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L'abbé Louis-Auguste LAURENT
Notice nécrologique par l'abbé KELLER
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Page 157

CONCLUSION

   Notre tâche est à sa fin. Cet essai biographique est destiné surtout aux Hommes de Lourdes. Puisque nous avons écrit « en famille », on nous excusera d'avoir employé parfois la forme personnelle. Evidemment, nous n'avons retracé en cette modeste publication ni toute l'œuvre ni tout l'homme. Nous nous en excusons donc près des nombreux amis et près des paroissiens du vénéré défunt. Une monographie aurait eu soin de relever le caractère du cher disparu. Ceux qui ont connu l'abbé Laurent dans l'intimité, diront que sa conversation était toujours intéressante et digne, parce qu'elle était inspirée d'un grand cœur. Nous avons eu la bonne fortune de parcourir - avec quelle émotion - plus de cent lettres adressées par lui à ses parents ou à ses frères. Oui, les larmes aux yeux, nous avons admiré ce bon fils plein de la plus délicate attention pour ses parents. Plus heureux que tant d'autres, il put s'abandonner bien longtemps et filialement à l'affection des siens. Si nous avions eu le temps de faire une sorte de pèlerinage près de certaines familles de Metz, nous y aurions vu couler encore bien des larmes et recueilli d'excellents souvenirs. Si nous avions demandé à tel ancien du canton de nous dépeindre cet archiprêtre de marque, il nous aurait parlé de l'homme aux sages et rapides conseils, plein d'amitié pour ses confrères. Enfin, les paroissiens de Woippy qui l'aimaient tant, me pardonneront-ils d'avoir omis tant de précieux souvenirs et d'heureuses entreprises ? Ceux de Gorze ne comprendront pas que j'aie omis le nom de M. de Beauvent et le zèle de leur curé à restaurer somptueusement cette classique église, témoin de tant de choses à travers bien des siècles. Quant à moi, écrire ces lignes c'était montrer un peu de cette reconnaissance que je devrai toujours à ce digne maître. Pour m'encourager à cette tâche, un éminent ami du défunt m'a dit que je ferais œuvre d'utilité et de religion. Car nos deux mille Hommes de Lourdes liront ces pages avec émotion et avec fruit. Ils auront le loisir, eux et leurs familles, de voir avec fierté comment un des leurs, enfant de notre terre de Lorraine comme eux, est devenu prêtre, prêtre éminent parce qu'apôtre : apôtre du passé et initiateur de méthodes nouvelles, grand ami de nos hommes comme ils étaient fiers de lui, fidèle serviteur de Dieu et de l'Église dont il a bravement porté le drapeau là où on n'osait le déployer précédemment. Et la vénération que l'on doit à ce prêtre s'étendra vers ses confrères. Vous savez, chers amis de Lourdes, comment là-bas il vous faisait connaître et parfois acclamer le clergé lorrain. Je n'étonnerai pas les lecteurs de cette relation en leur apprenant que de Notre-Dame à Gorze l'abbé Laurent a dirigé de nombreux élèves vers le sanctuaire. Leur étonnement commencera là où je leur dirai que notre diocèse manque de prêtres, que depuis la triste guerre près de cent cinquante postes nouveaux ont été créés dans le diocèse, que la partie française d'où nous viennent nos Hommes de Lourdes ne confie pas assez d'enfants à nos séminaires. Hommes de Lourdes, chefs de familles chrétiennes, dites-vous donc, quand vous devisez de l'avenir de vos enfants, dites-vous donc ce que les parents de l'abbé Laurent disaient entre eux : « Notre enfant pourrait étudier. Ce serait bien l'épreuve au commencement. Mais plus tard notre fils serait le repos de nos vieux jours, la fierté de notre nom, l’ange gardien de la famille ». Ce serait, mes chers amis, ce serait aussi la joie de Dieu, le bien du pays et votre propre bonheur. Voilà, chers pèlerins de Lourdes, ce que je pensais en revenant du Petit Séminaire de Montigny où j'étais allé me renseigner sur le brillant séjour que Louis Laurent, de Frécourt, faisait en cette belle maison au lendemain de la guerre. Oui, frères de Lourdes et de Lorraine, mettre sous vos yeux la vie si bien remplie de notre inoubliable défunt, vous supplier d'être fidèles à ses grandes leçons, vous prier de donner à Dieu ceux de vos enfants qui pourraient suivre ses traces, c'était là faire œuvre d'utilité pour la Lorraine et œuvre de religion pour le diocèse.
Ce 14 juillet 1914.
P. K.
Gloire à Notre-Dame de Lourdes !
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APRÈS LA GUERRE
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NOTRE DELIVRANCE



I. EN LORRAINE

   La relation de notre dernier pèlerinage d'hommes à Lourdes en 1914 mit cinq années avant de recevoir son heureuse conclusion.
Commencée le 14 mai 1914, dans toute la joie de notre dernier et pieux voyage à Lourdes, elle recevait par le grand deuil que nous éprouvions au décès de M. l'abbé Laurent, une bien douloureuse conclusion terminée le 14 juillet suivant.
Notre relation sortait de la presse à ce même moment où la police de guerre rôdait déjà devant les bureaux du Lorrain. Que de fois n'y eut-il pas lieu de trembler depuis pour l'ouvrage qui aurait pu être détruit, pour le Directeur, dont le crime était d'avoir conduit tant de Lorrains à Lourdes, pour l'auteur lui-même qui aurait pu si facilement rejoindre les malheureux déportés politiques d'Ehrenbreitstein.
Heureusement, l'ouvrage, qui devait avoir un fort tirage en l'honneur de M. l'abbé Laurent, est resté indemne.
Grâces à Dieu ! L'heure de la délivrance vient de sonner... Grâces au Sacré-Coeur ! les mérites et le sang des bons et des meilleurs ont fait poids sur la balance... Grâces à Notre-Darne de Lourdes ! Car elle voulait nous revoir à Lourdes !
La guerre, l'horrible guerre est terminée ! Le colosse à la tête orgueilleuse et aux pieds d'argile vient de s'abattre dans un effondrement plus rapide que beaucoup ne l'espéraient.
Voici que la Lorraine respire ; que les cœurs des Lorrains revivent ; que la plume, enfin, peut écrire librement et fièrement.
Ce supplément de relation a été préparé dans l'émotion des mémorables journées du 19 novembre et du 8 décembre 1918. Dates désormais inoubliables pour nos cœurs surtout. Je parle des cœurs des survivants : M. l'abbé Laurent, l'ardent Lorrain, hélas ! n'aura pas eu le bonheur de voir dans ce Metz qu'il aimait tant, depuis son vicariat à Notre-Dame, la rentrée des troupes françaises.
Mais nous avons hâte de dire que s'il est mort avant l’explosion de ce terrible conflit que nous nommons la grande guerre, c'est que Notre-Dame de Lourdes a eu pitié de lui.
Sans doute, il eut été fier et heureux de se trouver tout au premier rang lors de la journée triomphale du 19 novembre. Mais aurait-il pu résister jusque-là ?
L'exil et l'exil violent l'attendait un des premiers. Loin de son cher pays, il aurait succombé aux mauvais traitements d'une arrestation brutale et d'une détention prolongée. Comme pour d'autres, on aurait poussé peut-être la férocité jusqu'à l'arracher du confessionnal, en train de consoler nos pauvres Lorrains appelés aux armes pour une guerre fratricide.
L'abbé Laurent était né français puisqu'il avait quinze ans en 1870. Il avait pleuré, nous l'avons dit, caché derrière le mur du jardin paternel, à la vue du premier Prussien.
Depuis, il était de ceux qui, nombreux, gardaient toute espérance en Dieu d'abord, en la France ensuite. Jamais il n'avait pu oublier la grande iniquité de 1871. Car jamais il ne pouvait admettre que la force qui arrachait brusquement plus d'un million d'hommes à leur mère-patrie pût devenir justice et droit.
Il fut donc toujours de ceux qui ne purent oublier, malgré toutes les luttes et tous les partis. Comme il eût été heureux, au début de la guerre, de constater le réveil de notre peuple ! Car la guerre fut ici l'orge qui foudroie, mais aussi qui rafraîchit, l'éclair qui, soudainement, illumine et fait voir rapidement et instinctivement la vraie voie à suivre.
L'abbé Laurent ne vit plus la guerre. Or, la guerre le menaça jusque dans le grand silence de la tombe.
En effet, dès les premiers jours de la ruée allemande, une patrouille de police militaire vint pour l'arrêter. Malgré son décès, l'archiprêtre de Gorze n'était donc pas encore rayé de la fameuse liste de proscription. Représentez-vous la scène.
« - Où est le curé Laurent ?
- Au cimetière.
- Restera-t-il longtemps ?
- ???
- Eh bien ?
- Mais il est mort et enterré ! »
Pauvre organisation allemande !
L'abbé Laurent a été menacé à Gorze par la guerre et ses batailles.
S'il fût resté à Gorze, quelle douleur pour lui de subir la présence de ces envahisseurs, qui fusillaient allègrement ses anciens confrères et voisins de France ; qui dépouillaient les morts au caveau de Saint-Thiébault ; qui, protestants fanatiques, affichaient leur joie de faire l'invasion de son église ; ou qui traitaient curé et offices et paroissiens en quantité tout à fait négligeable.
Il eût pleuré surtout sur l'évacuation et les ruines de Gorze, car cette cité a beaucoup souffert de la guerre. L'église et la tombe de l'abbé Laurent ont-elles été préservées ? Je l'espère.
Au lendemain de son enterrement, j'écrivais : « Il repose là où nous l'avons quitté en lui promettant nos prières et notre souvenir. Du haut de ce vaste cimetière abrité par ces grands bois du Gorze que les moines longeaient pour se rendre vers leurs abbayes de France, l'abbé Laurent domine toute la Lorraine depuis les Hauts-de-Meuse jusqu'au dernières hauteurs surplombant la Moselle de leurs crêtes fortifiées .
Je n'osais pas ajouter alors : lorsque l'abbé Laurent me reconduisait un bout de chemin vers Vionville, nous nous séparions non loin de ce même cimetière, qui fut comme son poste d'observation pendant la guerre.
En me quittant, il me montrait devant nous le champ de bataille du 16 août 1870, puis la France à gauche et la direction de Metz sur notre droite.
On aurait dit qu'il pressentait les grandes luttes qui, plus tard, allaient surprendre, puis refaire la France et enfin la conduire vers ses anciennes provinces et au-delà.
De plus, M. l'abbé Laurent aurait-il résisté aux autres épreuves de notre pauvre Lorraine ! et elles furent sans nombre Le souci du pain quotidien, le tourment continuel des odieuses dénonciations, la suggestion des logements militaires, le deuil autour de tant des nôtres tombés à contre-cœur, l'absence de journaux lorrains libres de parler, la germanisation audacieuse des noms de nos villages, la longueur de la guerre et ses moments de découragement pour plusieurs, le vol de nos cloches, l'intrusion du pouvoir militaire jusqu’à l l'autel, la suspicion continuelle tombant sur le simple curé de campagne et ne s'arrêtant même pas devant l'autorité et la noble indépendance d'un Evêque !
Enfin, M. l'abbé Laurent ne vit plus la guerre ni son glorieux lendemain.
Comme il eût noblement célébré en chaire et ailleurs le retour à la mère patrie ! Peut-être l'émotion eût-elle été plus forte que son cœur et comme l'abbé Cetty il aurait pu, en ces jours d'indicible émotion, ne pas survivre à un si grand bonheur.
On ne l'oublia pas cependant en ces jours de noble joie : C'est ainsi qu'une personne à Metz attacha a son portrait l'insigne tricolore de la délivrance. Son nom fut nommé lors de nos premières grandes réunions catholiques : C'est ainsi que les hommes de Lourdes, réunis à la Salle Saint-Bernard le 11 février, acclamèrent sa mémoire. Et je vois encore quel enthousiasme ému s'empara de la grande assistance de l'Action Lorraine au Terminus, en cette belle journée du 9 mars, lorsque M. le chanoine Louis évoqua son souvenir et surtout son action d'autrefois.
Nous ne l'oublierons pas à notre prochain pèlerinage à Lourdes : je crois même qu'un service funèbre pourra être chanté pour le repos de son âme et de celle de nos autres pèlerins tombés en guerre. Sancta et salubris cogitatio !
En attendant, Gorze ne l'a pas oublié dans ses prières solennelles. En effet, le dimanche 1er juin, vit se dérouler dans cette coquette cité une manifestation religieuse et patriotique à la fois, où la mémoire du vénéré défunt fut à l'honneur.
Une heureuse pensée de M. l'abbé Laurent, archiprêtre de Gorze unissait, ce jour-là, fête solennelle de Jeanne d'Arc, le souvenir de M. l'abbé Laurent au Souvenir Français. Aussi, les habitants de Gorze et de nombreux étrangers se pressèrent-ils à 3 heures dans la magnifique église, si activement restaurée par le défunt curé de Gorze, pour assister à une cérémonie bien émouvante.
M. le chanoine Louis, dans le sermon de circonstance, eut le bonheur de parler avec des accents d'éloquence chrétienne et patriotique à la fois, du bon pasteur, du grand patriote, du zélé apôtre de notre cause chrétienne et lorraine d'avant-guerre. Puis il recommande noblement à ses auditeurs de ne jamais oublier le souvenir de tous ces morts ni l'héritage précieux que nous laisse la vie et l'action de M. l'abbé Laurent.
Après les vêpres des morts, une longue procession se mit en marche vers le cimetière, où un monument venait d'être dressé à la mémoire des anciens curés de Gorze.
Nous nous faisons un devoir de mentionner qu'après la bénédiction de cette tombe, M. Edouard Guenser, de Metz, adressa à son ancien maître, au nom des anciens élèves de M. l'abbé Laurent, des paroles d'émotion et d'adieu. Il eut là l'heureuse occasion de rappeler ce que fut l'ancien directeur de la Maîtrise et de dépeindre toute l'influence qu'il exerça sur ses nombreux élèves.
Ceux-ci lui garderont un fidèle souvenir, d'autant plus qu'ils savent maintenant que leur ancien maître, à un moment assez critique, donna à la maîtrise Saint-Arnould une impulsion bien nécessaire à l'époque.
En terminant, M. Guenser rappelant le souvenir du grand patriote, s'écrie : Monsieur l'abbé Laurent, les Français sont là. »
Oui, les Français sont là, ils veillent sur vous ; reposez en paix à Gorze et en Dieu.

II. A LOURDES
Il me reste, chers pèlerins, à terminer ce chapitre par un dernier mot ….. .....

Chan. G. COLLIN, Directeur du pèlerinage.

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