos. Le dimanche soir, je le cherchai après nos adieux. Je le découvris de suite gravissant, derrière la Grotte, les lacets conduisant vers la maison des Chapelains. « Je finis mon rosaire, dit-il. A ce soir ! »
L'abbé Laurent aimait nos pèlerinages d'hommes, parce qu'il aimait le ministère de la parole.
Il aimait ce ministère non pas pour le plaisir de parler, mais en raison du bien à faire. Et ce grand but, jamais l'abbé Laurent ne le perdait de vue, soit dans les paroisses, soit à Lourdes, soit même dans les pèlerinages du Souvenir.
Je formulerai ce but et son but, surtout quand il parlait à Lourdes et autour de Lourdes, par ces mots Ad Jesum per Mariain. Ou en d'autres termes, se servir de toute occasion et surtout de la grande occasion de la chaire pour persuader, plutôt encore, pour enlever nos hommes et les conduire à Dieu.
Son idée était bien nette sous ce rapport. Conduire nos hommes à Dieu, tout prédicateur le veut. L'abbé Laurent entendait par là viser à défendre la religion toujours et partout. Relever et tenir haut le drapeau de l'Église, c'était l'idée très actuelle et plus nécessaire qu'on ne le croit généralement. C'était l'idée d'être en chaire un apologiste. Aussi tous ses sermons à Lourdes s'en ressentent.
Ce but influa sur son genre d'orateur sacré, moins cependant que sa personnalité.
L'abbé Laurent avait une manière à lui d'écrire et de prêcher.
Il était orateur et prédicateur, mais l'un plus que l'autre. Il parlait plus qu'il ne prêchait. Il y a des prédicateurs qui parleront avec ou sans les mêmes émotions devant trente ou trois cents personnes.
L'abbé Laurent aimait la foule, la parole dans les églises pleines, dans les grandes assemblées, dans les pèlerinages. Il aimait le peuple.
Et c'est quand il voyait ce peuple littéralement suspendu à ses lèvres, qu'il parlait dans ce genre populaire que d'autres n'auraient pu suivre et où, si souvent, il a eu de magnifiques envolées et d'immenses succès.
Ouvrez la relation de notre premier pèlerinage d'hommes en 1906, due comme celui de 1908 à la plume d'un spécialiste éminent et d'un ami. Voici l'introduction à un de ses sermons : « Il serait banal de refaire ici l’éloge d'un homme aussi justement apprécié comme orateur populaire que Monsieur l'abbé Laurent ».
En 1912, l'auteur de la Relation de nos Hommes à Lourdes essayait de caractériser l'orateur, en les termes suivants :
« Mercredi, pendant l'Évangile, M. l'abbé Laurent, de Gorze, lentement et dignement, gravissait les degrés de la chaire.
Ce fut une joie pour nos hommes d'entendre cette parole simple, mais combien vibrante, si habile à relever les choses les plus ordinaires, et, par un mot ou une tournure de phrase, à donner du relief à quelques idées maîtresses qui, répétées avec éloquence, frapperont et resteront.
L'orateur des foules qui prétend, en prêchant, rester en contact continuel d'idée et de regard avec son auditoire ne peut, à moins de s'annihiler, s'en tenir à un sermon mathématiquement préparé d'avance. Il a le droit de lire l'effet de ses paroles dans les regards de ses auditeurs et, là, de trouver sur place de nombreuses improvisations et d'excellentes inspirations. Mais pour cela il faut être orateur. »
Oui, l'abbé Laurent aimait Lourdes et il parlait bien et volontiers à Lourdes. Il aimait Lourdes, en troisième lieu, parce qu'il aimait à y revoir nos hommes de Lorraine.
Il n'y a peut-être pas un homme de Lorraine qui n'ait entendu parler l'abbé Laurent, le « Curé de Gorze », ou entendu parler de lui.
Les succès de nos pèlerinages d'hommes lui sont dus pour une bonne part.
Ces pèlerinages d'hommes, rien que des hommes, datent de 1906 (Les relations de nos Pèlerinages d'Hommes ont pour auteur : 1906 et 1908, M. le chanoine Collin du Lorrain ; 1910, M. l'abbé Laurent, Archiprêtre de Gorze ; 1912 et 1914, le même auteur).
M. le chanoine Collin, du Lorrain, écrit en date du 24 mai 1906 : « Le régiment des six cents pèlerins de Metz à Lourdes, a accompli son pèlerinage du 13-20 mai avec un entrain, une religion, une discipline vraiment remarquables...
Et ailleurs : « Depuis plusieurs années le Comité du pèlerinage diocésain mûrissait l'idée d'un pèlerinage d'hommes. C'était hardi !
En 1905, au retour de notre pèlerinage de septembre, la chose fut réglée. Et aux premiers jours de 1906 on adressait au clergé un appel chaleureux...
L'espoir du Comité, n'a point été déçu ; mais avant le succès néanmoins, que d'hésitations et de craintes... Et pour causes ». Causes si intéressantes a lire et... à retenir.
En 1908, année du jubilé, on ne connut pas ces hésitations. En 1910 et 1912 on arrive à un bon résultat. En 1914, pour des raisons particulières, on douta un instant du succès. Nous avons plein espoir pour 1916. J'invite mes lecteurs à ce pèlerinage ; je les convie à un service solennel que nous y chanterons pour le repos de l'âme de M. l'abbé Laurent et de nos autres morts.
Notre vénéré défunt aimait nos pèlerinages d'hommes et les favorisait de son exemple, de sa parole et de ses moyens. Il y aimait nos hommes comme il en était aimé. Il y aimait nos hommes de Lorraine en bon Lorrain et en bon prêtre.
L'abbé Laurent, par la force et l'évidence des choses, n'ignorait pas son influence sur nos hommes de Lorraine.
Les auditeurs de l'Union Populaire, c'était son régiment, les hommes de Lourdes son bataillon sacré, bataillon qu'il exerçait et entraînait sur place pour « maintenant et après ! »
« On en fait des apôtres de ceux-là ! Ils feront boule de neige chez nous ! Nous refaisons un sang catholique nouveau en injectant dans le bon sang et le bon sens lorrain, de tradition chez nous, des pratiques nouvelles, mais nécessaires. »
Idées que j'ai entendues souvent sortir de sa bouche - et je n'étais pas le seul à entendre cela et... à le penser.
« Il faut rendre nos hommes hardis, me disait-il une autre fois, à Gorze je crois, « mais pour cela, soyons hardis nous-mêmes. » Et il continuait, dans son style : « Tiens, nous curés, nous demandons souvent à nos gens de ne pas mettre leur drapeau en poche, mais ne le mettons pas nous-même ? » Ou encore : « Soyons hardis contre le mal et pour le bien, selon la formule de l'abbé Barthélemy : Une profonde humilité devant Dieu, une audace à tout rompre devant les hommes ».
Lisez ses deux sermons de 1906 sur le respect humain : dans l'un il nous parle « de la bonne peur », dans l'autre « de la mauvaise peur ». Sous une formule originale, par des mots qui frappent tout le monde, il intéresse vivement, il enseigne fortement.
Prenez encore son sermon sur les devoirs des hommes. Nous y trouvons un miroir des plus clairs où chacun y reconnaît ses devoirs personnels, ses devoirs de famille, ses devoirs vis-à-vis le prochain. L'orateur ramène ces trois points autour d'une triple autorité bien connue de tous ses auditeurs :
Soyez maire ou maître d'abord,
soyez instituteur ou éducateur de votre famille,
soyez curé près des autres par l'apostolat. »
N'oublions pas que plus nous nous écartons de 1870, plus la connaissance du français diminue. C'était là une forte raison pour l'abbé Laurent d'être simple dans l'élocution, simple aussi dans le fond. Nos braves gens, dans la masse, profitent moins des grands sermons à haut appareil que de ces instructions parlant leur langue usuelle et se servant de leurs idées.
Je ne sais si notre orateur connaissait les instructions de Mgr Gibier, en tout cas c'était son genre. Et par là ils étaient écoutés, compris et suivis, tous deux.
Car comme nos hommes l'écoutaient bien ! Riant tantôt plus que lui ; tantôt pleurant avec lui ; calmes, puis soudain impétueux, comme lui. Et cependant, comme l'écrit l'abbé Collin en 1906, « notre tempérament lorrain répugne quelque peu aux manifestations extérieures. »
Que de fois nos hommes, malgré la majesté du lieu et la réserve lorraine, furent sur le point de l'acclamer.
Il fallait voir nos pèlerins l'attendre au sortir des offices. Beaucoup voulaient lui serrer la main. Lui se dérobait un peu à ces manifestations de bon cœur en disant et en répétant cette autre formule de l'abbé Barthélemy : « Je m’en suis tiré le moins mal possible ».
L'abbé Laurent aimait à voir et à rencontrer nos hommes de Lorraine à Lourdes parce qu'il y voyait une excellente occasion de la coopération naturelle, j'allais dire fraternelle, du clergé et des laïques. En pèlerinage, on est frère la plupart du temps, parfois camarades. Nos hommes gagnent à être connus du clergé dans un autre milieu que le milieu paroissial, et par réciprocité le clergé gagne à être connu de nos fidèles. Notez que je ne parle que de nos pèlerinages de mai.
Et l'abbé Laurent le faisait voir et sentir à ses auditeurs.
Entendez-le aux piscines, cette année encore ; je cite textuellement ses paroles : « Mes amis, notre évêque..., notre évêque est en tournée de confirmation. Il travaille à rendre vos enfants de bons et solides chrétiens en leur donnant le sacrement qui fait les forts. Notre directeur vous a communiqué sa bénédiction touchante, cordiale, paternelle (Voyez en tête de cette relation le beau mot de Monseigneur). Prions - c'est un devoir - prions pour notre évêque bien aimé.
Prions pour le Pape, Pie X, le Pape de la communion de vos « petits ».
Et puis, et vos curés, Messieurs, ne méritent-ils pas une prière, vos prières ? Ceux qui sont ici et ceux de là-bas. Vos curés, qui sont vos fils, vos frères, vos parents, vos amis. Vos curés qui sont Lorrains comme vous, fils de cultivateurs comme vous, fils d'ouvriers et de commerçants comme vous. Prions pour nos curés !
« Notre Père... »
Voilà l'abbé Laurent, simple, mais allant droit au bon sens et pénétrant au fond des cœurs. Le clergé doit de la reconnaissance à cet homme qui honorait ses rangs.
Outre la coopération ou mieux la fusion des pasteurs et des simples fidèles, le cher défunt venait avec nos hommes à Lourdes pour y semer une semence qui a déjà porté bien des fruits.
Il s'agit de la communion des hommes. C'est lui qui avait trouvé un de ces mots qui font fortune, même en piété : la fameuse « communion des Quatre-Saisons ».
Parlant à nos hommes, il tonnait - gentiment - contre ces braves gens, chrétiens des Quatre-Saisons, ne venant jamais à vêpres et, allant à la messe, aux quatre grandes fêtes de l'année seulement. Puis tout à coup, saisissant une de ces idées lumineuses dont il avait souvent le secret :
« Messieurs, disait-il, à la messe tous les dimanches, comme vos épouses, et j'ajoute à la Table Sainte comme vos épouses : c'est-à-dire plus qu'une fois, plus que deux ! c'est un minimum de quatre fois que je vous demande, à Pâques, à l'Assomption, à la Toussaint, à Noël : Soyez des communiants des Quatre-Saisons. »
Quand il s'agissait de la Sainte eucharistie, l'abbé Laurent avait de ces grandes hardiesses, comme on pouvait dire alors avant nos Congrès Eucharistiques. A Lourdes, il poussait à la Sainte Table. « Messieurs, allez communier ! Un brin de toilette spirituelle et, en avant ! à l'autel de votre première communion ». Un prêtre, un jour, lui objectait : « Mais, Monsieur l'Archiprêtre, ils ne font pas cela chez eux. - Eh bien ! alors, qu'ils le fassent au moins à Lourdes ! »
En revenant de Lourdes, dans un conseil de la direction où nous venions de discuter un projet qui se réclamait beaucoup de lui, il nous reparla chaleureusement de la communion plus fréquente de nos hommes. Peut-être donnerons-nous suite à ce projet. En tout cas, selon cet autre titre de la Croix de Lorraine : Pour la communion des hommes, l'abbé Laurent fut « comme prêtre un initiateur ».

   J'ajoute, enfin, qu'à Lourdes il ne manquait pas de défendre, à l'occasion, la communion des enfants contre certains préjugés des parents. Voici ce que dit la Relation de 1912 à ce sujet, p. 76, en parlant de notre chemin de croix :
« Chose curieuse, Jésus rencontrant les femmes de Jérusalem a quelque chose de plus impressionnant que Jésus rencontrant sa Très Sainte Mère. Et c'est une seule idée qui en est cause. Une des femmes de Jérusalem sort du groupe et présente, de ses bras, son petit enfant à Notre-Seigneur, en suprême consolation à Celui qui a tant aimé les enfants. Le détail est frappant.
Aussi, l'abbé Laurent, qui nous présente les stations, va-t-il trouver ici une improvisation superbe en offrant à Jésus, au nom des pèlerins et des parents, tous nos petits enfants communiants de Lorraine. »

   Il me resterait maintenant, chers pèlerins de Lourdes, à vous exhorter à rester fidèles aux grandes leçons que ce Chevalier de la Vierge vous a données si souvent à Lourdes.
Une parole toute d'autorité l'a déjà fait dans l'éloge funèbre. Du reste, ces leçons ont si bien frappé nos hommes qu'ils les ont encore à la mémoire.
Et puis la semence de ce grand semeur d'idées a déjà germé un peu partout où il y a des hommes de Lourdes. Ici elle lève seulement ; là elle pousse droite et large ; en quelques endroits, je vois déjà des épis d'or.
   Chevalier de Marie,
   Apôtre de Lourdes,
   Barde lorrain,
   Dormez en paix en notre sol de cette Lorraine que vous aimiez tant.
   Notre-Dame de Lourdes, Reine du clergé, aidez-nous à montrer bientôt à votre serviteur de belles et de grandes moissons.
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LES DERNIERS JOURS

   Le dernier pèlerinage de Lourdes avait été une vraie joie pour M. l'Archiprêtre de Gorze.
Grâce à la délicate et affectueuse attention de M. le Directeur du Pèlerinage, l'abbé Laurent occupait un compartiment de repos complet où personne ne pouvait le déranger. Ses nuits étaient excellentes. A Lourdes et ailleurs, il logeait chez les chapelains où une compagnie souvent illustre l'intéressait et le délassait agréablement.
« Que je suis bien, me répétait-il sans cesse, que cela m'a fait du bien d'être venu à Lourdes ! »
Son voyage l'avait beaucoup reposé moralement, les fatigues physiques n'avaient nullement dépassé celles des autres pèlerins.
L'abbé Laurent, depuis sa grave maladie de l'année précédente, n'était pas de ceux qui pour leur ménagement ont besoin d'un repos complet. Pour le remettre, il lui fallait la diversion dans le calme. On avait pensé autour de lui, l'an passé, à lui suggérer l'idée d'une retraite toute honorable à Metz. Et ses supérieurs auraient accédé à son désir. « Qu'en penses-tu », me demandait-il ; sans attendre ma réponse, il disait : « Ma place est à Gorze tant que je pourrai ». Tant que je pourrai ! je devinai sa pensée : tant que je pourrai, c'est-à-dire jusqu'à ce que Dieu le rappelle.
Pour l'abbé Laurent, la retraite, si honorable soit-elle, c'était la mort. Il a choisi le départ qui convenait si bien à cette vie active, départ après lequel on peut dire hardiment comme pour d'autres de ses confrères : Mort au champ d'honneur. Oui, l'abbé Laurent est mort, comme on l'a si bien écrit, les armes à la main.
Il était rentré de Lourdes heureux et fort. A Pagny, avant de quitter la direction, il était venu serrer la main à chacun d'entre nous, les lèvres débordantes de ces paroles d'amitié dont il avait un usage plein de politesse. A Novéant, un pèlerin lui offre, en insistant, un léger rafraîchissement pour boire à la santé des pèlerins. Avec son amabilité ordinaire il accepte, puis nous salue au départ pour Metz...
Et nous, de crier : Vive l'abbé Laurent, vive M. L'Archiprêtre de Gorze. Et nous partions... pour ne plus le revoir.

   Qu'allait-il donc se passer de si tragique pour que, dix-sept jours après, il rendit sa belle âme à Dieu
Confiant dans ses forces, ce piètre vaillant fait la procession des Rogations. Elles sont assez pénibles à Gorze, les Rogations. On y dit la messe dans une chapelle ancienne qui sert de station. L'abbé Laurent veut présider lui-même. Il dit la messe dans cette chapelle humide. Voici un chaud et froid, puis c'est la fluxion de poitrine, cette avant-coureuse de la mort. Enfin voici la fièvre les dernières luttes. Il ne pourra résister, la faiblesse cardiaque étant trop grande, c'était la mort. Elle vint et le ravit le samedi 29 mai, à deux heures et demie du matin.
Ajoutons que ce grand chrétien est mort avec tous les sacrements de sa Mère l'Église, reçus avec grande dévotion.
Subitanea, non improvisa morte. La mort le terrassa, car il y eut une lutte. Le fils de notre terre, le fils de cultivateur, ce corps taillé pour la vie, cette volonté ne s'affaissèrent point comme un petit vieillard s'éteint.
Malgré sa grande maladie de l'an passé, la mort lutta avec lui.
J'ajoute qu'il ne lutta point avec la mort. Que de fois, l'année dernière, avait-il invoqué Notre-Dame de Lourdes la priant de le guérir. Cette fois, il pria sans demander sa guérison. Puis il mit une dernière main à ses affaires, pensant à être poli et charitable jusqu'au bout et au-delà, donnant des ordres pour recevoir ceux qui viendraient à ses funérailles, faisant des recommandations inoubliables à sa famille.
La mort le terrassa subitement. La plupart même de ses amis ne connurent sa dernière maladie que par l'annonce de son décès.
Non improvisa morte. La mort ne lui fut pas une surprise. Il savait qu'une complication inattendue pouvait le jeter impitoyablement à bas.
En partant à Lourdes, le 5 mai au soir, après Poitiers, je lui arrangeais son lit de camp pour la première nuit.
- « Tu sais, me dit-il, on ignore ce qui peut arriver en voyage et même en pèlerinage. En partant de Gorze, j'ai préparé tout comme si je ne devais plus rentrer. Je suis prêt pour le grand voyage autant qu'on peut l'être. »
Ce fut la seule allusion et le seul instant de tristesse. Nous avions fait notre prière du soir comme le programme l'indique. Nous nous souhaitâmes donc bonne nuit et, peu après, c'était un assez bon repos. Non, Lourdes ne l'avait pas fatigué !
Le lendemain, à Biarritz, en compagnie de ses Gorziens et de ses neveux il respirait à plein cœur le bon air salin. Puis, du haut de la Terrasse des Tamaris, il prenait un vif plaisir à féliciter Jacquard, Champigneulle, Clause, Maguin et quelques amis qui prenaient des bains de mer volontaires et... involontaires. Ensuite, tout ce groupe et la direction déjeunait si agréablement à l'hôtel de Paris !
En cours de route, il était gai et sa conversation était toujours intéressante. Ah ! comme je conserverai avec plaisir la pensée de ses derniers jours et de ses derniers enseignements et renseignements.
Volontiers, il s'intéressait aux choses du ministère et du ministère des hommes surtout. La communion des hommes ! Il me parlait encore de ses efforts à Gorze, de ses efforts et j'ajoute de ses succès ! Quelle joie sans orgueil de me dire : « Vois-tu, j'ai cent-dix communions d'hommes à Gorze à la Toussaint.
Et toi, que fais-tu là-bas ?
Et la presse ? Et la jeunesse ? Et la première communion privée ? Et l'Union populaire ? Et le premier vendredi ? Et tes ouvriers ? Parle, raconte, donne ton avis ».
Tout cela, dans ce style rapide qui était le sien !
Lourdes, nous nous revoyions tous les jours. Nous avions, avec l'agrément du chef, fixé le programme des instructions à nos hommes.
Monseigneur Pelt, plein de sollicitude pour sa personne, lui avait recommandé de ne pas se fatiguer.
On me défend de parler, écrit-il plaisamment de Lourdes... On ne me défendra pas d'écrire. »
On ne lui avait pas défendu de parler. Il le fit, du reste, avec modération le jeudi à notre arrivée, le samedi aux piscines et le lundi aux adieux. Ajoutons encore deux petits mots à l'occasion. Aux adieux, s'il n'y mit pas cette grande voix d'autrefois, il y mit une insistance, que je comprends maintenant, et un pathétique tel que tous nos hommes pleuraient comme jamais on n'avait pleuré à aucun de nos cinq pèlerinages précédents.
Non, Lourdes, malgré ces trois sermons, ne fatigua point l’abbé Laurent. Il revint content, j'allais dire refait, satisfait, vivant. Je le vois encore depuis Paray, me dictant sa dernière lettre au Lorrain. Notre train filait à toute allure. Comme je l'ai dit précédemment, j'avais peine à écrire, j'écrivis si mal que je ne pus me relire. Il rit de moi malicieusement. « Ah ! ces jeunes ». De suite, il me redit l'article par cœur, ce dont je le félicitai chaudement.
Après cette lettre et un dernier repas pris en commun, nous discutâmes le travail qui restait à faire : la relation du pèlerinage. Tu te débrouilleras, me dit-il, et vite car tu sais que nous allons au devant d'une nouvelle besogne dont nous avons parlé avec le Chef. Ce sera pour le plus grand bien de nos hommes de Lourdes !
Rentré, je me mis à la tâche : Quatre jours avant sa mort, il recevait de ma main les premières épreuves de ce récit. Je lui motivais l'avant-propos de notre relation.
Il chargea son neveu de me remercier d'avoir porté ses lettres en tête comme récit officiel et approuva la disposition de l’ouvrage. Ce fut une des dernières lettres dont il put prendre connaissance. Il s'est donc intéressé à notre pèlerinage jusqu'au bout.

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