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Revue 1948 : « Woippy toujours, Woippy quand même ».
Scénario, textes, musique, mise en scène, direction : Paul Sechehaye



T R E F I L O R
S . A. R. L.
Fabrique de grillages métalliques
W O I P P Y
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- W O I P P Y -
Salle H. WAGNER
- - - -
PROGRAMME
de la Revue-Opérette
WOIPPY TOUJOURS, WOIPPY QUAND MÊME
jouée le 29 février 1948
---o---

par d'anciens et jeunes acteurs, actrices et musiciens
réunis pour présenter le 15e spectacle de ce genre
au pays des fraises dont les noms suivent, avec
indication de leurs activités respectives, précédés
d'un astérique pour ceux qui avaient déjà pris part
à l'organisation des soirées de gala avant 1940 ...
 
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La direction se réserve le droit
de midifier au besoin le présent programme
pendant lequel le public est prié de vouloir
bien observer le plus grand silence
(sauf pour applaudir)

Entr'acte 10 minutes entre le 2° et 3° Acte
Buffet-Bar au Café du Lion d'Or
Lucien EVRARD
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Café du Bon Coin
La bonne Auberge de Chez Nous
Mme REIMRINGER
à WOIPPY
Reproduction de la couvertrure du programme de la soirée de gala du dimanche 29 février 1948 à Woippy.

Ci-dessous, le programme pour la soirée au Théâtre de Metz (Eperon Messin)


Quelques scènes

Acte I.
Décor : Intérieur paysan à Woippy. Au premier plan, à droite, un lit, à gauche une table et une ou deux chaises. Fenêtre et porte au fond. L’acte commence à la nuit la pièce n’étant éclairée que par une bougie ou une lanterne, le jour se lève ensuite.
Au lever du rideau les Michenot sont en train de manger. Canon au loin, avions par moments.

Scène 1.
(M. et Mme Michenot, Mme Manginet, Guiguitte)
Michenot (On frappe à la porte) Qui est là ?
Mme Manginet (Dehors) C’est moi, Léon !
Mme Michenot C’est la Joséphine.
Michenot Je viens, j’ouvre Joséphine.
Mme Michenot Qu’est-ce qu’elle peut bien encore nous vouloir à cette heure là ? Il ne fait même pas jour. Muller n’a pas encore apporté le journal.
(Michenot a ouvert la porte ; entrent Me Manginet et Guiguitte avec une houe et des paniers de fraises vides.)
Mme Manginet Oh ! Mes pauvres gens, mes pauvres gens !
Guiguitte C’est trop de malheur, trop de malheur !
Mme Michenot Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que vous avez ?
Mme Manginet J’vais sûr mourir de frayeur ; sûr que j’vais mourir, toute seule, comme ça, chez moi.
Michenot Mais non, va, ça sa passera. Tu te fais des illusions, tu écoutes trop, et comme t’es bavarde…
Mme Manginet Oh ! La la ! Le canon tout le temps et puis les aéroplanes et puis ces soldats qui passent jour et nuit.
Michenot Tu te plaignais que t’étais seule !
Mme Manginet Tu crois donc toi ! Il y en a qui sont moult effrontés. Jamais, ma chère ! Et la Guiguite !
Mme Michenot Oh ! Ben tu ne cours pas grand risque à ton âge, nem ? Ils ne vont pas courir après toi va !
Guiguitte (pleurant) Il y en a un qui voulait m’embrasser.
Mme Manginet Et comme ça dans l’obscurité, depuis que l’électricité est coupée. Le Gilles racontait que tout était « capout » à la Centrale.
Michenot C’est gênant. Mais les jours sont longs au mois de juin. Pleure pas tant Guiguitte... la guerre n’est pas encore finie.
Mme Manginet Parlons-en ! Un beau mois de Juin. Nos pauvres fraises, qui est-ce qui les mangera ?
Mme Michenot Le Kopp a dit que le Syndicat ne pouvait plus acheter. Les marchands non plus, bien sûr. Quelle mauvaise année.
Guiguitte Sûr que Maman ne voudra pas m’acheter un neuf chapeau !
Mme Manginet Ça ce comprend avec la guerre-là. Ils auraient pu attendre après les fraises au moins. Oh ! Oui quelle misère de par le monde ! Ecoutez le canon. Ça se rapproche encore de Woippy.
Guiguitte Oh ! Tais-toi Maman, ça me donne comme des coliques.
Michenot Non va, c’est toujours là-bas près de la ligne Maginot. Ils ne passeront pas Joséphine.
Mme Manginet Ils passent déjà plein avec leurs aéroplanes et ils jettent des bombes partout. Cette nuit, il a passé des réfugiés, mon Dieu donc, qui s’en sauvaient avec leurs voitures.
Guiguitte Oui ! Avec des cages d’oiseaux, des T.S.F., des plumons, des pots de chambre...
Mme Michenot Qu’est-ce qu’ils disaient ces gens-là ?
Mme Manginet Que les nôtres reculent toujours. Qu’il y a moult de tués et de blessés. Qu’il faut se sauver en vitesse avec ses cliques et ses claques.
Guiguitte Loin, loin, au moins jusqu’à Pont-à-Mousson.
Michenot C’est rien, c’est rien. C’est des mouvements de troupes. Ça s’arrangera, tu verras. Tenez, écoutez : on n’entend plus rien.
(Ils écoutent un instant. Accalmie, puis bruits d’avions et détonations violentes. Ils sursautent. Madame Manginet cherche à se cacher sous la table, Guiguitte court partout)
Guiguitte Maman, Maman, sauvons-nous sous le pont de Ste Agathe !
Mme Manginet J’en mourrai ! Sûr, la maison là va crouler !
Mme Michenot Quel malheur, Seigneur ! Encore des bombes ou des ponts qu’ils font sauter.
Michenot Des ponts, des ponts ! Penses-tu trouillarde !
Guiguitte Si, si, des ponts, et puis des rails, de lignes de T.S.F...
Mme Manginot Pour sûr, des ponts ! C’est un du génie qui me l’a dit cette nuit. Paraît que les derniers vont repasser la Moselle et puis qu’ils font sauter tous les ponts « Il n’y en a plus derrière nous » qu’ils disaient les hommes-là ! Venez avec nous qu’ils disaient !
Guiguitte C’est à mois qu’ils disaient ça, Maman !
Mme Michenot Eh bien ! Nous voilà beaux ! Ils ne vont tout de même pas revenir les brigands là !
Guiguitte Sûr qu’on ne pourra pas faire de bal à la fête des Fraises.
Michenot Revenir, les Allemands ? Allons donc ! Ou bien sûr qu’ils ne resteront pas longtemps. T’as bien vu en 14 comment qu’ils ont fait demi-tour à la Marne ?
Mme Michenot Oui Léon ! Mais ça n’a été fini qu’en 18 tout de même. Quatre ans après, penses voir !
Guiguitte Dans quatre ans j’aurai presque coiffé sainte Catherine !
Michenot Une guerre ne peut plus durer quatre ans. Tu verras quand les Anglais et les Américains et les Belges et les Luxembourgeois et les Hollandais et les Russes vont s’y mettre pour de bon avec nous. Et allez, oust, Hitler ! Oust !
Mme Manginot T’as facile toi, oust, oust !
Guiguitte Il n’y aura plus de garçons pour se marier avec moi.
Michenot Maintenant, guerre ou pas, j’m’en vais aux fraises, moi. Elles n’attendent pas, elles. (à Madame Michenot) Tu viens ? (Il prend son chapeau et des paniers vides)
Mme Michenot Tout de même, non, je reste, moi, à cause de toutes les histoires là. Il passe trop de gens de toute espèce. Ils auraient tôt fait de nous voler nos affaires et nos provisions.
Guiguitte Les soldats ont déjà mangé toutes nos confitures de quetsches.
Mme Manginot J’vais avec toi, Léon. J’ai trop peur toute seule. Jetons un coup d’œil chez moi en passant et nous irons au Pâquis (Bruit d’auto qui s’arrête dehors).
Michenot Qu’est-ce qui arrive ? (On frappe) Entrez !
(Dehors en entend « Merci camarades » « Bonne chance » puis Wladimir, blessé au bras, et Jean entrent, soutenant Clément grièvement blessé à la tête, inerte).

Scène 7.
M et Mme Michenot, Clément, Françoise, un officier et deux soldats allemands.

Dessin de mise en scène : Paul Sechehaye.

L’officier all. (Entrant, pistolet à la main, suivi de deux soldats armés) Ah ! Ah ! C’est un blessé et une infirmière (Il salue) Mademoiselle. Pas d’autres soldats ? Ils ont fui ? So… So…
Françoise Le blessé est gravement atteint.
L’off. all. Il n’a pas pu se saufer, lui. Très pien. On en prentra soin. Cela vera un brisonnier de blus pour nos armées. Nous ne savons plus où les mettre tant ils sont nombreux. Vous être lipre Matmoiselle, mais je fous conseille d’attendre un moment ; je fous contuirai dans quelques heures si fous tésirez. Nos soldats seront dans metz sans pataille. Plus vacilement encore qu’en 70.
Françoise Je tiens à rester auprès de mon blessé si possible, Monsieur.
L’off. all. Parfait, c’est correct et brave de votre part. Les ampulances seront là pientôt, matmoiselle. Tous les services suivent en ordre parfait dans la Wehrmacht.
(Françoise essuie une larme. Clément met sa tête dans ses mains tournant le dos aux Allemands. Mme Michenot, les mains jointes, prie la tête tournée vers une image du mur ou une statue. Michenot écoute, immobile, le regard fixe.)
L’off. all. (Continuant) Les avions préparent les voies, l’artillerie écrase vos batteries, nos plintés ouvrent la marche avec les motorisés et notre infanterie avance sans répit avec une puissance colossale. L’Allemagne invincible est en marche pour conquérir l’Europe qu’elle va réchénérer par les doctrines du Parti Nazi. Et rien ne beut lui résister.
Pendant que les Vrançais vaisaient des pons repas, vaisaient des grèfes, allaient s’amusser dans les Kinemas, les pals, les poîtes de nuit où l’on tanse à Montmartre, à Baris, le beuple allemand se brébarait à la guerre. Et maindenant les richesses te la Vrance, ses blaisirs, le tchampagne, seront la régompense des kerriers allemands et te toute la nation socialiste-Nazi allemante !
Tout le monde entier, un jour, obéira à l’Allemagne car toutes les forces du Reich suivent le Führer. Heil Hitler ! (Il fait le salut nazi, rigide, les deux soldats rectifient la position. Silence subit. Les violons jouent en sourdine « Alsace et Lorraine » ; au refrain : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine et malgré nous, nous resteront Français » et continuent jusqu’au baisser du rideau)
Michenot (Calme, à mi-voix) Ah !... Mais c’nom po to jo nem ?...
L’off all. Vous dites ? Que dit-il ?
Françoise C’est du patois lorrain, Monsieur. Cela veut dire Dieu nous bénisse tous !
(Rideau. Reprise d’Alsace et Lorraine par l’orchestre jusqu’à la fin du refrain par les clairons)
  - Fin du 1er acte -

Acte II.
Décor : Salle de café dans le midi. Table avec 3 chaises à droite en avant. 2 ou 3 chaises à gauche. Comptoir avec bouteilles au fond. Pancartes diverses et réclames au mur.
Au lever du rideau, Michenot, Portenquin et Henneseigne jouent aux cartes à la table de droite. Les femmes sont assioses à gauche. Mme Goussette près du comptoir avec Cavenaze qui arrange la TSF.

Scène 1.
Michenot, Portenquin, Henneseigne, Cavenaze, Mmes Michenot, Manginet, Portenquin et Goussette.
Henneseigne (Jetant les cartes) Atout et atout. Ça y est, c'est pour moi.
Portenquin Tu peux dire que tu en as de la veine.
Michenot Et t'as pourtant mal joué.
Henneseigne En attendant c'est toi qui paye la tournée. M. Cavenaze apportez du Gaillac et du bon! En l'honneur du débarquement (Au public) chutt ! Ça vaut la peine ce coup-ci.
Cavenaze Voilà, voilà. C'est un nouveau tonneau. Ces dames ne prendront rien ? Un petit banyuls ?
Mme Michenot Non, merci pour nous M. Cavenaze. Nous ne sommes pas de bonnes clientes, nem ? Nous ne venons que pour la TSF.
Cavenaze Ca ne fait rien. Je vous l'aurai offert de bon coeur, aujourd'hui surtout. Et ces messieurs, eux, sont de bons clients.
Mme Portenquin Oh ça ! Pour aller au café, les hommes ils sont toujours prêts ! A Woippy c'était déjà pareil.
Cavenaze Allons allons, ma bonne dame, vous autres, Lorrains, vous n'y allez pas tant que ça, et vos hommes ne jouent pas aux boules jamais en semaine. Mais bons clients ou pas vous savez bien Bonne Mère, que je me mettrais en quatre pour les réfugiés, moi ; en quatre, en huit, en douze !
Mme Manginet C'est bien vrai M. Cavenaze et nous ne l'oublierons pas. Faudra venir nous voir à la Fête des Fraises quand nous allons être rentrés chez nous.
Mme Goussette Ce sera bientôt maintenant, allez !
Cavenaze C’est promis, c’est juré. J’irai goûter vos fraises. Et je souhaite que ce soit pour l’an prochain, bonnes gens ! Ah ! Mes pauvres amis, ça me fait deuil pour vous cette guerre !
Michenot Hum ! Au train où ça va encore ce n’est guère terminé !
Mme Portenquin Et qu’est-ce qu’on retrouvera de Woippy et de nos fraises ? Ici, elles ne poussent pas.
Portenquin Plaignez-vous donc. Les dernières nouvelles sont bonnes ; qu’est-ce que vous voulez de plus ?
Henneseigne (Mystérieux) Il paraît que le débarquement continue ferme depuis deux jours !
Mme Gousette Les doryphores se remuent partout. Ils s’envolent
Michenot Je n’ai pas encore confiance. Je ne vois pas notre pauvre Woippy libéré et tout le monde rentré. Depuis trois ans et demie qu’on est expulsés.
Mme Portenquin Et les autres déportés au Tyrol, en Bessarabie, chez les Sud-Estes. Et les malgré-nous !
Heneseigne Bien sûr que ça n’ira pas tout seul.
Mme Goussette Ca c’est vrai qu’on est dispersés.
Mme Manginot Pensez-voir un peu : Ici à Rabastens, à Gaillac, à Lavaur, à Mirepoix, à Saint-Privas, à Châtel-Guyon… Où encore Seigneur ?
Mme Portenquin Il y en a qui ne reviendront peut-être pas. J’ai entendu dire que M. le curé allait être nommé chanoine de Sainte-Quitterie. Il a déjà un peu l’accent du pays.
Michenot Ne vous en faites pas il en reviendra avec nous de tous les côtés.
Henneseigne Quand il faudra renter tout le monde trouvera le chemin.
Mme Goussette On ira à pied, s’il le faut.
Portenquin Eh bien, à la nôtre, à la vôtre, au retour à Woippy.
Henneseigne A la santé des Alliés et vive de Gaulle ! (Ils trinquent)
Mme Goussette Chutt ! (Silence) (passage d’un détachement allemand qui chante. Un gendarme allemand entre, salue, regarde partout 5 secondes, salue et repart.)
Cavenaze Ils sont passés ! N’oubliez pas de bien surveiller dans la rue Madame Goussette. C’est votre tour de faire le guet de soir.
Mme Goussette Ne vous en faites pas. Je vous écoute d’une oreille et je regarde avec l’autre œil par dehors.
Henneseigne Attention aux mouchards, nous autres Lorrains.
Cavenaze Surtout, capededious, que voilà l’heure du communiqué.
Mme Portenquin Ah ! Ah ! On va écouter, ce soir, un peu ce qu’ils disent.
Cavenaze Eh bé ! Allons y. (Silence) Ça y est ! (Crépitements) Oh ! Oh ! C’est bien brouillé aujourd’hui !
Mme Portenquin C’est au moins encore les Boches, qui...
T.S.F. (Indicatif de la B.B.C.) Ici Londres, Londres, les Français parlent aux Français. Nous allons d’abord vous donner des messages. Ecoutez les messages. Ne quittez pas l’écoute. Les doryphores ont pris la poudre. Les doryphores ont pris la poudre.
Portenquin La poudre d’escampette, sans doute.
T.S.F. Les Fanchettes et les Boserés vont retourner à leur école le mois prochain.
Mme Goussette Ils pensent à nous ; ça c’est bien !
T.S.F. Le dragon de Saint Clément se jettera dans la rivière. Je répète : Le dragon de Saint Clément se jettera dans la rivière.
Henneseigne Sûr, c’est du Graouli qu’ils parlent !
T.S.F. Allo, allo. Très important. Ces messages sont les derniers de Londres. Derniers messages de Londres. Prochaine émission sur le sol français. C’est sur le sol français que... (Crépitements… Silence)
Cavenaze Plus de courant, c’est coupé ! Sûr que ça a dû être coupé quelque part.
Mme Goussette Quel dommage, c’est coupé !
Portenquin Ça ne fait rien, c’était bien !
Michenot Ah ! Pour ça oui alors !
Henneseigne Ce coup-là on peut espérer, hein ! Fini l’exil et le cafard. Chez nous, on va rentrer chez nous !
Mme Portenquin C’est-il Dieu possible !
-- etc. --  


Acte III
Décor : Coin de campagne sauvage. Table rustique au fond à droite avec deux sièges de bois ou troncs d'arbres. Derrière, entrée d'une tente ou abri de branchages. Au lever du rideau c'est la nuit. Les partisans sont autour d'un feu. Clément et les deux chefs à table.



Final
Décor : Jardin à Bazardjan, drapeaux, décorations.
Au lever du rideau les Tziganes chantent et dansent. Puis ballet.




Dessins de mise en scène : Paul Sechehaye.

Revue 1948 : « Wladimir, cavalier-roi »
( 3 actes - 23 scènes, 1 final. )

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