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Revue 1948 : « Woippy toujours, Woippy quand même ».
Scénario, textes, musique, mise en scène, direction : Paul Sechehaye
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Quelques scènes
Michenot | (On frappe à la porte) Qui est là ? |
Mme Manginet | (Dehors) C’est moi, Léon ! |
Mme Michenot | C’est la Joséphine. |
Michenot | Je viens, j’ouvre Joséphine. |
Mme Michenot | Qu’est-ce qu’elle peut bien encore nous vouloir à cette heure là ? Il ne fait même pas jour. Muller n’a pas encore apporté le journal. (Michenot a ouvert la porte ; entrent Me Manginet et Guiguitte avec une houe et des paniers de fraises vides.) |
Mme Manginet | Oh ! Mes pauvres gens, mes pauvres gens ! |
Guiguitte | C’est trop de malheur, trop de malheur ! |
Mme Michenot | Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que vous avez ? |
Mme Manginet | J’vais sûr mourir de frayeur ; sûr que j’vais mourir, toute seule, comme ça, chez moi. |
Michenot | Mais non, va, ça sa passera. Tu te fais des illusions, tu écoutes trop, et comme t’es bavarde… |
Mme Manginet | Oh ! La la ! Le canon tout le temps et puis les aéroplanes et puis ces soldats qui passent jour et nuit. |
Michenot | Tu te plaignais que t’étais seule ! |
Mme Manginet | Tu crois donc toi ! Il y en a qui sont moult effrontés. Jamais, ma chère ! Et la Guiguite ! |
Mme Michenot | Oh ! Ben tu ne cours pas grand risque à ton âge, nem ? Ils ne vont pas courir après toi va ! |
Guiguitte | (pleurant) Il y en a un qui voulait m’embrasser. |
Mme Manginet | Et comme ça dans l’obscurité, depuis que l’électricité est coupée. Le Gilles racontait que tout était « capout » à la Centrale. |
Michenot | C’est gênant. Mais les jours sont longs au mois de juin. Pleure pas tant Guiguitte... la guerre n’est pas encore finie. |
Mme Manginet | Parlons-en ! Un beau mois de Juin. Nos pauvres fraises, qui est-ce qui les mangera ? |
Mme Michenot | Le Kopp a dit que le Syndicat ne pouvait plus acheter. Les marchands non plus, bien sûr. Quelle mauvaise année. |
Guiguitte | Sûr que Maman ne voudra pas m’acheter un neuf chapeau ! |
Mme Manginet | Ça ce comprend avec la guerre-là. Ils auraient pu attendre après les fraises au moins. Oh ! Oui quelle misère de par le monde ! Ecoutez le canon. Ça se rapproche encore de Woippy. |
Guiguitte | Oh ! Tais-toi Maman, ça me donne comme des coliques. |
Michenot | Non va, c’est toujours là-bas près de la ligne Maginot. Ils ne passeront pas Joséphine. |
Mme Manginet | Ils passent déjà plein avec leurs aéroplanes et ils jettent des bombes partout. Cette nuit, il a passé des réfugiés, mon Dieu donc, qui s’en sauvaient avec leurs voitures. |
Guiguitte | Oui ! Avec des cages d’oiseaux, des T.S.F., des plumons, des pots de chambre... |
Mme Michenot | Qu’est-ce qu’ils disaient ces gens-là ? |
Mme Manginet | Que les nôtres reculent toujours. Qu’il y a moult de tués et de blessés. Qu’il faut se sauver en vitesse avec ses cliques et ses claques. |
Guiguitte | Loin, loin, au moins jusqu’à Pont-à-Mousson. |
Michenot | C’est rien, c’est rien. C’est des mouvements de troupes. Ça s’arrangera, tu verras. Tenez, écoutez : on n’entend plus rien. (Ils écoutent un instant. Accalmie, puis bruits d’avions et détonations violentes. Ils sursautent. Madame Manginet cherche à se cacher sous la table, Guiguitte court partout) |
Guiguitte | Maman, Maman, sauvons-nous sous le pont de Ste Agathe ! |
Mme Manginet | J’en mourrai ! Sûr, la maison là va crouler ! |
Mme Michenot | Quel malheur, Seigneur ! Encore des bombes ou des ponts qu’ils font sauter. |
Michenot | Des ponts, des ponts ! Penses-tu trouillarde ! |
Guiguitte | Si, si, des ponts, et puis des rails, de lignes de T.S.F... |
Mme Manginot | Pour sûr, des ponts ! C’est un du génie qui me l’a dit cette nuit. Paraît que les derniers vont repasser la Moselle et puis qu’ils font sauter tous les ponts « Il n’y en a plus derrière nous » qu’ils disaient les hommes-là ! Venez avec nous qu’ils disaient ! |
Guiguitte | C’est à mois qu’ils disaient ça, Maman ! |
Mme Michenot | Eh bien ! Nous voilà beaux ! Ils ne vont tout de même pas revenir les brigands là ! |
Guiguitte | Sûr qu’on ne pourra pas faire de bal à la fête des Fraises. |
Michenot | Revenir, les Allemands ? Allons donc ! Ou bien sûr qu’ils ne resteront pas longtemps. T’as bien vu en 14 comment qu’ils ont fait demi-tour à la Marne ? |
Mme Michenot | Oui Léon ! Mais ça n’a été fini qu’en 18 tout de même. Quatre ans après, penses voir ! |
Guiguitte | Dans quatre ans j’aurai presque coiffé sainte Catherine ! |
Michenot | Une guerre ne peut plus durer quatre ans. Tu verras quand les Anglais et les Américains et les Belges et les Luxembourgeois et les Hollandais et les Russes vont s’y mettre pour de bon avec nous. Et allez, oust, Hitler ! Oust ! |
Mme Manginot | T’as facile toi, oust, oust ! |
Guiguitte | Il n’y aura plus de garçons pour se marier avec moi. |
Michenot | Maintenant, guerre ou pas, j’m’en vais aux fraises, moi. Elles n’attendent pas, elles. (à Madame Michenot) Tu viens ? (Il prend son chapeau et des paniers vides) |
Mme Michenot | Tout de même, non, je reste, moi, à cause de toutes les histoires là. Il passe trop de gens de toute espèce. Ils auraient tôt fait de nous voler nos affaires et nos provisions. |
Guiguitte | Les soldats ont déjà mangé toutes nos confitures de quetsches. |
Mme Manginot | J’vais avec toi, Léon. J’ai trop peur toute seule. Jetons un coup d’œil chez moi en passant et nous irons au Pâquis (Bruit d’auto qui s’arrête dehors). |
Michenot | Qu’est-ce qui arrive ? (On frappe) Entrez ! (Dehors en entend « Merci camarades » « Bonne chance » puis Wladimir, blessé au bras, et Jean entrent, soutenant Clément grièvement blessé à la tête, inerte). |
L’officier all. | (Entrant, pistolet à la main, suivi de deux soldats armés) Ah ! Ah ! C’est un blessé et une infirmière (Il salue) Mademoiselle. Pas d’autres soldats ? Ils ont fui ? So… So… |
Françoise | Le blessé est gravement atteint. |
L’off. all. | Il n’a pas pu se saufer, lui. Très pien. On en prentra soin. Cela vera un brisonnier de blus pour nos armées. Nous ne savons plus où les mettre tant ils sont nombreux. Vous être lipre Matmoiselle, mais je fous conseille d’attendre un moment ; je fous contuirai dans quelques heures si fous tésirez. Nos soldats seront dans metz sans pataille. Plus vacilement encore qu’en 70. |
Françoise | Je tiens à rester auprès de mon blessé si possible, Monsieur. |
L’off. all. | Parfait, c’est correct et brave de votre part. Les ampulances seront là pientôt, matmoiselle. Tous les services suivent en ordre parfait dans la Wehrmacht. (Françoise essuie une larme. Clément met sa tête dans ses mains tournant le dos aux Allemands. Mme Michenot, les mains jointes, prie la tête tournée vers une image du mur ou une statue. Michenot écoute, immobile, le regard fixe.) |
L’off. all. | (Continuant) Les avions préparent les voies, l’artillerie écrase vos batteries, nos plintés ouvrent la marche avec les motorisés et notre infanterie avance sans répit avec une puissance colossale. L’Allemagne invincible est en marche pour conquérir l’Europe qu’elle va réchénérer par les doctrines du Parti Nazi. Et rien ne beut lui résister. Pendant que les Vrançais vaisaient des pons repas, vaisaient des grèfes, allaient s’amusser dans les Kinemas, les pals, les poîtes de nuit où l’on tanse à Montmartre, à Baris, le beuple allemand se brébarait à la guerre. Et maindenant les richesses te la Vrance, ses blaisirs, le tchampagne, seront la régompense des kerriers allemands et te toute la nation socialiste-Nazi allemante ! Tout le monde entier, un jour, obéira à l’Allemagne car toutes les forces du Reich suivent le Führer. Heil Hitler ! (Il fait le salut nazi, rigide, les deux soldats rectifient la position. Silence subit. Les violons jouent en sourdine « Alsace et Lorraine » ; au refrain : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine et malgré nous, nous resteront Français » et continuent jusqu’au baisser du rideau) |
Michenot | (Calme, à mi-voix) Ah !... Mais c’nom po to jo nem ?... |
L’off all. | Vous dites ? Que dit-il ? |
Françoise | C’est du patois lorrain, Monsieur. Cela veut dire Dieu nous bénisse tous ! (Rideau. Reprise d’Alsace et Lorraine par l’orchestre jusqu’à la fin du refrain par les clairons) |
- Fin du 1er acte - |
Henneseigne | (Jetant les cartes) Atout et atout. Ça y est, c'est pour moi. |
Portenquin | Tu peux dire que tu en as de la veine. |
Michenot | Et t'as pourtant mal joué. |
Henneseigne | En attendant c'est toi qui paye la tournée. M. Cavenaze apportez du Gaillac et du bon! En l'honneur du débarquement (Au public) chutt ! Ça vaut la peine ce coup-ci. |
Cavenaze | Voilà, voilà. C'est un nouveau tonneau. Ces dames ne prendront rien ? Un petit banyuls ? |
Mme Michenot | Non, merci pour nous M. Cavenaze. Nous ne sommes pas de bonnes clientes, nem ? Nous ne venons que pour la TSF. |
Cavenaze | Ca ne fait rien. Je vous l'aurai offert de bon coeur, aujourd'hui surtout. Et ces messieurs, eux, sont de bons clients. |
Mme Portenquin | Oh ça ! Pour aller au café, les hommes ils sont toujours prêts ! A Woippy c'était déjà pareil. |
Cavenaze | Allons allons, ma bonne dame, vous autres, Lorrains, vous n'y allez pas tant que ça, et vos hommes ne jouent pas aux boules jamais en semaine. Mais bons clients ou pas vous savez bien Bonne Mère, que je me mettrais en quatre pour les réfugiés, moi ; en quatre, en huit, en douze ! |
Mme Manginet | C'est bien vrai M. Cavenaze et nous ne l'oublierons pas. Faudra venir nous voir à la Fête des Fraises quand nous allons être rentrés chez nous. |
Mme Goussette | Ce sera bientôt maintenant, allez ! |
Cavenaze | C’est promis, c’est juré. J’irai goûter vos fraises. Et je souhaite que ce soit pour l’an prochain, bonnes gens ! Ah ! Mes pauvres amis, ça me fait deuil pour vous cette guerre ! |
Michenot | Hum ! Au train où ça va encore ce n’est guère terminé ! |
Mme Portenquin | Et qu’est-ce qu’on retrouvera de Woippy et de nos fraises ? Ici, elles ne poussent pas. |
Portenquin | Plaignez-vous donc. Les dernières nouvelles sont bonnes ; qu’est-ce que vous voulez de plus ? |
Henneseigne | (Mystérieux) Il paraît que le débarquement continue ferme depuis deux jours ! |
Mme Gousette | Les doryphores se remuent partout. Ils s’envolent |
Michenot | Je n’ai pas encore confiance. Je ne vois pas notre pauvre Woippy libéré et tout le monde rentré. Depuis trois ans et demie qu’on est expulsés. |
Mme Portenquin | Et les autres déportés au Tyrol, en Bessarabie, chez les Sud-Estes. Et les malgré-nous ! |
Heneseigne | Bien sûr que ça n’ira pas tout seul. |
Mme Goussette | Ca c’est vrai qu’on est dispersés. |
Mme Manginot | Pensez-voir un peu : Ici à Rabastens, à Gaillac, à Lavaur, à Mirepoix, à Saint-Privas, à Châtel-Guyon… Où encore Seigneur ? |
Mme Portenquin | Il y en a qui ne reviendront peut-être pas. J’ai entendu dire que M. le curé allait être nommé chanoine de Sainte-Quitterie. Il a déjà un peu l’accent du pays. |
Michenot | Ne vous en faites pas il en reviendra avec nous de tous les côtés. |
Henneseigne | Quand il faudra renter tout le monde trouvera le chemin. |
Mme Goussette | On ira à pied, s’il le faut. |
Portenquin | Eh bien, à la nôtre, à la vôtre, au retour à Woippy. |
Henneseigne | A la santé des Alliés et vive de Gaulle ! (Ils trinquent) |
Mme Goussette | Chutt ! (Silence) (passage d’un détachement allemand qui chante. Un gendarme allemand entre, salue, regarde partout 5 secondes, salue et repart.) |
Cavenaze | Ils sont passés ! N’oubliez pas de bien surveiller dans la rue Madame Goussette. C’est votre tour de faire le guet de soir. |
Mme Goussette | Ne vous en faites pas. Je vous écoute d’une oreille et je regarde avec l’autre œil par dehors. |
Henneseigne | Attention aux mouchards, nous autres Lorrains. |
Cavenaze | Surtout, capededious, que voilà l’heure du communiqué. |
Mme Portenquin | Ah ! Ah ! On va écouter, ce soir, un peu ce qu’ils disent. |
Cavenaze | Eh bé ! Allons y. (Silence) Ça y est ! (Crépitements) Oh ! Oh ! C’est bien brouillé aujourd’hui ! |
Mme Portenquin | C’est au moins encore les Boches, qui... |
T.S.F. | (Indicatif de la B.B.C.) Ici Londres, Londres, les Français parlent aux Français. Nous allons d’abord vous donner des messages. Ecoutez les messages. Ne quittez pas l’écoute. Les doryphores ont pris la poudre. Les doryphores ont pris la poudre. |
Portenquin | La poudre d’escampette, sans doute. |
T.S.F. | Les Fanchettes et les Boserés vont retourner à leur école le mois prochain. |
Mme Goussette | Ils pensent à nous ; ça c’est bien ! |
T.S.F. | Le dragon de Saint Clément se jettera dans la rivière. Je répète : Le dragon de Saint Clément se jettera dans la rivière. |
Henneseigne | Sûr, c’est du Graouli qu’ils parlent ! |
T.S.F. | Allo, allo. Très important. Ces messages sont les derniers de Londres. Derniers messages de Londres. Prochaine émission sur le sol français. C’est sur le sol français que... (Crépitements… Silence) |
Cavenaze | Plus de courant, c’est coupé ! Sûr que ça a dû être coupé quelque part. |
Mme Goussette | Quel dommage, c’est coupé ! |
Portenquin | Ça ne fait rien, c’était bien ! |
Michenot | Ah ! Pour ça oui alors ! |
Henneseigne | Ce coup-là on peut espérer, hein ! Fini l’exil et le cafard. Chez nous, on va rentrer chez nous ! |
Mme Portenquin | C’est-il Dieu possible ! |
-- etc. -- |
Revue 1948 : « Wladimir, cavalier-roi » ( 3 actes - 23 scènes, 1 final. ) |
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