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Revue 1951 : « Pâquis et Pakistan pactisent ».
Scénario, textes, musique, mise en scène, direction : Paul Sechehaye
Quelques extraits
Elles chantent | Ah cueillons, nos beaux fruits rouges D’un beau rouge, vermeilles Chacun s’en émerveille Des fraises de Woippy ! Quand vient le mois de juin Sous nos jolies halettes Nous faisons la cueillette En chantant plein d’entrain Nos fraises, mes amies Sont toujours excellentes Et bien plus succulentes Que tous les autres fruits. |
Jeanne | Et maintenant au boulot, au boulot ! Les fraises ne sauteront pas toutes seules dans les paniers pour les remplir. Il y en a des remontantes mais pas des « sautantes » ! |
Marie | Mon Dieu donc, mes amies, par la chaleur là ! Et pas de glaces Bader ni Wagner ! |
Jeannette | Les gens de la ville, eux, ils se figurent que c’est tout plein drôle de cultiver et de cueillir nos fraises !! Oh la la, qu’elles sont chères qu’ils disent ! |
Mariette | Je voudrai les y voir sous le soleil. |
Jeanne | Avec les moustiques qui nous piquent dans le cou et les mouchettes qui nous piquent le… les… là où je pense, quoi ! |
Colette | Oh, mes bonnes amies ce n’est pas plus pénible que d’apprendre la philosophie, allez ! Regardez ça : il faut que je m’enfourre la moitié dans la cervelle aujourd’hui encore. |
Marie | Oui, ma belle, mais tu seras calée plus tard. T’auras un bon métier au moins, toi ! |
Colette | Si je réussis encore des examens oui… et des examens pendant cinq ans. C’est pas fini ! Allez, chacun ses peines ! Bon courage ! je vais tâcher de m’y remettre et si j’ai trop mal au crâne je vous rejoindrai. |
Jeannette | Lâcheuse ! |
Mariette | Va donc, eh intellectuelle ! Bientôt tu ne sauras même plus distinguer une Sieger d’une Laxton ! |
Jeanne | Pour le moment elle mélange tout, nem ? Fraises, philo, mirabelles, logique, groseilles, psychologie, et des tas de trucs, et allez donc ! |
Marie | C’est un cocktail que sa vie : La philosofruit ! (Elles sortent en chantant. Colette s’installe sous un arbre pour lire) |
Colette | (Lisant tout haut lentement) |
François | (Entrant) Bonjour Colette ! |
Colette | Oh oh ! François ! Tu es en permission ? |
François | 8 jours, avant de passer le brevet de pilote. |
Colette | Tu as bruni. |
François | C’est le soleil du camp d’aviation. Et toi ? |
Colette | Moi je n’ai pas bruni, je suis tout le temps enfermée pour mes examens que je raterai. Toi tu auras ton brevet, François. |
François | Sûr ! Je suis bon maintenant. J’ai déjà celui de mécanicien navigant. C’est beau tu sais de voler comme ça, là haut ! Et c’est un bon métier. Je pourrai bientôt me marier, tu sais Collette. |
Colette | Oui, oui, je sais, François. |
François | En attendant il faut que je porte le panier aux parents et que je les aide un peu. Je te reverrai ce soir ? |
Colette | Certainement François. Il y a bal chez Natier. Seulement je ne resterai pas tard tu sais. J’ai trop à travailler. |
François | On danse ici ce soir ? C’est pas dimanche ! |
Colette | Tu sais bien qu’au moment des fraises à Woippy on est un peur en folie. Les filles sont éreintées ; mais elles ont tout de même le diable au corps… ou plutôt en tête et dans les jambes ! |
François | Nous danserons ensemble, Colette ? |
Colette | Naturellement, tout le temps, François. |
François | Alors à ce soir (Il va s’en aller) Hé la ! Attention père Léon ! (Ratés de moteurs en coulisse) |
Léon | (Entre en courant et se retourne) Oh les imprudents là avec leur sacrée bagnole ! (L’avant d’une splendide auto entre en scène avec bruit, soubresauts et s’immobilise) |
William | (Allant au capot) What is of the matter ? Oh, crotte de crotte ! |
Léon | Dites donc jeune homme un peu plus vous m’aplatissez comme une pâte à quiche, non ! |
Olive | (Entrant) Ce n’est rien, Monsieur, n’ayez crainte. Hé hé, vous voyez si elle est rétive cette garce de mécanique aujourd’hui ! |
William | Est-ce que vous comprenez ce qui ne gaze pas dans ce machin là vous ? Ce n’est ni l’allumage, ni l’essence. |
Olive | Probablement pas le klaxon de route, ni les pneus, ni l’essuie-glace. |
William | Evidemment. Ah, vous avez l’air de vous y connaître en mécanique auto, vous ? |
Olive | A dire vrai, non. Monsieur votre père m’a fait grand honneur, et le plaisir aussi, je dois le dire, de m’engager comme secrétaire quand il a débarqué à Marseille. Comme secrétaire particulier. |
William | Oh oui, particulier alors ! |
Olive | Et comme guide plutôt que comme chauffeur. Cependant j’ai mon permis de conduire. Il m’a coûté six litres de Pastis, c’est vrai ; mais il est en règle. Je l’ai eu tout de même Bonne mère ! François |
François | (A Léon) Il vous en faudrait une comme ça pour aller au marché à Metz. |
Colette | T’as vu les autres derrière ? |
William | Je croyais pourtant être assez à la coule pour dépanner toutes les bagnoles. Oh zut ! |
Olive | Ce qu’il y a de plus choquant et de plus renversant… |
Léon | Oui… oui… choquant et renversant, vous avez failli me le faire à moi ! |
Olive | C’est que nous avons payé cette charrette et les deux autres, plus de deux millions pièce bagasse ! Et sans compter les commissions bien entendu ! (Au public) Ni la mienne. |
Léon | Ça coûte deux millions ces tombereaux là ? Pensez voir un peu ! Deux millions, Seigneur ! |
William | Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Est-ce qu’il y a un garage au moins dans ce patelin ? |
Olive | Nous allons le demander aux indigènes. Tenez, il y a justement une bien jolie fille, hé ? |
William | (Se retourne) God bless me ! Ça oui alors ! |
Olive | Pardon, Mademoiselle, Monsieur, comme vous le voyez nous sommes un peu embêtés avec cette mécanique qui ne veut plus avancer, funérailles ! |
Léon | Elle avançait bien quand vous m’avez presque écrasé. |
William | Pourriez-vous être assez aimables pour nous indiquer un garage, un garage sérieux, important ? |
Colette | Certainement ; Il y a un ingénieur mécanicien très compétent, avec un personnel nombreux chez lui. Ils sont au moins 12 ! |
William | En effet, ça doit être une maison importante avec tant de personnel. |
Colette | Ah mais c’est qu’il y a déjà neuf enfants tous plus gentils les uns que le autres. Cependant M. Charlot sait y faire aussi dans les autos. |
Léon | Pour ça oui, ça le connaît. Et si vous le rafraîchissez sur place il ne quittera pas avant de vous avoir raccommodé tout. |
William | Mais comment faire pour y conduire cette vache de bagnole ? |
François | Voulez-vous me permettre d’y jeter un coup d’œil ? Je suis de la partie. |
Olive | Hé hé, voilà une excellente idée. |
Colette | Certainement François s’y connaît. Il est adjudant mécanicien navigant d’aviation et sera bientôt pilote aussi. |
François | (Sans le capot) Pour te faire plaisir, oui ! |
William | Charmant pays Mademoiselle. Vous êtes étudiante ! Institutrice ? |
Colette | Etudiante Monsieur. En philosophie (Elle montre le livre) mais je sais cultiver les fraises aussi. |
Léon | Ah mais c’est qu’on a de l’instruction à Woippy, vous savez ! |
William | Oh, que j’ai horreur de la philosophie ! C’était affreusement somnifère pour moi quand j’étais à Paris au Lycée Janson de Sailly, avant d’être recalé. Oh yes, dear ! |
Collette | Mais vous êtes Anglais ? Américain ? |
William | Non, Indou. Mais élevé à Paris puis à Londres à l’école militaire de Sandhurst après. Voyez dans la voiture mon très noble paternel le Maharadjah de Dourdhala. |
Colette | Un maharadjah à Woippy ? Ça alors ! |
Léon | Un de quoi ? Un ma-ma-rat-déjà ? |
Olive | Un vrai, authentique ! |
William | Et la famille est dans la 2ème voiture et la suite dans la troisième et dans les deux petits autobus qui suivent. |
Colette | Mince alors ! Ca me la coupe ! |
William | Yes yes ! Mince alors ! Ca la coupe ! Vous êtes gaie et vous parlez argot comme à Paris, Miss Colette ! |
Colette | Et vous venez tous, vous, le maharadjah, le chauffeur et tout et tout à Woippy ? |
William | Non, oh non ! Nous allons tous à Metz. Pour des raisons d’Etat secrètes nous avons dû quitter notre pays et nous cacher momentanément en France, exilés, ruinés ! |
Colette | Oh, mais c’est très triste, Monsieur ! |
Olive | Hé hé il ne faut tout de même pas exagérer. Ces messieurs dames ont encore un peu de fric cependant, hé ! |
William | Nous avons dû laisser là-bas presque tout dans le pays de mon père : 14 éléphants dont 3 blancs. |
Colette | 3 blancs ! |
William | 7 tigres, 10 panthères. |
Colette | 10 panthères ! |
William | 150 singes, 567 oiseaux rares dont un cacatoès qui chantait « Dis-moi oui, dis-mois non » en entier. |
Colette | Dis-moi oui ! Faudrait vous inscrire au Syndicat d’Elevage le Progrès pour faire des concours avec M. Deiss et M. Heipp ! |
Léon | Pour oui, c’est des directeurs d’un grand cirque là-bas. Voilà ce que c’est ! |
William | Sans compter les jolis poissons bleus, rouges, verts et jaunes du lac. Et les 30 danseuses. |
Colette | 30 danseuses ! |
Léon | Encore plus que Sœur Infirmière ! |
William | Et quand nous avons dû fuir, notre petite armée était déjà taillée en pièces et les canons et les trois avions aussi. Les deux yachts de plaisance sur le fleuve Irradaouy étaient coulés ! Oui coulés ! |
Colette | Oh la la ! Les deux yachts ! |
-- etc. -- |
Garde champ. | Voilà ! C’est toujours là qu’il se ballade de bonne heure chaque jour tout seul ou avec ses enfants, ou avec le Marseillais, Olive qu’il s’appelle. Voilà que je vous dis. |
Commissaire | C’est difficile à surveiller sans se faire remarquer, les fraises ne cachent guère les gens. |
Gendarme | Et encore vous autres, vous n’êtes point revêtus de vos uniformes et des insignes de vos fonctions comme nous autres de la maréchaussée. |
Garde champ. | Ça c’est vrai. Moi je peux encore enlever mon képi, le cacher, et pour le reste on n’y voit pas grand’chose. Je suis comme tout le monde. Viens là… Ne va pas partout. (Il siffle) |
Gendarme | Et puis vous, vous n’avez pas trop à guetter les gens. |
Garde champ. | Oh mais n’allez ! Quand il y a des suspects qui rôdent comme ça je m’approche tout doucement ; mine de rien, avec mon képi derrière mon dos. Et allez, crac ! Flagrant délit de vol de cerises, de fraises, protocoles ! Braconnage, protocole ! Pissenlits enlevés sur propriété privée : protocole ! |
Inspecteur | Et les amoureux. Des fois ils exagèrent ? |
Garde champ. | Oh pas tant que ça à Woippy, allez ! Pour ceux-là je garde mon képi et je me montre de loin. Ca suffit à les calmer. |
Commissaire | Et vous fermez un œil, au printemps ? |
Garde champ. | On a été jeunes aussi, nem ? Alors vous dites qu’il va falloir veiller sur le maharadjah maintenant en plus ? |
Inspecteur | Oui oui, les ordres sont précis et formels. |
Commissaire | Surveillance discrète et protectrice pour éviter tout attentat contre lui et sa suite. Les ordres ont été donnés à la Police et à la Gendarmerie. |
Gendarme | Veiller discrètement, activement, ponctuellement, continuellement. |
Garde champ. | Je pensais bien que c’était une huile pas ordinaire. |
Inspecteur | C’est un grand personnage. |
Garde champ. | Oh oui, il a bien 1 m 92 |
Commissaire | Il paraît que la France, l’Angleterre, les Etats-Unis, le Luxembourg et 17 autres nations au moins ont l’œil sur lui pour quelque chose là-bas en Asie où ça barde. C’est le plus riche des Maharadjah hindous, dit-on. |
Garde champ. | Oh, pour ça, depuis qu’il est là on s’en est aperçu. Le Maurice Gérard et le Bill font tuer chacun une bête de plus par jour et l’étalage artistique et légumineux d’Eugène Bihr est enlevé par ses cuisiniers avant midi ! |
Gendarme | Oh la la ! C’est une bénédiction pour votre patelin qu’un citoyen comme ça ! |
Garde champ. | Les Ecos, le Frisch, les Coop, la laitière ont doublé leur chiffre d’affaire et les Paulin vont mettre une véranda sur la place de la Haute Maison. Et chez Filstroff, mon vieux, on fait une fournée spéciale de pâtés, de tartes et de brioches. |
Gendarme | Oh la la ! Des tartes, des pâtés ! |
-- etc. -- |
Revue 1951 : « Pâquis et Pakistan pactisent » ( 3 actes - 22 scènes ) |
« Pâquis et Pakistan pactisent » : Photo souvenir.
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