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Revue 1957 : « Temps sans tickets ni vignettes ».
Scénario, textes, musique, mise en scène, direction : Paul Sechehaye
UNION de WOIPPY ---- Société Postscolaire d’Education artistique et physique S.A.G. N° 8.425 ---- P R O G R A M M E Le Comité espère que ses efforts pour donner à la représentation un caractère éducatif seront appréciés. Les évènements dont il est question dans le livret sont mentionnés dans le volume que Monsieur René PAQUET a publié en 1878 ; ou bien ils ont été mis en scène d'après les récits de témoins qui ont atteint ou dépassé la soixantaine maintenant ! Il y a bien une demi-douzaine de solécismes, gallicismes et barbarismes au IIème Acte : c’était inévitable pour que tout le public comprenne bien les deux bons gardes Romains. Et puis les acteurs ne parlent certes pas tout à fait le Français du temps de la civilisation chrétienne, ni du Moyen Age, ni même du XVIIème siècle ; les auteurs ont fait de leur mieux pour que ce ne soit pas trop mal dans l’ensemble. Ainsi les personnes d’âge mur du pays se rappelleront ce qu'elles ont entendu ou ce qu'elles ont lu ; et les Jeunes apprendront quelque peu d'histoire locale. Encadrés et conseillés par des Anciens de l’Union de Woippy, plusieurs sont devenus, depuis un an, acteurs ou musiciens exécutants. Au cours de la soirée aidez-nous, s’il vous plaît, à encourager la bonne volonté des uns et des autres. |
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- Quelques extraits de la revue 57 -
Toutes | Cher public voici que nous allons Rejouer encore une revue Notre « Union » réveillée se remue Et reprends ses bonnes traditions On pensait bien que c’était fini Mais non : rien n’est impossible en France Et, crac, voila que tout recommence Quand on croit tout perdu à Woippy ! |
1ère Lorraine | Nous jouerons quelques scènes ce soir Du passé de notre cher village |
2éme Lorraine | Des siècles d’antan, du moyen âge Des temps modernes, Vous allez voir |
3ème Lorraine | Des événements qu’un érudit Monsieur Paquet a dans son histoire |
4ème Lorraine | Très documentée vous pouvez croire Si bien jadis écrit sur Woippy ! |
Toutes | Attention ! Taisons-nous ! Voici les trois coups ! |
(...) | (...) |
Mère Michel | Je suis votre servante dévouée et vous écoute. |
Oncle Jules | Ma nièce Françoise, orpheline, est fiancée, tout le monde le sait, avec François, ce beau garçon, capitaine célèbre déjà de l’équipe 1ére du Football-Club de Woippy-les Quatre-Bornes. |
Mère Michel | Ils feront un couple parfait. |
Oncle Jules | Ils s’aiment passionnément. |
Mère Michel | Naturellement. Avant, c’est toujours au moins un peu comme cela. |
Oncle Jules | Mais, de nos jours, les enfants ont des idées assez arrêtées. Sans doute ont-ils vu trop de films, lu de livres et publications où des auteurs dont le cerveau est en ébullition ont exprimé des idéologies saugrenues, ou bien écrit des calembredaines et découpé des cheveux en quatre. |
Mère Michel | Dans le sens de la largeur. |
Oncle Jules | Mes deux fiancés ont donc encore des discussions interminables parfois. Ah, de mon temps, on n’allait pas chercher si loin ! |
Mère Michel | Comptez sur moi pour vous aider, Monsieur le Doyen. |
Oncle Jules | L’un dit que la vie actuelle est pleine de charmes et méprise tout ce qu’on appréciait jadis. Et ma nièce, plus cultivée, affirme que la civilisation trop poussée de notre siècle est néfaste et dangereuse même. Ils parlent, se chamaillent, se boudent ; et j’en suis contrarié, je l’avoue ! J’en suis fort contrarié ! |
Mère Michel | Je pense que je pourrai leur suggérer, après quelques petites manifestations bien réglées, quelques visions habilement machinées, d’être moins entêtés. L’amour aidant, ils n’auront plus de sujets de discords entre eux. |
Oncle Jules | Ce sera certainement parfait, chère madame. Entre nous, je n’ignore pas que vous n’avez pas une confiance absolue dans les forces occultes (Mère Michel lui fait signe de parler bas). Mais vous êtes fort instruite, intelligente, adroite et de bon conseil ; et jamais, dans la région, l’on n’a entendu dire un mot qui ne soit à la louange de votre honnêteté professionnelle et de votre charité. |
Mère Michel | Vos éloges sont la plus belle des récompenses. |
Oncle Jules | Mais je tiens cependant, dès maintenant, chère Madame, à vous régler la note de vos honoraires pour notre consultation. |
Mère Michel | Du tout, du tout, Monsieur le Doyen. Entre nous c’est absolument à titre gracieux. |
Oncle Jules | Je vous en prie. Je n’ignore pas que vous avez des frais, un personnel compétent, dévoué et discret, de merveilleux appareils remarquablement mis au point par M. Charles Gille… Voici donc quelques billets à l’effigie de ce bon cardinal de Richelieu. Un grand ministre, qui n’a jamais parlé, lui, de supprimer le privilège des bouilleurs de crû. (La mère Michel prend les billets) |
Mère Michel | C’est trop, c’est beaucoup trop, 10.000 francs. |
Oncle Jules | Mais non ! Pensez qu’on payait au printemps 1956 jusqu’à 500 francs une toquée de laitue minuscule et 100 francs un seul poireau ! |
Le perroquet | (en coulisse) Marci bocop ! Encorrr, encorrr ! |
Oncle Jules | Qu’est-ce que c’est ? |
Mère Michel | C’est Athanase, mon perroquet savant, Monsieur le Doyen. |
Oncle Jules | Ah, très drôle, très amusant ! (Sonnerie) Mais voici sans doute les enfants. |
(...) | (...) |
Mère Michel | Oh mais ce n’est pas fini ! Ce n’est qu’un prélude, un début. Maintenant le grand tralala du grand mystère (elle fait des préparatifs, allume des parfums, etc.) Ecoutez, regardez, silence ! Esprit des Prophètes à moi, Caramba (elle répète plus fort en tapant du pied). Obscurité, puis lumière diffuse. Musique de berceuse en sourdine. La Mère Michel fait des gestes des mains vers ses hôtes) |
Oncle Jules | (baillant) Excusez-moi, j’ai tellement sommeil, Madame Michel. |
Françoise | Quel étrange parfum, Madame Michel. |
François | J’aimerais mieux fumer une gi. gi ; gitane ou une cra. cra. craven… Mais j’ai trop som. som. sommeil pour l’allllu… |
(...) | (...) |
Oncle Jules | Nous assistons à un bouleversement de l’écorce terrestre qui va se crevasser ou d’innombrables gouffres où l’eau des mers précipitée rejaillira en masses de vapeurs cependant que des volcans nouveaux vomiront des trombes de feu et de scories et de lave ! (Tonnerre de plus en plus fort et sec, éclairs prolongés) Où fuir ? |
Françoise | Oncle Jules, quelle horreur ! |
Oncle Jules | (à l’homme faisant signe qu’il faudrait aller plus loin) Où aller ? Où ça, bon sang ? |
Homme | (désignant la gauche d’un geste incertain) Groutts, groutts… |
Oncle Jules | Des cavernes, des grottes profondes peut-être ? Fuyons en tout cas ! (ils vont se mettre en route. (éclairs, tonnerre, vent) |
François | Héla ! la sale bête ! Et elle pue ! |
Homme | Graoull, graoull, frouss !(on voit surgir à droite une énorme tête vipérine dont les mâchoires claquent, et une griffe puissante avance en-dessous) |
Françoise | Oh ! Oh ! Oh ! |
Femme | Ah ! Ah ! (Toutes deux se sauvent avec l’enfant) |
Homme | (brandissant massue) Hrron, hrron ! |
François | (tirant plusieurs coups de pistolet sur la tête) Tiens, saloperie, prends toujours ça ! (la tête s’affaisse) Obscurité. |
François | (entre rapidement en scène) Mais où diable sommes-nous cette fois ? Que font là ces deux romains ? Ce n’est pourtant pas le carnaval ? |
Canelloni | Lento, lento, Puer ! Festina, sed non troppo. In medio stat virtus. |
Oncle Jules | Mais nous voici en pleine époque gallo-romaine. Cette Mère Michel est vraiment très forte. (aux gardes Romains) Ita, ita, Bene. Hic est Woippy, svp ? |
Spaghetti | Pro jove ! Tu es Romanus, |
Oncle Jules | Non, Galli summus. Sed Magister ---, in maxime schola pro juventute. Slave. Bonjour Mademoiselle. |
Mimi | Salut, ô Gaulois de Gaule. |
Spaghetti | (vers le fond) Hic : Doma nova. |
Mimi | Il dit que par là c’est maison-Neuve. |
Spaghetti | (vers la salle)Hic : Woippya ; iter ad Briey, via Lorry aut Saulny aut Norroy. |
François | Oh mais je le comprends très bien, moi, qui n’ai jamais pu apprendre un mot de latin. |
Françoise | Mademoiselle, ces deux gardes Romains assurent la circulation à ce carrefour, semble-t-il ? |
Mimi | En effet, ils exécutent les ordres pour éviter les accidents à cet endroit dangereux. |
(...) | (...) |
Mimi | Les Romains pour nous ne sont point malfaisants, frère Gaulois. Leur légion et leurs esclaves ont fondé cette Via Appia, utile à tous. |
Oncle Jules | Ils occupent n’est-ce pas, tous les pays sans brutalité ; et en y construisant beaucoup, en somme ? |
Mimi | Ils ont bâti des maisons et basiliques, des ponts ; et même un grand aqueduc qui conduit au-dessus du fleuve Moselle les eaux pures de Gorze à Divodorum. |
(...) | (...) |
Lucianus | (entrant avec une corbeille enveloppée) Ave Canelloni et Spaghetti. Va bene ? salut étrangers à ce pays. (tous répondent à son salut) |
Oncle Jules | Nous serions heureux de goûter une boisson aussi glacée que possible, et de préférence un produit du pays. Ce que vous avez de meilleurs |
Lucianus | Comme ce « Deus ex machina », je vais satisfaire vos désirs sur le champ. Et pour 3 écus seulement. J’ai justement dans cette corbeille une liqueur divine de ma composition. Depuis l’hiver dernier dans ma cave profonde elle st enfouie sous de la glace prise à l’étang Léty. |
François | Comment l’appelez-vous Monsieur Lucianus ? |
Lucianus | Je n’ai pas encore choisi son nom. C’est un mélange de fruits de Woippy obtenu par hasard. |
Françoise | Alors c’est un Woippy-cocktail. |
Lucianus | Woippy-cocktail ! On ne sait pas ce que cela veut dire. Mais ça sonne bien, et ça fait curieux. Donc : Woippy-cocktail ! |
Tous | Woippy-cocktail ! |
Lucianus | Mais il faut la boire suivant un rite que j’ai fixé moi-même, pour en obtenir un effet rafraîchissant en été et réchauffant et reconstituant en hiver. |
Oncle Jules | C’est fort intéressant et curieux. |
Lucianus | Chacun prend un gobelet (il en distribue) que je remplis (il verse à la ronde). Après quoi, chacun le lève en disant : « A la vôtre » et « Jusqu’au fond ». Alors l’un de dégustateur compte : un, deux, trois, à une allure plus ou moins précipitée, suivant les circonstances. A « trois », les gobelets doivent être vides. |
François | Comme combine de bistrot cela me paraît astucieux. Mais un peu inquiétant pour la suite. |
Lucianus | Attention. C'est moi qui offre la première tournée de démarrage. « A la vôtre » et « Jusqu’au fond » (tous répètent). Un... deux... trois ! (tous boivent en trois fois, les deux jeunes filles respirent bruyamment) |
Oncle Jules | C'est excellent et glacé. Mais je crains que ce ne soit un peu fort en alcool, Monsieur Lucianus ? |
François | C'est vrai que ça ravigote. c'est à base de mirabelles. |
(...) | (...) |
(...) | (...) |
Après plusieurs tournées, tout le monde s'affaise et s'endort. Rideau. |
(Les trois se réveillent et se lèvent en se frottant les yeux) | |
François | Cette Mère Michel, elle en connaît tout de même des trucs ! Je ne l'aurais jamis cru. C'est elle qui nous en fait voir aussi de toutes les couleurs ! |
Françoise | Comme illusionniste, elle n'en craint pas. Et dire qu'elle nous possède ainsi, sans que nous puissions même protester... On ne le voit plus ! |
Oncle Jules | Mes enfants, ce carrefour ressemble fort à celui de la Via Appia avant les rafraîchissements de ce bon Lucianus. Oui, oui, nous y sommes encore. |
François | Mais les deux copains de la VIe Légion ne sont plus là. Ni la jolie Mimi. |
Françoise | Il y a une croix maintenant |
Oncle Jules | Je ne vois pas la cathédrale de Metz qui devrait être par là, derrière cette chaumière. Mais sans doute mes enfants, j'y pense, elle n'est pas encore commencée ! |
François | Pas commencée ? Tiens, je ne vois pas non plus le pont du chemin de fer ; il est vrai qu'il est si souvent en réparation. |
Françoise | Oncle Jules, il n'y a ni pommes de terre ni fraises dans les champs. Et ce sont des humbles maisonnettes qu'on aperçoit, ça et là ! |
Oncle Jules | Françoise, ce n'est qu'à la fin du XVIIe siècle que l'on appréciera les pommes de terre en Farnce... et les fraises ne seront cultivées à Woippy que deux siècles encore plus tard ! Or nous en sommes loin, je crois. |
François | Voilà du populo qui radine du côté de la grange aux Dames, si nous sommes bien là où nous croyons. |
Oncle Jules | En effet, en effet, François. |
Françoise | On entand des cloches et clochettes, des chants, un murmure... |
Oncle Jules | Mais c'est une procession. Aux costumes que j'aperçois, je crois pouvoir affirmer que nous sommes au premier siècle après Jésus-Christ. C'est bouleversant quand j'y pense. |
Françoise | Pourtant ce ne sont pas les Rogations ni la Fête-Dieu, ni le 15 août. |
Oncle Jules | Naturellement ! Surtout que le 15 août ne sera férié dans notre patrie qu'àprès le bon roi Louis XIII. |
François | Oui, oui ! C'est une procession. Mais sans les pompiers et sans l'harmonie. Elle vient. |
Saint Clément | Benedictat uns Omnipotens Deus. |
La foule | Amen. |
Saint Clément | Relevez-vous, mes fils. Nous allons nous arrêter quelques minutes auprès de cette croix. Vous êtes étrangers à ce diocèse ? |
Oncle Jules | Nous venons de Lutèce, Monseigneur. Nous voyageons pour compléter l'instruction de ces deux enfants, dont j'ai la garde. Et je suis moi-même professeur en une grande université... et votre humble serviteur ! |
Saint Clément | Bienvenue dans notre diocèse, Maître. En ce Val de Metz, en grande liesse en ce jour. |
François | Que votre Grandeur daigne me pardonner si je me permets de lui poser une quetion... |
Saint Clément | Parle, mon enfant. Ton langage est un peur estrange à notre entendement, ainsi que celui de ce vénérable Magister. Mais il est respectueux et vénérable. |
Françoise | (bas) Pour une fois, en effet ! |
François | Nous nous demandons à quelle occasion avait lieu cette édifiante procession, Monseigneur ; car il n'est point coutume de ce genre à Lutèce, ni aux alentours en cette époque de l'année. |
Françoise | (bas) Oh mais quel progrès ! |
Saint Clémént | Nous pouvons vous dire, mes chers fils, de quoi vous inquiéter. Nous venons, par la Grâce divine et l'aide du Saint Esprit, de détruire un monstre affreux et malfaisant, et cinq progénitures malpuantes d'ycelui. |
Oncle Jules | Le graouli ! Saint Clément ! |
(...) | (...) |
François | Eh bien dans quel bled sommes-nous tombés ? Voilà certainement encore un tour de la Mère Michel, à la suite de notre consultation. |
Oncle Jules | Il me semble que j’aperçois par là les créneaux de la Haute-Maison. |
François | Mais vous ne pouvez pas voir, en tout cas les couronnes de Funé-France ? |
Françoise | Seulement, Oncle Jules, je ne vois pas le clocher de l’église. On devrait naturellement le voir. |
François | Et toutes ces maisons sont couvertes de chaume. C’est peut-être la dernière trouvaille du M.R.L… en ciment d’argile et paillassons préfabriqués… 10 % de matière solide. |
Oncle Jules | Nous sommes pourtant bien à Woippy, mes enfants. Voici, là-bas, la cathédrale de Metz. C’est bien elle. Il n’ya a pas d’erreur. |
Françoise | Mais sans la flèche du temple protestant cependant, près de la piscine. |
(...) | (...) |
(...) | (...) |
Barnabé | Ah le beau parleur, enjôleur ! Allons vous êtes franc luron et paraissez bons compagnons tous trois. Et point sorcier du tout. |
Margoton | Dieu soit loué ! Tant mieux ! Autrement vous auriez été tôt et bien estranglés et bruslés par Maître Anthoine l’exécuteur des haultes œuvres de la bonne ville de Metz, notre bon bourreau. |
Françoise | Quelle horreur ! |
François | Tu vois qu’il ne faisait pas si bon autrefois ? |
Barnabé | Autrefois ! Au jour d’aujourd’hui encore, oui da ! Il faut bien détruire les vilains qui font des sortilèges, jettent des sorts, font périr les bêtes et les moissons, et la vigne… et les chrétiens item. |
Margoton | Tout ce maudit monde se réunit souvent, les nuits de tempêtes surtout, sur le St-Quentin. Les sorcières y volent à cheval sur des manches à balais. Et puis bonnes gens, aux douze coups de minuit il y a des sabbats d’horrifiques orgies ! |
François | Au sabbat, ça bat, là-bas son plein… |
Françoise | Tout de même on n’est pas sûrs de toutes ces horreurs ? |
Barnabé | Vrai comme évangile. Et le Mangin Maréchal brûslé voici six années passées, et la Colcotte, femme du Tournois Guillaume, renvoyée aux enfers il y a quelque trente années… |
Margoton | Tous sourciers et sorcières qui ont professé leurs manigances coupables quand on les a mis à la question au château ! |
Oncle Jules | Mais ces interrogatoires étaient bine cruels. |
Barnabé | De l’eau jusqu’à plus soif, les grésillons bien serrés aux membres ; l’astrapade, allez, allez ! |
Françoise | Oh les malheureux ! La Gestapo. La Guépéou. |
Toinon | Ne les plaignez point, ils avaient tous fauté ! |
Margoton | Une qui n’était point coupable a été relaxée. Mais c’est un grand advocat, Maître Corneille Agrippa, qui l’a défendue. Et ces Messieurs les chanoines du chapitre ont fait emprisonner le procureur qui l’avait enfermée et questionnée, et puis punir les vauriens qui l’avaient accusée à tort. |
Barnabé | T’as dit vrai Margoton. T’en vas maintenant quérir un pichet de vin rosé des Chénaux. Ça remettra la gentille damoiselle qui est un peu effrayée par nos sorcelleries. |
Margoton | J’y va, Barnabé. Et ces bons Parisiens goûteront à notre galette de la fête aussi. |
Oncle Jules | Mais nous ne voudrions à aucun prix vous importuner. |
Margoton | Point d’affaires, point d’embarras, Messire ! On sait recevoir à Wouëppy, quand même on n’est point riches. |
Barnabé | On serait plus à l’aise, nem, sans les horribles guerres là ! Pensez que le village fut encore tout rasé en l’an cinq cent cinquante et quatre. |
Oncle Jules | Quand M. le Duc de Guise défendit Metz contre Charles-Quint. |
Margoton | Tout rasé sauf le château et la Haute Maison, les deux donjons, quoi ! |
François | Ils auraient dû mettre des barbelés, des mines. |
Barnabé | Et tout pour rien. N’y eut point combats ici. (Roulement de tambour) |
Margoton | Tiens voilà le Tûtû qui fait le héraut. Hé la la donc Barnabé, qu’il nous répète son avis céans. Il prendra une goulée avec nous, le cher garçon ? J’m’en va en notre cellier. (Elle sort). |
Tûtû | (à la cantonade) De par le Roy : Il est donné avis à tous nos bons sujets des Trois Evêchés qu’il est interdit à peine d’amende, bastonnade et emprisonnement, voire tous autres châtiments requis par nos officiers de Justice, si besoin en est, d’aller au travers des cultures affermées par la compagnie des tabacs, hormis pour y apporter les soins utiles. Et surtout d’en prélever quelque feuille, hormis par yceux qui en sont chargés et dûment commis à cette besogne. Pour le Roy et par son ordre. Le Gouverneur de Metz. (roulement de tambour) |
François | Déjà des contributions indirectes ! |
Barnabé | Hé, Tûtû ! Vien céans te reposer avec ces bonnes gens venus de l’Ile de France. Margoton t’offrira un gobelet. |
Tûtû | (entre avec son tambour, œil bandé de noir, boitant et courbé) C’est point de refus, Barnabé ! Tournée finie à c’t’heure. Gosier moult à sec. Salut la compagnie, à vous gens du Royaume de France. |
Oncle Jules | Bonjour Monsieur. Que nos vêtements et notre langage ne vous étonnent pas trop… |
Tûtû | J’ai beaucoup roulé ma bosse Messire. Et vu plus étrange beaucoup. |
Oncle Jules | Ainsi donc, sa Majesté prend des mesures pour protéger les cultures de tabac de cette province ? |
Tûtû | Hé oui : Point ne savons si c’est bien ou mal. Les gens ici disent que cette herbe maudite est causse première des vents et averses incessantes depuis Noël dernier. |
Barnabé | Ne parle point de malheur. Il y a sortilèges là dedans : Mr le Gouverneur n’aurait point dû traiter avec cette compagnie de l’herbe à Nicot. |
Françoise | Déjà le monopole des tabacs. |
Tûtû | Les paysans sont en grande colère. Ecoutez : en voici qui viennent vers nous. (rumeurs) |
Françoise | J’allais bien mieux depuis le ballet des petites filles de Woippy, Oncle Jules. Mais voila que j’ai de nouveau la tête lourde et bien sommeil. |
François | Si je voyais la Mère Michel je voudrais bien lui dire deux mots. C’est elle qui machine ces aventures avec son espèce de parfum somnifère, j’en suis sûr ! Où somme-nous encore fourrés maintenant ? |
Oncle Jules | Evidemment dans une mairie. Registre naissance, décès, mariages… Mais ce sont ceux de Woippy ! Sous le second empire ! |
François | (montrant le portait) En voila Napoléon III, le père Badinguet ! |
Françoise | (appelant) Madame Michel, Madame Michel ! Etes-vous par là ? (Rires en coulisse) |
François | On dirait qu’on se fiche de nous par là. (Il va vers la droite : Tiens, voila de gentilles jeunes filles qui viennent ici (Brouhaha). |
Le cavalier | (salue et tend un pli) Un pli de Monsieur le Général Gibon, qui vient d’être grièvement blessé. |
L’officier | (lit, puis :) Monsieur le Maire, Monsieur le général Gibon vient d’être mortellement blessé. Il faudrait une voiture pour le transporter immédiatement au Rucher et, si possible, à Metz ensuite. (Au cavalier) Remonte à cheval, mon ami. Et porte ce pli au galop, au quartier général de Monsieur le Maréchal Bazaine, à Ban-Saint-Martin. |
Le maire | Nous allons voir si l’on peut atteler une voiture à ressorts pour le général. |
Le garde | Les seules convenables sont au château de Ladonchamps. Et, ma foi, ce n’est pas le moment d’aller les y chercher, nem ? (Ils sortent avec le cavalier) |
Françoise | (bas) Mais comment n’ont-ils pas même une ambulance-auto pour transporter ce pauvre général ? |
Oncle Jules | (de même) Françoise, réfléchis ! Nous sommes en 1870. |
François | Décidément, elle est très forte, très forte ! |
L’officier | Qui ça, Monsieur ? Je vous somme de répondre ! |
François | (agacé) La Mère Michel ! (Bruit en coulisse) |
L’officier | Qu’est-ce ? |
L’officier | Votre pli vient d’être transmis à Monsieur le Maréchal Bazaine, mon Général. Ne souffrez-vous pas trop ? |
Général Gibon | (haletant) Je suis fichu, fichu ! Pas de chance. Nommé général avant-hier, ma carrière est terminée. Et pas au moment d’une victoire non d’un chien ! Ah non ! |
L’officier | Vous vous remettrez, mon général, et vous reprendrez les armes, au moment de la victoire ! |
Général Gibon | Vous êtes bien bon, mon ami. Merci. Mais je sais à quoi m’en tenir. |
L’officier | On va vous transporter au Rucher, puis à Metz. (Bruit en coulisse, qui vient par là ?) |
L’officier d’Etat- major |
(Entrant précipitamment salue le général) Je viens d’apprendre votre blessure en arrivant, mon général, et j’en suis désolé. Monsieur le maréchal Bazaine sera au courant dans quelques minutes et va certainement être navré lui aussi. |
Général Gibon | Trop aimable l’un et l’autre. Tout va bien à Ban-Saint-Martin ? Le billard n’est pas abîmé ? |
L’officier d’E-m | Mon Dieu, mon Général, Monsieur le Maréchal reste calme. Mais il s’inquiète un peu de ce qui se passe vers Bellevue, Ladonchamps et les grosses fermes. |
Général Gibon | Il eut aimé avoir des renseignements plus détaillés sur les positions, sur l’ennemi, avant de donner des ordres de repli. Comme toujours, sans doute ? |
L’officier d’E-m | C’est cela ! C’est à peu près cela, je crois, mon général. |
Général Gibon | Eh bien, remontez à cheval, Monsieur, et partez au galop. Vous pourrez dire à Monsieur le Maréchal Bazaine qu’il aurait bien mieux pu se rendre compte de ce qui se passe aujourd’hui, s’il était venu sur place depuis longtemps. |
L’officier d’E-m | Sans doute, sans doute, mais… |
Général Gibon | Et que s’il tient à voir un beau carnage il n’a qu’à se transporter lui- même tout de suite à Bellevue et à Ladonchamps. Adieu Monsieur ! (Il est retombé sur son brancard pendant que les deux officiers saluent, et que le rideau baisse lentement) |
(La canonnade redouble, puis s’apaise. Sonnerie lente de la retraite française, en sourdine ; puis musique de tambours plats et fifres aigus) |
Revue 1957 : « Temps sans tickets ni vignettes » ( 4 actes - 38 scènes ) |
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