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  Dernière mise à jour : 9 juin 2016

La gare de Metz
(Extrait des Cahiers Lorrains - 1994 - N° 4 - Décembre)

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LA GARE DE METZ « INTÉGRÉE »
AU PATRIMOINE LORRAIN

La gare de Metz, longtemps honnie par l'ensemble des Lorrains, commence insensiblement à rentrer en grâce. Les Messins apprécient son caractère fonctionnel. L'ampleur de son infrastructure conçue par et pour les militaires, lui permet d'accueillir sans difficulté notable, le TGV de l'an 2000, atout majeur dans le contexte économique préludant son arrivée. Enfin, les nombreux groupes qui suivent, depuis une quinzaine d'années, les visites guidées de ce monument, prennent mieux conscience des motivations militaires et politiques ayant présidé à son édification et découvrent avec ravissement son insolite iconographie. L'auteur de cet article ne désire pas « classer » la gare de Metz au sommet de la hiérarchie architecturale. Il aime davantage sa belle cathédrale et sa place Saint-Louis, les rives de Moselle ou bien la Comédie. Il veut simplement tenter d'expliquer ce monument « colossâl », aux lecteurs des « Cahiers Lorrains », afin qu'ils le comprennent un peu mieux avant de lui jeter l'anathème.
 
Le contexte stratégique
Après la défaite de 1870, l'Alsace-Lorraine, considérée comme le glacis du nouvel empire allemand, doit être dotée d'une infrastructure ferroviaire digne des ambitions de la stratégie prussienne. Guillaume II arrive au pouvoir en 1888. Il évince le chancelier Bismarck, partisan de relations diplomatiques étroites avec la Russie. En conséquence, celle-ci se sent libre de négocier des accords de défense avec la France. La guerre sur deux fronts menace à présent l'Allemagne « qui n'y est pas préparée » avoue Guillaume II, dans ses « Mémoires ». Et, c'est toute l'organisation de sa stratégie qui est remise en cause. En cas de conflit, « le plan d'attaque de l'état-major allemand consiste à précipiter sur la France, dans les conditions les plus rapides le maximum de forces militaires disponibles, à écraser notre armée dans le moindre délai et, après avoir mis la France hors de cause, à se retourner du côté de la Russie et la vaincre à son tour. Ce plan nécessitait un très gros effort de la part des chemins de fer. Il exigeait la construction de nombreuses voies d'accès vers la France. Nul ne pouvait ignorer en 1908, la menace que faisait peser sur nous l'exécution des lignes nouvelles et le doublement des lignes anciennes vers la frontière française. Parmi ces lignes, on peut citer la ligne Nuremberg-Landau-Sarrebruck qui conduit à Metz et la ligne Francfort-Mayence qui conduit également à Metz. Enfin, une ligne particulièrement importante au point de vue militaire que les Allemands désignaient « Canonenstrasse » (1) de Berlin à Metz par Magdebourg, Cassel, Coblence, Trêves et la Vallée de la Moselle » (2).

Ces voies ferrées, suréquipées en quais militaires, en voies de garage, en réservoirs d'eau pour l'alimentation des locomotives, ont une redoutable efficacité pour des déplacements militaires de grande envergure.

En 1890, Guillaume II crée à Metz le XVIe corps d'armée, fort de 25.000 hommes. Il place à sa tête le général comte von Haeseler, héros de la guerre de 1870, et auteur de la mobilisation réussie de la Prusse. Le premier problème stratégique auquel il est confronté, est la modeste gare de Metz avec ses quatre voies à quai, se terminant en cul de sac par un butoir ! Le général von Haeseler a besoin d'une grande gare de passage, complément indispensable des nombreuses lignes stratégiques dirigées vers Metz, devenue le pivot de la défense du Reich. Le démantèlement des remparts de la ville, lié aux progrès de l'artillerie, libère à propos des terrains, où la grande gare souhaitée trouvera ses aises.

Les raisons politiques
Un concours pour la construction de la gare de Metz est ouvert le 10 décembre 1901. Si le choix du style est laissé au talent des architectes, le cahier des charges impose bien des contraintes, liées aux exigences des militaires, à tel point qu'il ne reste aux créateurs qu'à habiller un plan rigoureux. Le projet « Lumière et Air » de l'architecte berlinois Jürgen Kröger obtient le premier prix. Mais les préférences de Guillaume II pour le « roman » obligent Kröger à revoir son plan. L'Académie royale d'architecture de Berlin impose à l'auteur de romaniser, à deux reprises, ses dessins. Il s'agit de placer à Metz, ville hostile à la germanisation, un grand monument symbole, rappelant les palais « romans rhénans » du Saint Empire Germanique.
Ce style est également révélateur des revendications nationalistes, traduisant mieux le lien qui unissait Metz, cité carolingienne, à l'Allemagne. C'est bien cette vague nationaliste du XIXe, qui voit resurgir Arminius (Hermann en Allemagne), vainqueur des légions de Varus dans la forêt de Teutoburg, et dont l'épopée est sculptée sous les fenêtres du salon impérial (3). Il faut bien flatter l'empereur jusque dans son « pied à terre ». Il est ici, en Alsace-Lorraine, terre d'empire, chez lui plus que dans les autres États du Reich. Guillaume II est persuadé de son essence supérieure puisque divine, et se veut un souverain aux goûts artistiques affirmés. Les journaux de l'époque lui attribuent l'esquisse de la tour de l'horloge ! Cela suffit pour que la gare de Metz devienne un « modèle » de l'architecture allemande. Guillaume II, encore en pleine réunification, est à la recherche de ses sources. L'évocation des victoires des Germains contre les Huns et, on vient de le voir, contre les Romains, font appel à la mythologie germanique. La représentation, sous la protection de l'aigle impérial, de la guerre (un chevalier tenant son épée) et de l'industrie (une femme et son rouet) sur le tympan du balcon impérial, symbolise l'unité ; si l'aigle s'est envolé en 1918, le regard complice entre l'industrie et la guerre, symbole du pouvoir politique de l'époque, est resté.
1) La traduction est lumineuse.
2) Marcel PESCHAUD, Les chemins de fer allemands et la guerre, Paris, Lauvazelle. 1927.
3) Le mausolée du prince chérusque Hermann est inauguré en 1875, par l'Allemagne de Bismarck. Mais, en France, on ressuscite Vercingétorix, personnage historique magnifié aussi en héros national.
4) « Le Lorrain », 30 juin 1905.

La construction
Le cahier des charges prévoit que le coût total des installations ne doit pas dépasser 2.190.000 marks. En fait, la facture finale s'élève à 29 Millions de marks (4) ! Ce « dépassement » explique toutes les suppositions qui ont traversé l'esprit des Lorrains au moment de l'inauguration.
Mais, le cahier des charges ignorait l'instabilité du sol. Sans revenir sur le choix du site, malgré le surcoût, la décision est prise d'adopter une technique nouvelle due à l'ingénieur français François Hennebique. Des pieux en béton armé de 10 à 17 m sont enfoncés dans le sol meuble, jusqu'à la couche solide d'argile bleue. C'est ainsi que 3034 pieux, servent d'assise à la gare de Metz. Dépassement du devis encore, il est prévu l'emploi de la pierre de Jaumont pour l'édification de la gare. Mais c'est du grès de Niderviller, plus germanique qui est utilisé, au lieu du calcaire jaune rappelant sans doute trop l'architecture française à Metz. Ces considérations esthético-politiques ont un prix.
Enfin, la gare stratégique ! Si la gare de Metz était si stratégique, aurait-elle survécue à deux guerres destructrices ? Pour le voyageur, la gare est le seul aspect du système ferroviaire, sa vitrine. Pour l'exploitant... ici pour le militaire, c'est toute l'infrastructure des lignes et des installations techniques spécifiques qui forment « l'appareil » stratégique. Ce sont les nombreuses lignes à double voies, dirigées vers l'Allemagne, dont une, directement reliée à la gare de Metz. Ce sont les imposants quais militaires, répartis judicieusement. C'est la rocade des lignes de contournement de la ville. C'est la gare des marchandises, vaste, bien conçue et bien desservie dans la vallée de la Seille. C'est le dépôt des locomotives ou l'atelier de Montigny. La gare de Metz, même dans sa démesure, ne constitue qu'un élément de l'immense complexe ferroviaire si efficacement stratégique. Il est évident que tous les désirs des militaires sont exaucés... sans tenir compte apparemment du prix.

Le chevalier de la tour
L'histoire de la statue du chevalier de la tour de la gare, illustre de façon parfois cocasse, mais finalement plaisante, les symboles politiques que Guillaume II essaye de plaquer sur cette architecture de façade, masquant une infrastructure essentiellement militaire. En Allemagne du Nord, le souverain accorde parfois un « Roland » à une ville, en signe de sa protection particulière. Guillaume II, qui pense lui faire plaisir, accorde un « Roland » à Metz, ville libre au temps du Saint Empire Germanique. Cette image du protectorat impérial doit être, selon la tradition, une statue de Saint Georges terrassant un dragon. Mais, dans les rues de Metz, on sent bien qui est Saint Georges et surtout qui pourrait bien être le dragon. On renonce au dragon... puis au saint, et c'est une décision personnelle de l'empereur qui donne au « Roland » de la gare, les traits du feld maréchal von Haeseler.

Gottlieb-Ferdinand-Albert-Alexis Graf von Haeseler (1836 - 1919), est le descendant d'une illustre famille où l'on trouve des ministres, des sous-préfets, des directeurs de provinces ou de nobles et riches propriétaires terriens. Stratège de talent, il était chargé de l'organisation de la mobilisation de la Prusse en 1870. C'est à lui que l'on doit le minutieux remaniement de l'infrastructure ferroviaire de Metz, alors qu'il était à la tête du XVIe corps d'armée ; il est pensionné en 1905, et promu feld maréchal en 1907. « La stratégie allemande doit à Haeseler de précieux progrès. Il est persuadé de la nécessité de se libérer de la forme rigide de la guerre des fortifications, d'augmenter la mobilité et la force offensive des troupes opérationnelles, enfin, d'enseigner au combattant isolé une plus grande indépendance. Le comte von Schlieffen a réalisé ce que Haeseler préconisait : en cas de fronts multiples, porter l'effort le plus important à l'ouest et non plus à l’est. Haeseler voit dans la cavalerie un rôle de reconnaissance plus qu'un rôle d'attaque. Il exige que les officiers, la troupe, les chevaux et le matériel répondent, même en temps de paix, aux exigences du temps de guerre. Il réalise avec ses troupes des performances inconnues jusque là, se souciant peu de la casse du matériel ou des blessés lors des manœuvres. Son caractère exclusif et les exagérations manifestes qu'il cultive, n'engendrent l'adhésion ni de ses subalternes ni de ses supérieurs. Mais, payant de sa personne armée et possédant un esprit plein de justice, il fait du XVIe corps une armée d’élite. » (5)
5) Neue Deutsche Biographie, t. XI, Berlin, 1977, p. 452.

Son prestige est si grand, qu'il se permet l'audace de vaincre, à la dernière minute, le Kaiser, dans des manœuvres autour de Metz, naturellement préparées à l'avantage de Guillaume II. De plus, Haeseler aime bien Metz, il semble donc naturel que l'empereur lui rende ainsi hommage, en le plaçant devant « sa » gare, comme un chevalier défendant le Reich.

Quelques modifications de 1918
En 1919, la tête de la statue est changée, son bouclier voit l'aigle s'envoler pour laisser place à la croix de lorraine. Vingt ans après... (enfin presque), le malheur qui s'abat sur la Lorraine en 1940 voit de nouveau l'occupant allemand (devenu nazi) prendre en main les destinées de notre région. Il devait y tenir à son Haeseler, puisqu'il entreprend de le remettre à l'honneur en gare de Metz. L'idée de replacer la tête de Haeseler est acceptée par le maire de Metz qui propose de sculpter les armes de la ville sur le bouclier, car il était très lié à la ville de Metz. Les travaux ne sont achevés que le 3 octobre 1942 ! Qui a vanté l'efficacité du régime nazi ?... Deux ans plus tard, Metz est à nouveau libérée. On s'occupe du chevalier de la gare. Les armes de Metz, n'ont pas de raison d'être modifiées, mais la tête de Haeseler tombe encore une fois, remplacée par celle que vous voyez aujourd'hui. C'est sa quatrième tête... mais cette fois, elle est solidement fixée, les messins peuvent être rassurés !

Le vitrail du salon d'honneur représente Charlemagne en majesté sur son trône d'Aix-la-Chapelle. Dans sa recherche de légitimité, qui n'était pas si évidente, ni au Parlement, ni par rapport à la constitution, Guillaume II se dotait ainsi d'une lignée illustre. Le prestige et l'aura de Charlemagne ont sauvé ce vitrail des modifications de 1918. En face, le grand vitrail représentait un aigle, identique à celui qui ornait le fronton de l'entrée de la gare. Il ne reste à sa place qu'un « carré blanc » plein de signification historique.

Une gare détestée
Née sous le signe de l'aigle, la gare de Metz n'a passé que les dix premières années de sa jeunesse sous ses ailes. Ces oiseaux « naturalisés » après 1918 nous laissent une gare très fonctionnelle dont la richesse iconographique ravit de plus en plus de visiteurs, du simple amateur à l'éminent spécialiste. L'inscription de la gare à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques le 15 janvier 1975, des articles dans les journaux, des visites, des expositions, un ouvrage... autant de signes d'une évolution des mentalités. La gare de Metz accède enfin à la dignité de monument historique, elle suscite intérêt et considération.

Pendant l'annexion, les Messins, hostiles aux Prussiens partageaient l'avis de Maurice Barrès : « La gare neuve où l'on débarque affiche la ferme volonté de créer un style de l'empire, le style colossâl comme ils disent en s'attardant sur la dernière syllabe. Elle nous étonne par son style roman et par un clocher, qu'a dessiné, dit-on, Guillaume II, mais rien ne s'élance, tout est retenu, accroupi, tassé sous un couvercle d'un prodigieux vert épinard. On y salue une ambition digne d'une cathédrale, et ce n'est qu'une tourte, un immense pâté de viande. La prétention et le manque de goût apparaissent mieux encore dans les détails. N'a-t-on pas imaginé de rappeler dans chacun des motifs ornementaux la destination de l'édifice ! En artistes véridiques, nous autres, loyaux Germains, pour amuser nos sérieuses populations, qui viennent prendre un billet de chemin de fier, nous leur présentons dans nos chapiteaux des têtes de soldats casquées de pointes, des figures d'employés aux moustaches stylisées, des locomotives, des douaniers examinant le sac d'un voyageur, enfin un vieux monsieur, en chapeau haut-de-forme, qui pleure de quitter son petit-fils...

Cette série de platitudes, produit d'une conception philosophique, vous n'en doutez pas, pourraient tant bien que mal se soutenir à coup de raisonnements, mais nul homme de goût ne les excusera, s'il a vu leur morne moralité. Et je n'éprouve pas davantage un joyeux sentiment de fantaisie à voir un maçon tirer de son sac, au hasard, un assortiment infini de motifs architecturaux ... C'est proprement inconcevable, sinon comme le délire d'élèves surmenés ou la farce injurieuse de rapins qui bafouent leurs maîtres. On croit voir, figées en saindoux, les folies d'étudiants architectes à la taverne d'Arrerbach » (6).

Il y a bien des vérités dans ce texte qui massacre notre gare de Metz. Certes elle n'est pas élancée, et sa lourdeur massive est évidente.
6) Maurice BARRÈS, Colette Baudoche, Paris, 1909, p. 6.
7) Emile HINZELIN, Images d'Alsace-Lorraine, Paris, 1910.

D'autres auteurs ont vilipendé la gare de Metz. Ainsi, Émile Hinzelin (7) la trouve franchement laide, mais pas trop incommode : « Aujourd'hui, quand on arrive à Metz, on se trouve en présence de deux toits verts qui, pour notre goût, sont parmi les quatre ou cinq choses les plus bizarres et les plus laides du monde. Le premier de ces toits, tout guindé, tout chétif, c'est le toit de gazon que les Allemands ont appliqué au faîte de la porte Serpenoise, réduite et travestie. L'autre s'étale, énorme, sur la difformité de leur nouvelle gare. Ce gigantesque édifice tient à la fois du temple militaire, du château féodal, du bureau de poste et du chalet de nécessité. Digne gardien des villas allemandes qui se multiplient à la place des remparts français. Défi à la cité, à la terre et au ciel. Laide et même plus que laide, la nouvelle gare de Metz n'est pas trop incommode. Les vestibules, les passages souterrains, les escaliers, les quais sont interminables, mais ingénieusement disposés. On dit que, sous les quinze voies apparentes, se cachent deux voies stratégiques. Deux seulement ? Malgré tant de changements, la ville reste une des plus françaises qui soient. Pour René Vanlande, « c'est le contraire du goût lorrain... une énormité! Pan ! Voilà ! Kaiserlicher Bahnhof ! »

Louis Bertrand, dans « Jean Perbal » (8), la trouve tout simplement « hideuse ».

Après ces sentences, ces jugements sévères, me voici bien petit pour défendre encore la gare de Metz. En fait, je ne la défends pas en 1908, où elle n'était pas innocente. J'essaye de la sortir de l'ignorance dans laquelle les messins l'ont cachée pendant trop longtemps, que dis-je cachée... enfouie bien loin derrière l'image de leur résistance à l'occupant. Et l'occupant, et l'occupé d'alors, ont profondément changé depuis... Et la gare de Metz est toujours là, si pratique, prête à accueillir le TGV que l'on espère depuis ... (9)
Alors, son style ?...
8) Louis BERTRAND, Une destinée Jean Perbal, Paris, 1925 p. 292.
9) Si longtemps !

Le choix du style
Après sa victoire « incontestable » de 1870, le jeune Reich recherche sa consolidation intérieure. Il s'agit de modeler des institutions, une administration d'aménager le territoire dans les états fédérés, souvent en retard sur les autres pays européens. La construction des chemins de fer est donc menée énergiquement. Face aux autres nations, qui ont de bonnes raisons de le craindre, le nouveau Reich veut se donner une nouvelle image, en participant à l'évolution culturelle. Les architectes allemands suivent, ou souvent précèdent cette évolution artistique. Il est d'ailleurs significatif qu'aucun des projets présentés pour l'édification de la gare de Metz ne soit « roman » ; celui du lauréat J. Kröger, étant « modern' style ».

Le roman-rhénan, imposé à l'architecte est, à l'origine, une construction sobre et sévère surgissant d'un socle particulièrement robuste. Il prend ses sources au XIe siècle, dans le passé carolingien, où il s'impose comme un des courants de l'art roman. D'évidence, ce style dicté, doit introduire à Metz un monument phare, rappelant le temps du Saint Empire Germanique. Mais Kröger ne fait que recouvrir les lignes de base de son plan pour l'adapter aux exigences de l'empereur. C'est avec naïveté que les promoteurs du bâtiment le surchargent d'allégories besogneuses, de symboles puérils, emphatiques, qui ont été -avec raison- critiqués par Barrès.

Pour ceux qui savent ouvrir les yeux et lever un peu la tête, cette gare peut leur raconter une page d'histoire de la Lorraine annexée, qui a su conserver toute son identité face à la puissance qui voulait la germaniser. Nos parents et nos grands-parents l'ont suffisamment détestée pour ce qu'elle représentait; nous pouvons maintenant commencer à l'apprécier pour ce qu'elle est. Ce style a une signification profonde, c'est l'empreinte laissée par l'occupant qui a marqué la Lorraine et Metz, quoi que l'on fasse, et pour longtemps.

Il n'est pas possible de renier son passé et la gare de Metz est un héritage bien fonctionnel, que nous pouvons accepter avec davantage de reconnaissance qu'il y a trois quart de siècle. François Nourissier, dans « Metz la fidèle » (10), apporte sa voix a une réflexion encore trop minoritaire : « Ah, cette gare de Metz, en aura-t-on assez parlé, ricané, écrit, médit ! ... Tels étaient, au début du siècle, la façon dont l'œil voyait la métamorphose messine, et les enseignements et nostalgies patriotiques qu'on en tirait. Tout cela, on le répète, s'explique et se justifie, mais le temps a passé. Peut-être est-il honnête de considérer autrement cet urbanisme terriblement présent ? ... Oublions une charge émotionnelle excessive et toutes les significations extra-esthétiques qu'elle imposa. Notre goût en a ressuscité bien d'autres ! Il trouvera demain de la beauté à ce style qui le choque déjà de moins en moins ». Serait-ce le premier « extrait » positif d'un auteur estimé, reconnu ? Il ne suffit pas encore pour

compenser les vitupérations de René Vanlande, les blâmes de Louis Bertrand, ou oublier les réprimandes de Maurice Barrès.
Pour conclure cet essai de réintégration de notre « chère » gare de Metz, nous ne saurions mieux faire que de reprendre ce que nous avons déjà écrit : « Nous pouvons maintenant adhérer à ce « mouvement » désireux de défendre le patrimoine lorrain « tout entier » ? La gare, monument le plus représentatif' de cette architecture boudée, a purgé sa peine ; il est temps - même si cela va en prendre beaucoup - de la réhabiliter. En somme, après le ravalement de sa façade, de ravaler aussi son image. Elle fait partie de notre patrimoine architectural, au même titre que certains monuments spectaculaires réalisés par d'autres occupants, telles les arches de Jouy. Qui voudrait aujourd'hui rendre à César… ce qui appartient aux Lorrains ? » (11).
10) Editions Denoël-Serpenoise, 1982, p. 28.
11) A. SCHONTZ, Le chemin de fer et la gare de Metz, Editions Serpenoise. Metz. 1990, p. 158.

André SCHONTZ

 
 
 




Dans la revue annuelle de l'ACADEMIE NATIONALE DE METZ, année 2015.

Page 271 : Éloge (prononcé le 5 mars 2015)

André Schontz (1931-2014)

Arsène FELTEN


André Schontz nous a quittés brutalement le 30 novembre 2014, en se levant un matin comme un autre. Nous ne verrons plus sa haute stature très droite, son air affable et souriant. Il avait été admis à l'Académie en 1996 comme membre correspondant, devint membre associé libre en 2000 et membre titulaire en 2005... enfin membre honoraire en 2011.
Qui était-il ?
André Joseph Schontz était né le 27 juin 1931 à l'hôpital des Forges de Hayange. Son père était responsable de l'expédition des produits longs à l'usine Saint-Jacques chez de Wendel. Sa mère était une Dintzner, de Plaine-de-Walsch, dans l'arrière-pays verrier de Sarrebourg, qui deviendra le socle familial. Sa génération sera en rupture avec la tradition familiale liée à la sidérurgie et au paternalisme wendélien : ses deux frères choisissent la vie ecclésiastique (l'aîné devient chanoine, le cadet, professeur de théologie au grand séminaire de Metz) et ses deux sœurs s'investissent dans l'action sociale. Son père ne voulait pas qu'André entre chez de Wendel : il choisira le chemin de fer, où il est admis comme « élève exploitation » en 1948. Affecté en gare de Hayange, il apprend le métier en travaillant dans cette gare, mais aussi à Fontoy et dans les Postes champêtres de Piconveau et La Forêt.
Appelé au service militaire en octobre 1951, puis réserviste, il est affecté à la 11e Brigade de Choc, unité parachutiste d'élite, qui deviendra la main armée des hautes et basses œuvres de l'État. Suivant stages commandos et instructions spécifiques, effectuant plus de 50 sauts de jour comme de nuit, sous les ordres des maîtres du renseignement et des actions spéciales, le colonel Godard et le capitaine Krotoff, il a tous les sacrements pour être barbouze. Lorsque sa mise en condition est jugée suffisante, ce choix lui est proposé. Il lui reste la lucidité suffisante pour refuser. Cette période de sa jeunesse et le choix de conscience que cela lui a posé sont racontés avec beaucoup d'humour dans ses mémoires De la guerre froide à la main rouge, histoire d'un jeune militaire dans la tourmente, parues en 2011.
Au retour du service militaire, il quitte bientôt celui des gares pour s'orienter vers des fonctions moins opérationnelles, devenant vendeur de billets, opérateur informatique, puis cadre à la direction commerciale fret de Metz. Chargé des relations publiques en 1978, il est nommé directeur de la communication de la région SNCF de Metz en 1984.
Premier à ce poste, cet homme timide, rougissant quand on lui adresse la parole, mais terriblement organisé et efficace, va marquer indélébilement cette fonction, dans un contexte très médiatisé (organisation des trains RTL et des trains des jouets, baptêmes de locomotives et de nouveaux matériels), mais aussi très difficile (occupation des voies et déchargement de trains par les sidérurgistes, déraillement du Métrolor à Novéant, etc.). Sa fonction le fait membre du Club de la Presse, où son entregent et son activité l'amèneront au Conseil d'administration, puis au poste de trésorier en 1988. Il y organise « la Poêle de fer des journalistes », réunion annuelle joyeusement animée. À son départ en 1992, il sera nommé premier (et seul) membre d'honneur du Club de la Presse. Marié en 1958 avec Bernadette, ils auront deux fils. Il a l'inextinguible douleur de la perdre en 2007, après une courte maladie.
André Schontz était un autodidacte, curieux de tout. Photographe remarquable, il a été souvent primé à des concours régionaux et nationaux. Très tôt, il s'est intéressé à tous les événements ferroviaires locaux et à l'histoire du rail. À force d'illustrer des articles, il en a écrit. Son premier article paraît dans La Vie du Rail en 1977, sur neuf pages, et concerne la sidérurgie à Hayange. Il sera suivi par d'autres dans la presse interne de la SNCF. Il en parle modestement dans son discours de départ en retraite en 1988 : « Amené par les hasards des obligations de mon métier à fouiller l'histoire du rail dans notre région, je me suis imperceptiblement pris au jeu. J'ai lu avec intérêt, puis avec passion ce qui était écrit sur le sujet. J'étais simplement à la recherche de mes sources, à la recherche de l'identité de mon entreprise. » Depuis longtemps, il s'intéressait à la gare de Metz dans laquelle il avait travaillé dès 1956. Mais c'est sa rencontre avec Thomas von Joest, pour sa thèse de maîtrise La gare et la poste de Metz, qui va créer un déclic et forger son destin. Il va devenir, je cite Christiane Pignon-Feller, « l'inventeur de la gare, au sens étymologique, liturgique même, autrement dit, son redécouvreur », celui qui, selon le mot d'Yves Le Moigne, va « réussir à réconcilier les Messins avec leur gare, ce qui n'est pas un mince mérite ». Après des années de recherches, il fait paraître en 1990 son livre Le chemin de fer et la gare de Metz, qui sera couronné par notre académie et obtiendra une mention spéciale au Prix des conseillers généraux de la Lorraine. Cet ouvrage remarquable, sera suivi après son épuisement en 2008, du livre La gare de Metz qui essaie de tordre le cou aux nombreuses fables, légendes et abus de langage, qui entourent la gare et son quartier. Malheureusement, sans les éradiquer !
Ses ouvrages sur Metz lui ont donné une notoriété locale et nationale qui en ont fait un guide recherché pour la visite de la gare (plus de 300 visites). Il participe à de nombreux livres, réalise un CD-Rom et écrit des articles pour les Cahiers lorrains, les Cahiers Elie Fleur, Renaissance du Vieux Metz, la Revue Générale des Chemins de fer et j'en passe. Il fait même partie du roman de Gilles Taurand, scénariste réputé, Exécution d'un soldat en gare de Metz, paru en 2005. Bientôt sa renommée devient internationale : il est le spécialiste mondial de la gare de Metz, consulté par de nombreux historiens et chercheurs étrangers !
Il aurait pu se contenter de cela. Nenni ! En 1999 paraît un fort ouvrage écrit à six mains, Le chemin de fer en Lorraine. Si Marcel Gourlot et moi-même avons participé à cette œuvre, c'est lui qui en avait eu l'idée et battait la mesure pour la mener à bon terme. Le travail fourni a été récompensé par un succès en librairie : 4 500 exemplaires vendus ! En 2007, nous publions à deux Le TGV Est - La LGV Est-Européenne. Là encore c'était son idée, mais il a voulu se mettre au second plan. Restant dans les transports, il produit seul Les voies navigables en Lorraine qui paraissent en 2008 et avait en préparation Les routes en Lorraine, ouvrage achevé dont il n'a plus eu la force de ciseler l'illustration, pour l'éditer. Il a cependant travaillé jusqu'à la fin ; sa dernière contribution est parue après son décès dans le catalogue de l'exposition en cours à Trêves sur 2000 ans de navigation sur la Moselle.
Pour l'Académie, qu'il aimait tant, il a fait plusieurs communications sur le chemin de fer. Il a également collaboré à l'élaboration de la Bibliographie Lorraine. Devenu bibliothécaire, tout en préparant sa succession, il a mené à bien la considérable tâche de sa réorganisation et de l'informatisation de son classement qui a modernisé sa gestion et amélioré la connaissance de son contenu. Il prenait beaucoup de plaisir à y venir et pourtant il a réellement songé à en démissionner, n'admettant pas de ne pas maîtriser son changement de statut de titulaire à honoraire : il était comme cela !
Rigoureux et exigeant, André préparait ses livres, ses communications et ses articles comme une opération commando, ne laissant rien au hasard, recoupant toutes les informations, argumentant ses positions. À contrario, il aimait écrire des poèmes pour ses amis, ou s’exprimaient toute sa finesse, sa fantaisie et sa sensibilité.
André était un ami fidèle et droit, bienveillant et attentionné, malicieux et parfois facétieux, mais aussi secret et farouchement attaché à son indépendance. Durant 35 ans, selon sa propre expression, nous avons été des amis, des complices et des compères.
Pour vous, il était un confrère délicieux, en tout cas lui vous considérait comme tels.

 
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