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Revue 1957 : « Temps sans tickets ni vignettes ».
Scénario, textes, musique, mise en scène, direction : Paul Sechehaye



UNION de WOIPPY
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Société Postscolaire d’Education artistique et physique
S.A.G. N° 8.425
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P R O G R A M M E
de la Soirée du 24 mars1957, dans la Salle du Lion d'Or à WOIPPY
pour la représentation de
« TEMPS SANS TICKETS NI VIGNETTES »
(La revue 1957)
avec la participation de la Musique et de la Batterie sous
la direction de son Chef, M. A. BRULLOT
et des anciens musiciens amateurs des revues antérieures,
à l’orchestre symphonique
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Le Comité espère que ses efforts pour donner à la représentation un caractère éducatif seront appréciés. Les évènements dont il est question dans le livret sont mentionnés dans le volume que Monsieur René PAQUET a publié en 1878 ; ou bien ils ont été mis en scène d'après les récits de témoins qui ont atteint ou dépassé la soixantaine maintenant !
Il y a bien une demi-douzaine de solécismes, gallicismes et barbarismes au IIème Acte : c’était inévitable pour que tout le public comprenne bien les deux bons gardes Romains. Et puis les acteurs ne parlent certes pas tout à fait le Français du temps de la civilisation chrétienne, ni du Moyen Age, ni même du XVIIème siècle ; les auteurs ont fait de leur mieux pour que ce ne soit pas trop mal dans l’ensemble.
Ainsi les personnes d’âge mur du pays se rappelleront ce qu'elles ont entendu ou ce qu'elles ont lu ; et les Jeunes apprendront quelque peu d'histoire locale. Encadrés et conseillés par des Anciens de l’Union de Woippy, plusieurs sont devenus, depuis un an, acteurs ou musiciens exécutants. Au cours de la soirée aidez-nous, s’il vous plaît, à encourager la bonne volonté des uns et des autres.
Merci d’avance !



TEMPS SANS TICKETS NI VIGNETTES
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ACTE I – La voyante extra-lucide et son chef-illusionniste - Consultation.
ACTE II – Woippy préhistorique. Le plésiosaure - L'époque Gallo-romaine et le premier alambic - La légende du bon Saint-Clément et du graouli.
ACTE III – Début du XVIIème siècle. La sorcellerie - L'émeute du Tabac - Victoire des Messins sur les Luxembourgeois - Grand ballet de l'époque.
ACTE IV – Melle Rose Marcus - Combat de Ladonchamps-Bellevue et le Général Gibon - L'occupation de 1871 à 1918 - Après le 1l novembre 1918 - Final.
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ACTEURS et ACTRICES, PERSONNEL des COULISSES, MUSICIENS de L’ORCHESTRE
(Ceux qui entrent en scène sont mentionnés dès leur première réplique et les noms de tous les Anciens des revues antérieures sont en majuscules)
M. CHARLES
BAMBOULA, GARDE 1850
et 1870
ONCLE JULES
FRANÇOIS
BEBE PRÉHISTORIQUE
Mr. PRÉHISTORIQUE
et MAIRE en 1900
CANELLONI et
MAIRE en 1918
SPAGHETTI et
Ch. GILLES

( J.-C. Calba
R. FEYTE
J. Koch
R. Rossi

) M. KREYENBORG

( P. MOITRY
1ère LORRAINE
2ème   =
3ème   =
4éme   =
MÈRE MICHEL
FRANÇOISE
Mme PRÉHISTORIQUE
et MIMI
MARGOTON et
ROSE MARCUS
TOINON
Joëlle Schwingt
Astrid Kuntz
Arlette Remiatte
Antoinette Dubois
Jeanine Remiatte
M.-Th. KUNTZ

) Nicole Kléman

( Monique Billotte
Cécile Petitjean
GARDE en 1918
LUCIANUS, TUTU et
GENDARME ALLEMAND
St. CLÉMENT, GÉNÉRAL
GIBON, OFFICIER DE
CHASSEURS
BARNABÉ
1er PAYSAN, OFFICIER
en 1870
2éme PAYSAN, PLANTON
3éme PAYSAN, GARDE
en 1900
MAIRE en 1850-1870
OFFIC. d'ÉTAT MAJOR
CAVALIER, CHASSEUR
) J. FLAUDER

( A. Kléman


) J. Cantener
G. Brice

( M. Gusse
G. Koch

) M. Remiatte
J.-M. Gilles
J. Kuntz
J.-M. Tiné
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Le corps de ballet sous la direction de Sr. SCHNEIDER qui a composé les figures, les pas et habillé les Lorraines avec le concours de l'atelier de couture de Sr. BARDA.
Mesdemoiselles :
Françoise ALBARÈDE, Danièle FEYTE, Michèle GNAD, Marie-Paule GUSSE, Josyane GUSSE, Geneviève HENNEQUIN, Marie-José HAFFENMAYER, Maryse HASSELMANN, Monique LABBÉ, Madeleine SIDOT, Lucette TAILLEUR, Marie-Paule YVAN.
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METTEUR EN SCÈNE : M. J. HOFFMANN – RÉGISSEUR : M. R. THIRIET – SOUFFLEUR : M. G. MOITRY - CHEF-MACHINISTE : M. P. KOPP - CHEF-ÉLECTRICIEN : M. Ch. GILLE.
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A 1’orchestre :
Piano d'accompagnement : Mmes SCHWARTZ et S. – Violons : M. WARDEMANN et son équipe fidèle – Violoncelle : M. THIEBAUT - Clarinette : M. A. MANGENOT-NEU - Trompette : M. GITZHOFFER – Saxophone : M. BILLOTTE – Trombone : M. SIDOT – Batterie : M. J. BOTT.

Mme Odette SCHWINGT et ses aides au Salon de Maquillage. Mme Pierrette BAZIN.
Les décors sont de M. R. STEFFENS - Affiches, Tableaux et accessoires de l'Atelier du Vieux Château.
 

- Quelques extraits de la revue 57 -

Début du spectacle
Ouverture par l’orchestre
Avant la fin de l’ouverture quatre jeunes Lorraines entrent en scène devant le rideau.
Semblant dire quelques mots à l’oreille et reconnaître des personnes de la salle qu’elles désignent discrètement et expriment par gestes leur étonnement de voir la salle si bien remplie. A la fin de l’ouverture elles applaudissent les musiciens puis l’une d’elles dit : « A nous maintenant, s’il vous plaît, chef ! »
Elles chantent alors :
Prologue
Toutes Cher public voici que nous allons
Rejouer encore une revue
Notre « Union » réveillée se remue
Et reprends ses bonnes traditions
On pensait bien que c’était fini
Mais non : rien n’est impossible en France
Et, crac, voila que tout recommence
Quand on croit tout perdu à Woippy !
1ère Lorraine Nous jouerons quelques scènes ce soir
Du passé de notre cher village
2éme Lorraine Des siècles d’antan, du moyen âge
Des temps modernes, Vous allez voir
3ème Lorraine Des événements qu’un érudit
Monsieur Paquet a dans son histoire
4ème Lorraine Très documentée vous pouvez croire
Si bien jadis écrit sur Woippy !
Toutes Attention ! Taisons-nous !
Voici les trois coups !

(A la fin de leur chant les jeunes filles rentrent derrière le rideau pendant que retentissent les battements annonçant les trois coups. Aux trois coups le rideau se lève.)
Acte I (5 scènes)
Décor : Salle de consultation d’une voyante. Eclairage discret, animaux empaillés, pancartes avec signes cabalistiques, du zodiaque, étoiles, etc…
Scène 3
Mère Michel, Oncle Jules.
(...) (...)
Mère Michel Je suis votre servante dévouée et vous écoute.
Oncle Jules Ma nièce Françoise, orpheline, est fiancée, tout le monde le sait, avec François, ce beau garçon, capitaine célèbre déjà de l’équipe 1ére du Football-Club de Woippy-les Quatre-Bornes.
Mère Michel Ils feront un couple parfait.
Oncle Jules Ils s’aiment passionnément.
Mère Michel Naturellement. Avant, c’est toujours au moins un peu comme cela.
Oncle Jules Mais, de nos jours, les enfants ont des idées assez arrêtées. Sans doute ont-ils vu trop de films, lu de livres et publications où des auteurs dont le cerveau est en ébullition ont exprimé des idéologies saugrenues, ou bien écrit des calembredaines et découpé des cheveux en quatre.
Mère Michel Dans le sens de la largeur.
Oncle Jules Mes deux fiancés ont donc encore des discussions interminables parfois. Ah, de mon temps, on n’allait pas chercher si loin !
Mère Michel Comptez sur moi pour vous aider, Monsieur le Doyen.
Oncle Jules L’un dit que la vie actuelle est pleine de charmes et méprise tout ce qu’on appréciait jadis. Et ma nièce, plus cultivée, affirme que la civilisation trop poussée de notre siècle est néfaste et dangereuse même. Ils parlent, se chamaillent, se boudent ; et j’en suis contrarié, je l’avoue ! J’en suis fort contrarié !
Mère Michel Je pense que je pourrai leur suggérer, après quelques petites manifestations bien réglées, quelques visions habilement machinées, d’être moins entêtés. L’amour aidant, ils n’auront plus de sujets de discords entre eux.
Oncle Jules Ce sera certainement parfait, chère madame. Entre nous, je n’ignore pas que vous n’avez pas une confiance absolue dans les forces occultes (Mère Michel lui fait signe de parler bas). Mais vous êtes fort instruite, intelligente, adroite et de bon conseil ; et jamais, dans la région, l’on n’a entendu dire un mot qui ne soit à la louange de votre honnêteté professionnelle et de votre charité.
Mère Michel Vos éloges sont la plus belle des récompenses.
Oncle Jules Mais je tiens cependant, dès maintenant, chère Madame, à vous régler la note de vos honoraires pour notre consultation.
Mère Michel Du tout, du tout, Monsieur le Doyen. Entre nous c’est absolument à titre gracieux.
Oncle Jules Je vous en prie. Je n’ignore pas que vous avez des frais, un personnel compétent, dévoué et discret, de merveilleux appareils remarquablement mis au point par M. Charles Gille… Voici donc quelques billets à l’effigie de ce bon cardinal de Richelieu. Un grand ministre, qui n’a jamais parlé, lui, de supprimer le privilège des bouilleurs de crû. (La mère Michel prend les billets)
Mère Michel C’est trop, c’est beaucoup trop, 10.000 francs.
Oncle Jules Mais non ! Pensez qu’on payait au printemps 1956 jusqu’à 500 francs une toquée de laitue minuscule et 100 francs un seul poireau !
Le perroquet (en coulisse) Marci bocop ! Encorrr, encorrr !
Oncle Jules Qu’est-ce que c’est ?
Mère Michel C’est Athanase, mon perroquet savant, Monsieur le Doyen.
Oncle Jules Ah, très drôle, très amusant ! (Sonnerie) Mais voici sans doute les enfants.

Scène 5
(la fin)
(...) (...)
Mère Michel Oh mais ce n’est pas fini ! Ce n’est qu’un prélude, un début. Maintenant le grand tralala du grand mystère (elle fait des préparatifs, allume des parfums, etc.) Ecoutez, regardez, silence ! Esprit des Prophètes à moi, Caramba (elle répète plus fort en tapant du pied). Obscurité, puis lumière diffuse. Musique de berceuse en sourdine. La Mère Michel fait des gestes des mains vers ses hôtes)
Oncle Jules (baillant) Excusez-moi, j’ai tellement sommeil, Madame Michel.
Françoise Quel étrange parfum, Madame Michel.
François J’aimerais mieux fumer une gi. gi ; gitane ou une cra. cra. craven… Mais j’ai trop som. som. sommeil pour l’allllu…
(ils s’endorment tous les trois pendant que le rideau tombe lentement)

Acte 2 (10 scènes)
Décor : Bois, rochers avec gravures très primitives. Restes d’un foyer allumé entre trois grosses pierres.

Fin de la scène 4

(...) (...)
Oncle Jules Nous assistons à un bouleversement de l’écorce terrestre qui va se crevasser ou d’innombrables gouffres où l’eau des mers précipitée rejaillira en masses de vapeurs cependant que des volcans nouveaux vomiront des trombes de feu et de scories et de lave ! (Tonnerre de plus en plus fort et sec, éclairs prolongés) Où fuir ?
Françoise Oncle Jules, quelle horreur !
Oncle Jules (à l’homme faisant signe qu’il faudrait aller plus loin) Où aller ? Où ça, bon sang ?
Homme (désignant la gauche d’un geste incertain) Groutts, groutts…
Oncle Jules Des cavernes, des grottes profondes peut-être ? Fuyons en tout cas ! (ils vont se mettre en route. (éclairs, tonnerre, vent)
François Héla ! la sale bête ! Et elle pue !
Homme Graoull, graoull, frouss !(on voit surgir à droite une énorme tête vipérine dont les mâchoires claquent, et une griffe puissante avance en-dessous)
Françoise Oh ! Oh ! Oh !
Femme Ah ! Ah ! (Toutes deux se sauvent avec l’enfant)
Homme (brandissant massue) Hrron, hrron !
François (tirant plusieurs coups de pistolet sur la tête) Tiens, saloperie, prends toujours ça ! (la tête s’affaisse) Obscurité.

Scène 7
François (entre rapidement en scène) Mais où diable sommes-nous cette fois ? Que font là ces deux romains ? Ce n’est pourtant pas le carnaval ?
Canelloni Lento, lento, Puer ! Festina, sed non troppo. In medio stat virtus.
Oncle Jules Mais nous voici en pleine époque gallo-romaine. Cette Mère Michel est vraiment très forte. (aux gardes Romains) Ita, ita, Bene. Hic est Woippy, svp ?
Spaghetti Pro jove ! Tu es Romanus,
Oncle Jules Non, Galli summus. Sed Magister ---, in maxime schola pro juventute.
Slave. Bonjour Mademoiselle.
Mimi Salut, ô Gaulois de Gaule.
Spaghetti (vers le fond) Hic : Doma nova.
Mimi Il dit que par là c’est maison-Neuve.
Spaghetti (vers la salle)Hic : Woippya ; iter ad Briey, via Lorry aut Saulny aut Norroy.
François Oh mais je le comprends très bien, moi, qui n’ai jamais pu apprendre un mot de latin.
Françoise Mademoiselle, ces deux gardes Romains assurent la circulation à ce carrefour, semble-t-il ?
Mimi En effet, ils exécutent les ordres pour éviter les accidents à cet endroit dangereux.
(...) (...)
Mimi Les Romains pour nous ne sont point malfaisants, frère Gaulois. Leur légion et leurs esclaves ont fondé cette Via Appia, utile à tous.
Oncle Jules Ils occupent n’est-ce pas, tous les pays sans brutalité ; et en y construisant beaucoup, en somme ?
Mimi Ils ont bâti des maisons et basiliques, des ponts ; et même un grand aqueduc qui conduit au-dessus du fleuve Moselle les eaux pures de Gorze à Divodorum.
(...) (...)

Scène 8
Lucianus (entrant avec une corbeille enveloppée) Ave Canelloni et Spaghetti. Va bene ? salut étrangers à ce pays. (tous répondent à son salut)
Oncle Jules Nous serions heureux de goûter une boisson aussi glacée que possible, et de préférence un produit du pays. Ce que vous avez de meilleurs
Lucianus Comme ce « Deus ex machina », je vais satisfaire vos désirs sur le champ. Et pour 3 écus seulement. J’ai justement dans cette corbeille une liqueur divine de ma composition. Depuis l’hiver dernier dans ma cave profonde elle st enfouie sous de la glace prise à l’étang Léty.
François Comment l’appelez-vous Monsieur Lucianus ?
Lucianus Je n’ai pas encore choisi son nom. C’est un mélange de fruits de Woippy obtenu par hasard.
Françoise Alors c’est un Woippy-cocktail.
Lucianus Woippy-cocktail ! On ne sait pas ce que cela veut dire. Mais ça sonne bien, et ça fait curieux. Donc : Woippy-cocktail !
Tous Woippy-cocktail !
Lucianus Mais il faut la boire suivant un rite que j’ai fixé moi-même, pour en obtenir un effet rafraîchissant en été et réchauffant et reconstituant en hiver.
Oncle Jules C’est fort intéressant et curieux.
Lucianus Chacun prend un gobelet (il en distribue) que je remplis (il verse à la ronde). Après quoi, chacun le lève en disant : « A la vôtre » et « Jusqu’au fond ». Alors l’un de dégustateur compte : un, deux, trois, à une allure plus ou moins précipitée, suivant les circonstances. A « trois », les gobelets doivent être vides.
François Comme combine de bistrot cela me paraît astucieux. Mais un peu inquiétant pour la suite.
Lucianus Attention. C'est moi qui offre la première tournée de démarrage. « A la vôtre » et « Jusqu’au fond » (tous répètent). Un... deux... trois ! (tous boivent en trois fois, les deux jeunes filles respirent bruyamment)
Oncle Jules C'est excellent et glacé. Mais je crains que ce ne soit un peu fort en alcool, Monsieur Lucianus ?
François C'est vrai que ça ravigote. c'est à base de mirabelles.
(...) (...)
(...) (...)
Après plusieurs tournées, tout le monde s'affaise et s'endort. Rideau.

Scène 9
Même décor. La borne romaine a été remplacée par une croix.
Oncle Jules, François, Françoise.
(Les trois se réveillent et se lèvent en se frottant les yeux)
François Cette Mère Michel, elle en connaît tout de même des trucs ! Je ne l'aurais jamis cru. C'est elle qui nous en fait voir aussi de toutes les couleurs !
Françoise Comme illusionniste, elle n'en craint pas. Et dire qu'elle nous possède ainsi, sans que nous puissions même protester... On ne le voit plus !
Oncle Jules Mes enfants, ce carrefour ressemble fort à celui de la Via Appia avant les rafraîchissements de ce bon Lucianus. Oui, oui, nous y sommes encore.
François Mais les deux copains de la VIe Légion ne sont plus là. Ni la jolie Mimi.
Françoise Il y a une croix maintenant
Oncle Jules Je ne vois pas la cathédrale de Metz qui devrait être par là, derrière cette chaumière. Mais sans doute mes enfants, j'y pense, elle n'est pas encore commencée !
François Pas commencée ? Tiens, je ne vois pas non plus le pont du chemin de fer ; il est vrai qu'il est si souvent en réparation.
Françoise Oncle Jules, il n'y a ni pommes de terre ni fraises dans les champs. Et ce sont des humbles maisonnettes qu'on aperçoit, ça et là !
Oncle Jules Françoise, ce n'est qu'à la fin du XVIIe siècle que l'on appréciera les pommes de terre en Farnce... et les fraises ne seront cultivées à Woippy que deux siècles encore plus tard ! Or nous en sommes loin, je crois.
François Voilà du populo qui radine du côté de la grange aux Dames, si nous sommes bien là où nous croyons.
Oncle Jules En effet, en effet, François.
Françoise On entand des cloches et clochettes, des chants, un murmure...
Oncle Jules Mais c'est une procession. Aux costumes que j'aperçois, je crois pouvoir affirmer que nous sommes au premier siècle après Jésus-Christ. C'est bouleversant quand j'y pense.
Françoise Pourtant ce ne sont pas les Rogations ni la Fête-Dieu, ni le 15 août.
Oncle Jules Naturellement ! Surtout que le 15 août ne sera férié dans notre patrie qu'àprès le bon roi Louis XIII.
François Oui, oui ! C'est une procession. Mais sans les pompiers et sans l'harmonie. Elle vient.

Scène 10
Les mêmes. Saint Clément. Un clerc porte-crosse. Enfants avec encensoir et clochette. Hommes, femmes et enfants.

(Chant)
Dans les campagnes, l'hiver comme l'été
On craignait le Graouli
Gloire au Seigneur qui a permis aujourd'hui
Qu'avec satan les sorciers et le sorcières
Retourne pour l'éternité
Le monstre aux horrifique mâchoires
Amen. Amen.
(La procession est entrée en scène. A la fin du chant Saint-Clément s'avance vers Oncle Jules, François et Françoise qui ont mis un genou à terre et s'inclinent)
Saint Clément Benedictat uns Omnipotens Deus.
La foule Amen.
Saint Clément Relevez-vous, mes fils. Nous allons nous arrêter quelques minutes auprès de cette croix. Vous êtes étrangers à ce diocèse ?
Oncle Jules Nous venons de Lutèce, Monseigneur. Nous voyageons pour compléter l'instruction de ces deux enfants, dont j'ai la garde. Et je suis moi-même professeur en une grande université... et votre humble serviteur !
Saint Clément Bienvenue dans notre diocèse, Maître. En ce Val de Metz, en grande liesse en ce jour.
François Que votre Grandeur daigne me pardonner si je me permets de lui poser une quetion...
Saint Clément Parle, mon enfant. Ton langage est un peur estrange à notre entendement, ainsi que celui de ce vénérable Magister. Mais il est respectueux et vénérable.
Françoise (bas) Pour une fois, en effet !
François Nous nous demandons à quelle occasion avait lieu cette édifiante procession, Monseigneur ; car il n'est point coutume de ce genre à Lutèce, ni aux alentours en cette époque de l'année.
Françoise (bas) Oh mais quel progrès !
Saint Clémént Nous pouvons vous dire, mes chers fils, de quoi vous inquiéter. Nous venons, par la Grâce divine et l'aide du Saint Esprit, de détruire un monstre affreux et malfaisant, et cinq progénitures malpuantes d'ycelui.
Oncle Jules Le graouli ! Saint Clément !
(...) (...)

Acte III (7 scènes)
Décor. Devant une chaumière. table, tabourets rustiques. cruche et bols en terre.

Scène 1
Oncle Jules, François, Françoise.
François Eh bien dans quel bled sommes-nous tombés ? Voilà certainement encore un tour de la Mère Michel, à la suite de notre consultation.
Oncle Jules Il me semble que j’aperçois par là les créneaux de la Haute-Maison.
François Mais vous ne pouvez pas voir, en tout cas les couronnes de Funé-France ?
Françoise Seulement, Oncle Jules, je ne vois pas le clocher de l’église. On devrait naturellement le voir.
François Et toutes ces maisons sont couvertes de chaume. C’est peut-être la dernière trouvaille du M.R.L… en ciment d’argile et paillassons préfabriqués… 10 % de matière solide.
Oncle Jules Nous sommes pourtant bien à Woippy, mes enfants. Voici, là-bas, la cathédrale de Metz. C’est bien elle. Il n’ya a pas d’erreur.
Françoise Mais sans la flèche du temple protestant cependant, près de la piscine.
(...) (...)

Scène 3
Les mêmes. Margoton. Barnabé. Toinon.
(...) (...)
Barnabé Ah le beau parleur, enjôleur ! Allons vous êtes franc luron et paraissez bons compagnons tous trois. Et point sorcier du tout.
Margoton Dieu soit loué ! Tant mieux ! Autrement vous auriez été tôt et bien estranglés et bruslés par Maître Anthoine l’exécuteur des haultes œuvres de la bonne ville de Metz, notre bon bourreau.
Françoise Quelle horreur !
François Tu vois qu’il ne faisait pas si bon autrefois ?
Barnabé Autrefois ! Au jour d’aujourd’hui encore, oui da ! Il faut bien détruire les vilains qui font des sortilèges, jettent des sorts, font périr les bêtes et les moissons, et la vigne… et les chrétiens item.
Margoton Tout ce maudit monde se réunit souvent, les nuits de tempêtes surtout, sur le St-Quentin. Les sorcières y volent à cheval sur des manches à balais. Et puis bonnes gens, aux douze coups de minuit il y a des sabbats d’horrifiques orgies !
François Au sabbat, ça bat, là-bas son plein…
Françoise Tout de même on n’est pas sûrs de toutes ces horreurs ?
Barnabé Vrai comme évangile. Et le Mangin Maréchal brûslé voici six années passées, et la Colcotte, femme du Tournois Guillaume, renvoyée aux enfers il y a quelque trente années…
Margoton Tous sourciers et sorcières qui ont professé leurs manigances coupables quand on les a mis à la question au château !
Oncle Jules Mais ces interrogatoires étaient bine cruels.
Barnabé De l’eau jusqu’à plus soif, les grésillons bien serrés aux membres ; l’astrapade, allez, allez !
Françoise Oh les malheureux ! La Gestapo. La Guépéou.
Toinon Ne les plaignez point, ils avaient tous fauté !
Margoton Une qui n’était point coupable a été relaxée. Mais c’est un grand advocat, Maître Corneille Agrippa, qui l’a défendue. Et ces Messieurs les chanoines du chapitre ont fait emprisonner le procureur qui l’avait enfermée et questionnée, et puis punir les vauriens qui l’avaient accusée à tort.
Barnabé T’as dit vrai Margoton. T’en vas maintenant quérir un pichet de vin rosé des Chénaux. Ça remettra la gentille damoiselle qui est un peu effrayée par nos sorcelleries.
Margoton J’y va, Barnabé. Et ces bons Parisiens goûteront à notre galette de la fête aussi.
Oncle Jules Mais nous ne voudrions à aucun prix vous importuner.
Margoton Point d’affaires, point d’embarras, Messire ! On sait recevoir à Wouëppy, quand même on n’est point riches.
Barnabé On serait plus à l’aise, nem, sans les horribles guerres là ! Pensez que le village fut encore tout rasé en l’an cinq cent cinquante et quatre.
Oncle Jules Quand M. le Duc de Guise défendit Metz contre Charles-Quint.
Margoton Tout rasé sauf le château et la Haute Maison, les deux donjons, quoi !
François Ils auraient dû mettre des barbelés, des mines.
Barnabé Et tout pour rien. N’y eut point combats ici. (Roulement de tambour)
Margoton Tiens voilà le Tûtû qui fait le héraut. Hé la la donc Barnabé, qu’il nous répète son avis céans. Il prendra une goulée avec nous, le cher garçon ? J’m’en va en notre cellier. (Elle sort).

Scène 4
Oncle Jules, François, Françoise, Barnabé, Toinon puis Tûtû.
Tûtû (à la cantonade) De par le Roy : Il est donné avis à tous nos bons sujets des Trois Evêchés qu’il est interdit à peine d’amende, bastonnade et emprisonnement, voire tous autres châtiments requis par nos officiers de Justice, si besoin en est, d’aller au travers des cultures affermées par la compagnie des tabacs, hormis pour y apporter les soins utiles. Et surtout d’en prélever quelque feuille, hormis par yceux qui en sont chargés et dûment commis à cette besogne. Pour le Roy et par son ordre. Le Gouverneur de Metz. (roulement de tambour)
François Déjà des contributions indirectes !
Barnabé Hé, Tûtû ! Vien céans te reposer avec ces bonnes gens venus de l’Ile de France. Margoton t’offrira un gobelet.
Tûtû (entre avec son tambour, œil bandé de noir, boitant et courbé) C’est point de refus, Barnabé ! Tournée finie à c’t’heure. Gosier moult à sec. Salut la compagnie, à vous gens du Royaume de France.
Oncle Jules Bonjour Monsieur. Que nos vêtements et notre langage ne vous étonnent pas trop…
Tûtû J’ai beaucoup roulé ma bosse Messire. Et vu plus étrange beaucoup.
Oncle Jules Ainsi donc, sa Majesté prend des mesures pour protéger les cultures de tabac de cette province ?
Tûtû Hé oui : Point ne savons si c’est bien ou mal. Les gens ici disent que cette herbe maudite est causse première des vents et averses incessantes depuis Noël dernier.
Barnabé Ne parle point de malheur. Il y a sortilèges là dedans : Mr le Gouverneur n’aurait point dû traiter avec cette compagnie de l’herbe à Nicot.
Françoise Déjà le monopole des tabacs.
Tûtû Les paysans sont en grande colère. Ecoutez : en voici qui viennent vers nous. (rumeurs)

Acte 4 (16 scènes)
Décor : Salle de la mairie de Woippy au XIXe siècle. Portrait de l’Empereur Napoléon III.

Scène 1
Oncle Jules, François, Françoise.
Françoise J’allais bien mieux depuis le ballet des petites filles de Woippy, Oncle Jules. Mais voila que j’ai de nouveau la tête lourde et bien sommeil.
François Si je voyais la Mère Michel je voudrais bien lui dire deux mots. C’est elle qui machine ces aventures avec son espèce de parfum somnifère, j’en suis sûr ! Où somme-nous encore fourrés maintenant ?
Oncle Jules Evidemment dans une mairie. Registre naissance, décès, mariages… Mais ce sont ceux de Woippy ! Sous le second empire !
François (montrant le portait) En voila Napoléon III, le père Badinguet !
Françoise (appelant) Madame Michel, Madame Michel ! Etes-vous par là ? (Rires en coulisse)
François On dirait qu’on se fiche de nous par là. (Il va vers la droite : Tiens, voila de gentilles jeunes filles qui viennent ici (Brouhaha).

Scène 7

Le cavalier (salue et tend un pli) Un pli de Monsieur le Général Gibon, qui vient d’être grièvement blessé.
L’officier (lit, puis :) Monsieur le Maire, Monsieur le général Gibon vient d’être mortellement blessé. Il faudrait une voiture pour le transporter immédiatement au Rucher et, si possible, à Metz ensuite. (Au cavalier) Remonte à cheval, mon ami. Et porte ce pli au galop, au quartier général de Monsieur le Maréchal Bazaine, à Ban-Saint-Martin.
Le maire Nous allons voir si l’on peut atteler une voiture à ressorts pour le général.
Le garde Les seules convenables sont au château de Ladonchamps. Et, ma foi, ce n’est pas le moment d’aller les y chercher, nem ? (Ils sortent avec le cavalier)
Françoise (bas) Mais comment n’ont-ils pas même une ambulance-auto pour transporter ce pauvre général ?
Oncle Jules (de même) Françoise, réfléchis ! Nous sommes en 1870.
François Décidément, elle est très forte, très forte !
L’officier Qui ça, Monsieur ? Je vous somme de répondre !
François (agacé) La Mère Michel ! (Bruit en coulisse)
L’officier Qu’est-ce ?

Scène 8
Oncle Jules, François, Françoise, l’officier, le planton, le général Gibon, brancardiers.
(Les brancardiers entrent portant le général bandé… couché.)
L’officier Votre pli vient d’être transmis à Monsieur le Maréchal Bazaine, mon Général. Ne souffrez-vous pas trop ?
Général Gibon (haletant) Je suis fichu, fichu ! Pas de chance. Nommé général avant-hier, ma carrière est terminée. Et pas au moment d’une victoire non d’un chien ! Ah non !
L’officier Vous vous remettrez, mon général, et vous reprendrez les armes, au moment de la victoire !
Général Gibon Vous êtes bien bon, mon ami. Merci. Mais je sais à quoi m’en tenir.
L’officier On va vous transporter au Rucher, puis à Metz. (Bruit en coulisse, qui vient par là ?)

Scène 9
Les mêmes. Officier d’Etat-major.
L’officier d’Etat-
major
(Entrant précipitamment salue le général) Je viens d’apprendre votre blessure en arrivant, mon général, et j’en suis désolé. Monsieur le maréchal Bazaine sera au courant dans quelques minutes et va certainement être navré lui aussi.
Général Gibon Trop aimable l’un et l’autre. Tout va bien à Ban-Saint-Martin ? Le billard n’est pas abîmé ?
L’officier d’E-m Mon Dieu, mon Général, Monsieur le Maréchal reste calme. Mais il s’inquiète un peu de ce qui se passe vers Bellevue, Ladonchamps et les grosses fermes.
Général Gibon Il eut aimé avoir des renseignements plus détaillés sur les positions, sur l’ennemi, avant de donner des ordres de repli. Comme toujours, sans doute ?
L’officier d’E-m C’est cela ! C’est à peu près cela, je crois, mon général.
Général Gibon Eh bien, remontez à cheval, Monsieur, et partez au galop. Vous pourrez dire à Monsieur le Maréchal Bazaine qu’il aurait bien mieux pu se rendre compte de ce qui se passe aujourd’hui, s’il était venu sur place depuis longtemps.
L’officier d’E-m Sans doute, sans doute, mais…
Général Gibon Et que s’il tient à voir un beau carnage il n’a qu’à se transporter lui- même tout de suite à Bellevue et à Ladonchamps. Adieu Monsieur ! (Il est retombé sur son brancard pendant que les deux officiers saluent, et que le rideau baisse lentement)
(La canonnade redouble, puis s’apaise. Sonnerie lente de la retraite française, en sourdine ; puis musique de tambours plats et fifres aigus)


Revue 1957 : « Temps sans tickets ni vignettes »
( 4 actes - 38 scènes )

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