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Revue 1952 : « Fraises de gueules sur chants gais ».
Scénario, textes, musique, mise en scène, direction : Paul Sechehaye
Quelques extraits
Les Sténos | (chantent et dansent} Nous sommes les jolies auxiliaires Des Messieurs travaillant du cerveau Et sans nous ils ne pourraient rien faire Nous sommes les f leurs de leurs bureaux Si vous avez une secrétaire Qui vous tape bien et vous sourit Ah Messieurs, ah laissez-la donc faire Et vous n'aurez plus de soucis ! |
Huissier chef | (entre par le couloir central vers la scène) Mes demoiselles, Misses, Fräulein ! S’il vous plaît Mesdemoiselles. |
1ère Sténo | Zut ! |
Huissier Chef | Mesdemoiselles Signorinas… |
2ème Sténo | Oh la barbe, quoi ? |
Huissier chef | Señoritas, je vous en prie. |
3ème Sténo | Mais quoi donc enfin ? |
Huissier Chef | Il n'est plus l'heure de chanter ni de danser, donc soyez sérieuses, je vous le demande avec une grande insistance. (Il monte en scène) |
4ème Sténo | Ne le sommes nous pas, ô puissant chef Huissier de la DINGOT ? |
Huissier chef | Pas suffisamment certes ! Quand on a l'honneur d'appartenir à une mondiale organisation qui fait régner la paix sur le terrestre globe, on doit rester calme et recueilli quelques instants au moins avant les importantes réunions. |
1ère Sténo | Comme si nous ne nous embêtions déjà pas assez pendant les sus-dites réunions ! |
Huissier Chef | Pénétrez-vous toutes du primordial rôle que vous jouez actuellement. |
2ème Sténo | Dans la revue de Woippy ? La 20éme Revue ? |
Huissier Chef | Certes non, enfants irréfléchies et impudentes. |
3ème Sténo | Impudentes ! (Elle lui tire la langue) |
Huissier Chef | Du rôle que vous jouez dans le monde. Dans cette organisation mondiale, la DINGOT, la Domination Interalliée des Nations Gardiennes de l’Ordre Transcontinental ! |
4ème Sténo | Fille surnaturelle et héritière de la défunte O.N.U. en 1960. |
Huissier Chef | Oui Mesdemoiselles, notre sublime DINGOT veille au maintien de la paix… |
lère Sténo | Par le désarmement des nations qui ne sont pas d’accord. |
Huissier Chef | Au bien être social, intellectuel et moral des peuples par des échanges, des commerces fructueux, des pools... |
2ème Sténo | Profitables à ceux qui vendent, même Mr Schumann s’occupe des pools... |
Huissier Chef | Par des consortiums, des règlements de changes, de monnaies avantageuses |
3ème Sténo | Ils devraient bien, au Comité, faire baisser le change au Luxembourg alors. |
4ème Sténo | Pour qu’on puisse aller y acheter à meilleur compte, des nylons, du tabac et du chocolat comme le 12 octobre 1951 avec l’Union des Chorales. |
1ère Sténo | Sans être embêtés au retour par la Douane comme Ginette |
Huissier Chef | Enfin Mesdemoiselles, il y a cet après-midi une réunion assez grandiose et spectaculaire, vous ne l’ignorez pas, encore que le quart seulement de MM. les Délégués des Nations de semaine y prennent part. Et voyez déjà le public dans la salle. |
2ème Sténo | Oh j’ai déjà vu, il y a un jeune militaire fort bien là-bas au 5e rang. |
3ème Sténo | Dis donc toi, ne t’intéresse pas à mon danseur des Relève Selles, s'il te plait, n’est-ce-pas ? |
4ème Sténo | Ah c'est lui ? Je ne l’avais pas reconnu tout à l’heure dans le couloir quand il m’a embrassée dans le cou. |
Huissier Chef | Mesdemoiselles, c'est navrant, désolant prespu’écœurant d’avoir de telles conversations. |
1ère Sténo | Parle toujours vieux Pontife ! |
Huissier Chef | Pontife, vieux Pontife, je me plaindrai à… |
2ème Sténo | Vieux rabat-joie ! |
3ème Sténo | Allez les amies, il faut nous détendre avant la séance. |
4ème Sténo | A bas le vieux croquemitaine. (Elles lui tirent la langue, lui font des pieds de nez et recommencent à chanter et à danser pendant qu’il lève les bras au ciel. A la fin du couplet, sonnerie prolongée d’un timbre) |
Huissier Chef | (Sursautant) Le coup de timbre ! Le premier coup de grâce, Mesdemoiselles allez préparer. Pour l’honneur de la maison. |
1ère Sténo | Cette fois allons y, écoutons Monsieur le Puissant Huissier Chef. |
2ème Sténo | Sortons nos crayons, blocs et machines et tâchons de tout entendre. |
3ème Sténo | Tout prendre. |
4e Sténo | Tout comprendre et tout écrire. |
1ère Sténo | Tout traduire. |
2ème Sténo | Et de pouvoir nous relire surtout. |
3ème sténo | Gagnons nos postes. Le mien est mauvais, je ne vois que des crânes de vieux délégués ou des chinions de vieilles déléguées. |
4ème sténo | Mais le mien est parfait, je fais de l’œil à un petit attaché Suisse charmant ; un petit Suisse tout crémeux, tout sucré-rougissant. (Elles sortent en chantant) |
L'Huissier Chef | Elles sont d’une insolence. Ah si la place n’était pas si avantageuse. (On frappe) Entrez ! (Il va ouvrir et salue) |
Délégué Français | Bonjour cher Monsieur Dupont-Popoff. |
Huissier Chef | Monsieur le Délégué, mes respects |
Délégué Français | Un mot seulement en passant. |
Huissier Chef | A vos ordres, à votre service Monsieur le Délégué. (Ils parlent tout bas) |
Délégué Français | Mon gouvernement attache une grande, très grande importance à tout ce qui concerne ces nouveaux états créés sur les anciennes frontières et désire avoir rapidement tous renseignements confidentiels. |
Huissier Chef | Parfaitement, compris, Monsieur de Délégué. |
Délégué Français | On a été très satisfaits à Paris de vos indications en dernier lieu, notamment sur ce pays au Nord de Metz, en Moselle. |
Huissier Chef | Oh, je les tenais de source sûre ! D’un cantonnier municipal toujours dans les rues et très attentif, un Monsieur Lucien. J’ai dû le rétribuer un peu. |
Délégué Français | Voici un chèque Monsieur Dupont-Popoff, c’est peu sans doute, mais je sais que pour votre patrie vous vous sacrifiez ! |
Huissier Chef | Merci merci Monsieur le Délégué, je suis en effet dévoué corps et âme à la patrie de ma première mère présumée, la France |
Délégué Français | De votre mère présumée, Monsieur Dupont-Popoff ? |
Huissier Chef | Hé oui, Monsieur le Délégué, je suis né pendant un naufrage sur un navire américain, en même temps que deux jumeaux, un garçon et une fille dont la mère était anglaise. Dans le désarroi on a mélangé les 3 bébés ! Alors vous comprenez la situation dans laquelle nous sommes tous les trois, les jumeaux et moi, nés ensemble dans les eaux territoriales du Danemark. |
Délégué Français | Enfin, on vous a attribué à la mère Française dont le mari était Russe je crois ? Et vous êtes bien sûr en tous cas de ne pas être la petite jumelle. |
Huissier Chef | En effet, en effet, mais le hasard pourrait faire que j’épouse ma sœur un jour ! Dont le père, lui, était Hollandais. |
Délégué Français | Vous êtes tous indiqués pour faire partie du personnel de la DINGOT avec tant de nationalités d’origine ou présumées. |
Huissier Chef | Mon cœur est Français donc Monsieur le Délégué, comptez sur moi. |
Délégué Français | Merci, merci, je me sauve. J’avais attendu que vous soyez seul pour vous entretenir, au revoir, au revoir. |
Huissier Chef | Toutes des petites volailles faisaient les folles ici, pardonnez-moi le mot, Monsieur le Délégué. (Il lui ouvre la porte et salue) |
Délégué Français | Bah, il faut bien que jeunesse de passe. (Il sort) |
Huissier Chef | (Comptant sur son chèque) Au cours des changes cela ne fait que 300 dollars. La journée commence mal. (La porte s’ouvre, l’huissier chef cache vivement son chèque) |
Délégué Allemand | Ach Herr Wilhelm Popoff bitte ! |
Huissier Chef | Zum Befehln Excellenz ! |
Délégué All. | Ich wolte nür einige Worte tagen Herr Wilhelm Popoff. (Il se rapproche de lui et lui parle bas) Wir wollen ganz genau wissen. (Il continue en chuchautant) |
Huissier Chef | (De temps à autre) Ya... Ya... Excellenz. |
Délégué All. | (Terminant plus haut) Wir waren sehr zu frieden letzte Mahl. So will ich Ihnen etwass geben von Berlin. (Il remet un paquet de billets de banque à l’huissier chef) So... So... |
Huissier Chef | Ich danke... |
Délégué All. | So, so, gut ! Arbeiten sie noch so gut. Deutschland vird noch einmal uber alles, Heil Heil ! (Il lève le bras) |
Huissier Chef | (Même jeu) Heil, Heil, Heil Deutschland. |
Délégué All. | Und jetz aufwiedersehen ! Au revoir ! |
Huissier Chef | (Saluant très rapidement) Mes respects, Monsieur le Délégué. (Le délégué sort) |
Huissier Chef | (Feuilletant ses billets) Des Reichsmarks ça ne vaut pas encore grand’chose pour le moment. Mais je prendrai des vacances là-bas. (La porte s’ouvre très lentement. Il s’en aperçoit et cache ses billets) Hé là ? |
Œil de Moscou | Chutt ! |
Huissier Chef | Tovarich… (Il salue très bas) |
Œil de Moscou | Chutt ! Personne ne doit connaître que tu sais notre langage. |
Huissier Chef | A vos ordres Camarade Délégué en second. |
Œil de Moscou | Personne ici ? |
Huissier Chef | Personne. |
Œil de Moscou | Ecoute-moi bien de toutes tes oreilles. Notre révérendissime Délégué principal le Camarade Bougrodomolatoff (Ils saluent tous les deux) veut avoir toutes les indications utiles pour notre incomparable patrie, pour les stupides projets des nations qui oppressent les prolétaires. |
Huissier Chef | Sur les nouveaux états donc, bien entendu ? |
Œil de Moscou | Pourquoi bien entendu donc ? |
Huissier Chef | Je croyais avoir deviné votre pensée Camarade Délégué en second. |
Œil de Moscou | (Soupçonneux) Enfin, passons ! Ne cherche pas trop à deviner car il pourrait t’en cuire, je t’en donne avertissement |
Huissier Chef | Oh Camarade Délégué en second, soyez sûr de mon entier dévouement à vous même, à notre révérendissime Délégué Principal et à notre divin Père des peuples avant tout. (Il lève les 2 poings et s’incline très bas) |
Œil de Moscou | Ta salutation na paraît pas mal, donc. Reste ainsi pendant un moment encore que je mesure si tu as bien fait l’angle voulu par la règlementation (Il mesure avec une règle et un rapporteur qu’il tire de sa serviette). Attends encore. Là, il n’y a rien de trop, cependant ça peut aller donc, redresse-toi. |
Huissier Chef | Merci Camarade Délégué en second. |
Œil de Moscou | N’oublie jamais, Camarade, quand le nom du Père des peuples est prononcé, il faut que le tronc et les jambes donc, pendant la salutation, fassent un angle carré au maximum, le visage plein de respect et l’œil humble. |
Huissier Chef | Je n’aurai garde de l’oublier. |
Œil de Moscou | Les Délégués de nations qui veulent à la vérité, la destruction de notre sublime patrie des peuples oppressés et de son superdivin Maître (Ils saluent tous deux) vont proposer ce jour des ratifications… |
Huissier Chef | Des gratifications pour le personnel, sans doute. |
Œil de Moscou | Des ra-ti-fi-ca-tions donc, stupide prolétaire pour approbationner des nouveaux tyrans dans des éphémères petits états créés par les puissances d’argent. |
Huissier Chef | Il y a cet après-midi une séance prévue en effet |
Œil de Moscou | Fais parvenir tout ce que tu sauras sans aucun retard totalement, sur cela. Si l’on est satisfait de tes racontages, tu auras le double de ceci. (Il lui remet un paquet de billets) |
Huissier chef | Merci merci Camarade Délégué en second |
Œil de Moscou | Peut-être même pourras-tu avoir en prime un piano, un quart de queue, comme les meilleurs travailleurs en U.R.S.S. |
Huissier Chef | Gloire au Père des peuples et à ceux qui l’entourent. (Ils saluent tous les deux) |
Œil de Moscou | Il suffit donc. Ouvre l’œil, l’œil de Moscou, sinon gare à toi, camarade. (Il sort pendant que l’huissier chef salue profondément) |
Huissier Chef | (Comptant ses billets) Heureusement que c’est en dollars aussi qu’il me paie celui-là. Parce que les roubles, les roubles... Ah je devais avoir bonne mine à faire le pauvre moujik comme ça. Qu’est-ce qu’on est obligé de supporter pour gagner quelques billets. Ah voici quelqu’un. (Il ouvre la porte et salue) |
Secrétaire Gén. | (Entrant, salue amicalement l’huissier chef, imité par Miss Tenflutt qui le suit) Bonjour cher Mr Dupont-Popoff. |
Huissier Chef | Mes respects Monsieur le Secrétaire général, Miss tout est prêt pour les réceptions et les réunions dont j’avais été averti. |
Secrétaire Gén. | Parfais, c’est parfait, voyons : J’attends pour le moment (On frappe). Voulez-vous voir qui frappe Mr Dupont-Popoff, je vous prie ? (L’huissier chef va à la porte, la referme et revient) |
Huissier Chef | C’est pour le gala Mr le Secrétaire Général. |
Secrétaire Gén. | Le gala ? Le gala Peter ? Le chocolat. |
Miss Tenflutt | Je pense il est question de la gala-soirée, Sir pour la nativité du nouveau état. |
Secrétaire Gén. | Ah oui, oui, c’est exact ! Où avais-je donc la tête ? Et qui veut me voir au sujet du gala ? |
Huissier Chef | C’est un artiste, Monsieur le Secrétaire général, l’impresario chargé d’organiser la soirée, Mr Hoffmann, très compétent, désire cependant avoir votre approbation pour un numéro à présenter. Pour savoir s’il peur l’être tel qu’il est prévu, sans le modifier. |
Secrétaire Gén. | Ah c’est que MM. les Délégués sont tellement susceptibles et les correspondants de presse tellement imprudents parfois. Il faut éviter toute friction. Faites entrer je vous prie. (L’huissier va à la porte et fait entrer) |
Secrétaire Gén. | Eh bien, mon cher ami, je crois que tout est clair. L’Etat Autonome de Woippy en Moselle est créé et nous ne pouvons trouver mieux comme souverain que Mr Anatole Laxter-Montonmatte. |
Délégué Fr. | A vrai dire cela me fait vraiment un peu de peine de voir ma chère vieille patrie amputée ainsi d’un territoire aussi beau pour créer l’un de ces états tampons entre deux grandes ex-puissances. |
Secrétaire Gén. | Je vous comprends parfaitement cher ami, c’est le salut de l’Europe et du monde, donc celui de la France qui l’exige. Ainsi en a décidé notre puissante DINGOT dont vous êtes par ailleurs l’un des plus distingués et des plus intelligents animateurs, sinon le premier de tous. |
Délégué Français | Je vous en prie, je vous en prie. Et où en sommes-nous alors pour cet état de Woippy ? Tout est prêt à ce jour ? |
Secrétaire Gén. | Je crois bien, Miss donnez-moi je vous prie le dossier couleur fraise écrasée, oui le gros cartonné. |
Miss Tenflutt | Yes Sir, voici. (Elle lui tend un gros livre) |
Secrétaire Gén. | C’est cela même, (Il cherche) voyons… préliminaires… minaires… Justifications… cations… Mesures préparatoires. (Les deux autres suivent attentivement) |
Les 2 autres | ratoires. |
Secrétaire Gén. | Décision. |
Les 2 autres | Cisions... |
Secr. Gén. | Ah voilà ! Je résume n’est-ce pas ? Il est créé sur le territoire de la commune de Woippy en Moselle, France, après annexion audit des communes limitrophes, un état Européen du type III qui aura pour titre « Grand Duché de Woippy » dont la constitution sera du modèle 3 également, du document 137 bis, pages 3427 et suivantes de l’appendice, etc… |
Délégué Français | Je connais, je connais. |
Secrétaire Gén. | Le grand duc, premier du titre, sera désigné parmi les autochtones suivant les prescriptions énumérées au document 337. |
Délégué Français | Je connais aussi. |
Secrétaire Gén. | Ah vous avez bien de la chance et une excellente mémoire. Pour moi, je trouve cela aussi compliqué que les lois, les décrets d’application et les règlements des gouvernements Français ! Enfin je poursuis. Sa Sainteté le Pape a bien voulu faire envoyer d’urgence du Vatican le titres de noblesse indispensables et rien ne s’oppose plus, sauf objections à la réunion prochaine à ce que nous fassions le nécessaire. |
Délégué Français | Pour installer Mr Laxter Montonmatt dans ses fonctions et prérogatives. |
Secrétaire Gén. | Exactement, vous avez le carton des titres en blanc à remplir, Miss ? |
Miss Tenflutt | Celui-ci ? (Elle tend un dossier) |
Secrétaire Gén. | (L’ouvrant) Non eh non, celui-ci c’est le dossier des voyages des délégués avec visites accompagnées de « Paris la nuit à Woippy la nuit ». |
Délégué Français | Il y a encore des délégués dans le monde qui ne connaissent ni Paris ni Woippy ? Mais c’est impossible. |
Secrétaire Gén. | Si si cher ami, il y a chaque jour de nouveaux états sollicitant leur admission dans notre puissante Domination Interalliée. (...) |
-- etc. -- |
Revue 1952 : « Fraises de gueules sur chants gais » ( 3 actes - 40 scènes ) |
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