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La gare de triage de Woippy
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Est Magasine
Supplément de l'Est Républicain
La Liberté de l'Est - n° 482
Dimanche 3 août 2008

La SNCF en fait des tonnes

La Lorraine héberge à Woippy le plus grand « hub » de fret ferroviaire de France. Un pari sur l'avenir où passent près de 200 trains par jour.

Des rails qui s’entrelacent. Vu du haut, l'endroit ressemble à une pelote de laine emmêlée. Au sol, tout prend un sens. Coincée entre deux zones commerciales, l'Unité opérationnelle (UO) Fret de Woippy (Moselle), à seulement quelques kilomètres au nord de Metz, accueille le plus grand « hub » de France. Le fret ferroviaire (transport de marchandises) est en pleine révolution. L'activité déficitaire s'ouvrira bientôt à la concurrence. Alors la SNCF redessine son paysage : elle disposait de huit centres de tri nationaux pour le fret en début d'année. Objectifs avoués : augmenter la cadence et passer au « haut-débit ferroviaire ». En décembre, le trafic ne gravitera plus qu'autour de quatre « hubs ». Le hub ? Un terme issu de l'informatique et repris au vol par l'aéronautique. Il désigne une interconnection. Rayon fret ferroviaire, le cap est franchement mis au nord. Les quatre hubs retenus se situent en Ile-de-France (Villeneuve-Saint-Georges) en région lyonnaise (Siblein), en Bourgogne (Gevrey) et en Lorraine (Woippy). Le sud-ouest est complètement oublié. Etonnant ? Pas tant que cela souligne Dominique Boucard, le patron du site mosellan : « Le bassin du sud-ouest a une forte activité mais celle-ci n'est pas liée au fret ferroviaire. Nos principaux clients sont l'industrie sidérurgique, la chimie, les céréaliers et les produits de carrière ».
Dans ce registre, l'UO de Woippy est historiquement le plus grand centre de France. Arcelor et Mittal envoient des tonnes d'acier, les céréales transitent par le port de Frouard, le pétrole passe par Hauconcourt et Pagny-sur-Meuse n'en finit plus de rogner le calcaire de sa colline. Il y a les gros industriels comme Saint-Gobain PAM qui affrètent des trains entiers. Là les choses roulent quasiment toutes seules. « Quand Pont-à-Mousson veut envoyer un train complet de tuyaux en Arabie Saoudite, c'est relativement simple », confie Dominique Boucard, originaire de Haute-Saône. « Il suffit de charger le train et de l'envoyer sur le port d'Anvers. Le jour où la même entreprise fait partir un seul wagon de plaques d'égout, cela devient plus compliqué. » Les hubs ont pour vocation de gérer ces wagons isolés. Il faut trier les trains arrivant, les « couper » (sic) et former de nouveaux trains. Voilà pour la théorie. Faire et défaire en bon ordre. Un jeu de Lego où la moindre pièce pèse plusieurs tonnes.
Chaque hub collecte donc les wagons dans sa zone (la Lorraine pour Woippy), assure les connexions vers les autres hubs et gère les relations avec l'international. Alors que les usines se déplacent de plus en plus à l'Est, l’UO de Woippy, adossée au géant allemand, enregistre un trafic record : 450.000 wagons en 2007.Loin devant les autres. Loin également des années historiques. « Depuis la création, en 1963, nous sommes les premiers », avance Dominique Boucard, « à l'époque de la sidérurgie et des mines, il suffisait de se pencher pour ramasser les wagons. Il passait deux fois plus de trains qu'aujourd'hui ». Située sur un axe Metz-Thionville aujourd'hui déserté par la sidérurgie, l'UO de Woippy continue à traiter près de 80 trains par jour. Certains mesurent près de 400 m, l'équivalent d'un tour de stade. Ici, tous les chiffres donnent le tournis (lire par ailleurs). L'endroit semble à cheval sur deux époques.
Certains équipements remontent quasiment au temps de la machine à vapeur. Les locaux ont vieilli. Dans le Poste A, l'aiguilleur manipule des commandes qui ont plus de 50 ans. Elles actionnent mécaniquement des aiguillages dirigés par de simples fils mécaniques et des poulies. Un peu plus loin, des ordinateurs (et des hommes) gèrent les flux. Peu importe les commentaires. « Quatre trains sur cinq partent à l'heure », précise Dominique Boucard. Et dedans, il n'y a aucun voyageur pour râler...    Philippe MARCACCI, Photos Alexandre MARCHI.


Woippy, le plus grand carrefour du fret sur le territoire français. Un « hub » où passent près de 450.000 wagons par an.

UN WAGON DE CHIFFRES
- Dédale
Sur plus de 5,2 km de long, l’UO fret de Woippy déploie un incroyable entrelacement de rails: un goulée d'étranglement (le faisceau de réception) qui compte 17 voies de 750 m de long, 48 voies (730 à 820 m) où sont triés les trains et un faisceau de départ de 14 voies (750 m). En tout, cela nécessite 400 aiguillages. Pas facile d'y retrouver son chemin.
- A temps compté
Dans le meilleur des cas, un wagon passe quatre heures sur le site avant d'être emporté par une nouvelle locomotive. La moyenne se situe autour de douze heures. Le but du haut débit est de faire baisser ce chiffre.
- Des hommes et des trains
600 cheminots travaillent à Woippy. Une petite moitié seulement (260) s'occupe effectivement du triage. Les autres assurent la maintenance des installations et des wagons, conduisent les trains.
Comme le site fonctionne 24 heures sur 24, 365 jours par an, il faut compter 7,2 personnes par poste de travail.
- C'est du lourd
A vide, le plus léger des wagons pèse neuf tonnes. Mais, en moyenne, un wagon approche le double. Chargé, il peut atteindre 88 tonnes (22 tonnes par essieu). Un train compte entre 22 et 40 wagons et peut dépasser régulièrement plusieurs centaines de mètres. Tous les jours, près de 80 trains transitent par Woippy.
- Titanesque
Le chantier, bouclé en cinq ans (1959 à 1964), a imposé de gigantesques travaux. Il fallut surélever de 1,25 m les 114 hectares du site avec 900.000 m3 prélevés sur un crassier voisin, détourner la route nationale, construire quatre ponts-routes et... déplacer sur plus de 100 m, sans la démonter, une maison d'habitation. Une voie ferrée provisoire a été spécialement réalisée à cet effet.


comme un tir au but

Pour trier les wagons, il suffit de les placer en haut d'une butte. Puis de les laisser partir.

En théorie, « le tri à la gravité » a l'air tout simple. Il suffit de placer les wagons en haut d'une butte et de laisser glisser sur les bons rails. Cela complique lorsque l'on sait que l'opération peut se répéter toutes les douze minutes et que les wagons en question peuvent peser deux fois le poids d'un camion.
Mais bon, l’UO fret de Woippy fonctionne ainsi. Les trains arrivent. Ils sont « coupés » en fonction de la destination de leurs wagons puis hissés en haut de la « bosse ». De là, un agent manipule un clavier qui ressemble à un rustique sabot de carte bancaire. A l'aide d'un code, les aiguillages sont manœuvrés.
Les wagons ou groupes de wagons rejoignent ensuite une voie où ils seront associés à d'autres unités pour constituer un nouveau convoi, ce qu'on appelle ici un lot. Et comme, rayon SNCF, on a parfois l'âme poète, l'opération a été baptisée « Tir au but ». Parce qu'il faut la précision d'un Zidane pour envoyer au bon endroit un ballon qui pèse plusieurs dizaines de tonnes. « Le wagon doit se positionner exactement à l'emplacement souhaité sur une voie où d'autres wagons peuvent l'attendre », souligne Dominique Boucard. « Il doit aller le plus loin possible dans la voie libre. En cas de choc, c'est le déraillement assuré. » En haut de la bosse, le lâchement est calculé selon un algorithme qui intègre le poids du wagon, son indice de roulement, la longueur de la voie libre et ses caractéristiques. Sur son parcours, le wagon sera ensuite ralenti par deux freins dans des grincements qui arrachent les oreilles. Des radars contrôlent que tout se passe comme prévu. Dans le Poste D (comme débranchement), Odile Bartousz et son équipe font office de tour de contrôle. « Il y a un gros boulot de préparation », indique la chef de poste qui n'en finit plus de raturer un immense plan à coups de Typex. Ici non plus, les trains n'arrivent pas toujours à l'heure. Et il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier, recalculer, adapter... Savoir qu'on va placer tel convoi sur telle voie, qu'il faudra attendre qu'une « loc » (une locomotive) soit disponible. Il y a des heures de pointe (la nuit, le week-end), les imprévus, des convois demandant plus d'attention... « C'est un immense puzzle. En huit heures, on voit passer une trentaine de trains. »
En bout de ligne, les wagons finissent par former un « lot » regroupant des unités venant de multiples horizons et désormais voués à une même destination. Ils sont assemblés. Avant de reprendre leur route. La vie du rail ne s'arrête jamais.



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