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Républicain Lorrain, Samedi 13 février 2010



Le Mosellan François Hamant a suivi au plus près du point 0 le premier essai atomique français il y a 50 ans. « Les essais, on ne savait pas trop ce que c'était ; sur le coup, nous pensions que nous avions de la chance », reconnaît-il. (Photo Laurent MAMI)

Au matin du 13 février 1960, François Hamant, de Lagarde, délégué mosellan de l'Aven (Association des vétérans des essais nucléaires), est chargé d'immortaliser l'explosion devant faire entre la France dans le cercle fermé des puissances nucléaires de l'époque. Attaché au 620 GAS (groupe armes spéciales) basé à Colomb-Béchar, cet appelé du contingent a été envoyé à Reggane, base scientifique et secrète dotée de kilomètres de galeries souterraines, dans le Sahara algérien.
« Nous devions filmer le nuage atomique depuis les quatre points cardinaux. On était les plus près du point 0 à ciel ouvert, une vingtaine de militaires et civils utilisant du matériel que les Américains ne voulaient plus. A l'époque, on nous a dit que la distance était de 20 km, mais nous avons découvert plus tard que c'était bien moins. Les autres, eux, étaient à 180 km. »
« Debout au moment de l'explosion »
Après huit jours passés dans un endroit où nul ne se déplace sans boussole, le colonel du régiment est venu voir François et ses camarades. « Il a apporté le courrier et la cigarette du condamné, avec un repas amélioré. En fait, on ne savait rien du tout, on pensait avoir la chance de participer à une opération secrète. » Le groupe a mis les appareils en marche. La bombe était placée au sommet d'un pylône de 106 mètres, elle a sauté à l'heure prévue. « Avec mon chef de poste, nous étions les deux seuls à être debout au moment de l'explosion. Les autres ont alors regardé, et puis, il y a eu l'onde de choc. En guise de protection, nous avions de vulgaires combinaisons, des bottes de caoutchouc sans toile, des lunettes de soleil et des masques à gaz, au cas où... Je verrai toujours ce nuage devant mes yeux. »
Les ravages de Gerboise bleue
« Les essais, on ne savait pas trop ce que c'était ; sur le coup, nous pensions que nous avions de la chance », ajoute François Hamant, qui une fois le nuage mis en boîte, est rentré au camp. « Une douche, une prise de sang, un examen médical, un bon repas et puis plus de nouvelles », note celui a pu fouler le point 0 quinze jours après, « un vaste cratère avec du sable calciné. C'était vraiment inconscient d'y aller. » Il a récidivé lors du 2e essai, une bombe au sol cette fois, le 1er avril 1960. « Nous avons été plus touchés que la première fois », dit-il. Les années passant, il a réalisé ne pas avoir été atteint physiquement. « Apparemment, je n'ai rien. J'ai eu de la chance. »
En 2009, le film Gerboise bleue, du nom de la bombe, est sorti sur les écrans, révélant les séquelles atroces vécues par certains soldats. « Après l'avoir vu, je n'ai pas dormi de la nuit », en tremble encore François.

« Nous étions des cobayes »
Ce n'est qu'en 2001, soit 40 ans après la première bombe atomique française que les membres de l'Aven (Association des vétérans des essais nucléaires) ont pu avoir accès aux dossiers médicaux, « Quand vous voulez faire une réclamation, vous avez 15 jours pour agir. A l'époque, nous étions bien moins informés qu'aujourd'hui, et nous n'avions pas de recul. Je prétends que nous avons été des cobayes », constate François Hamant. « Parmi ceux qui étaient présents, il y a eu 30 % de cancers de plus qu'à la normale, 25 % de stériles et des problèmes liés à la naissance des enfants », Celui qui est devenu par la suite maire de Lagarde s'est battu des années durant pour que le statut d'ancien combattant soit attribué aux soldats de la base de Reggane dans le Sahara algérien. Il a même fallu attendre le 5 janvier 2010 pour voir voter à l'Assemblée une loi permettant d'indemniser les personnes ayant subi des maladies dues aux essais nucléaires. Quant au statut d'ancien combattant, il est désormais accordé à ceux qui ont séjourné au moins quatre mois à Reggane.

Philippe CREUX


Républicain Lorrain, Mercredi 17 février 2020


L’armée française a délibérément exposé ses soldats à des radiations lors des essais nucléaires atmosphériques au début des années 60 en Algérie, à des fins d'expérimentation. C'est ce qui ressort d'un document militaire, le tome I du Rapport sur les essais nucléaires français 1960-1965, classé « Confidentiel défense ».
LE FAIT DU JOUR
Le ministre de la Défense Hervé Morin a assuré que « toute la transparence sera faite » sur le niveau d'exposition aux radiations lors de chaque essai nucléaire réalisé par la France. Dévoilé hier par Le Parisien, le rapport, rédigé par des officiers français certainement en 1998, fait référence notamment au dernier tir atmosphérique dans le Sahara algérien, baptisé « Gerboise verte » le 25 avril 1961. Peu après ce tir, deux manœuvres ont été organisées pour envoyer des hommes en zone contaminée : certains s'étaient abrités dans des trous d'hommes à 800 m du point d'impact et d'autres se sont approchés en camions 4x4.
Le but était « d'étudier les effets physiologiques et psychologiques produits sur l'homme par l'arme atomique, afin d'obtenir les éléments nécessaires à la préparation physique et à la formation morale du combattant moderne », précise le rapport. Ces manœuvres devaient aussi permettre de « fixer les possibilités de franchissement de la zone des retombées » ainsi que de « réaliser un programme d'instruction sur les mesures pratiques à prendre par les combattants pour se mettre en garde, se protéger et se décontaminer ».
« Protection relative »
Equipés de bottes, pèlerines, gants et masque de combat, une trentaine d'hommes ont disposé de 45 minutes pour creuser des trous individuels à 800 m du point zéro. Après l'explosion, « les résultats constatés étaient les suivants », précise le rapport : « Absence de brûlures apparentes, effets mécaniques pratiquement nuls (légère projection de sable), mesure de radioactivité relevée sur les mannequins ». « Il semblait d'après ces résultats qu'à 800 m du point zéro et en dehors de la zone de retombées, le combattant aurait été physiquement apte à continuer le combat », ajoute le texte. Mais il reconnaît que « dans l'offensive, si l'infanterie était appelée à combattre en zone contaminée [...] les vêtements spéciaux ne lui conféreraient qu'une protection relative et il faudrait réduire la durée du séjour des unités dans une telle zone ».
Le Délégué à la sûreté nucléaire de la Défense Marcel Jurien de la Gravière a estimé qu'il n'y avait « rien de nouveau, rien de grave» dans ce rapport. Hervé Morin a affirmé qu'une « synthèse de ce rapport avait été faite en janvier 2007 par le ministère de la Défense », qui relatait « les expérimentations tactiques durant les opérations Gerboise verte et Gerboise rose », du nom de code des tirs entrepris il y a cinquante ans. Il a rappelé qu’une loi d’indemnisation des victimes des essais, instaurant « une présomption de cause », avait été votée, ajoutant avoir demandé « à l’Académie des sciences une étude complémentaire sur chaque tir et le niveau d’exposition, dont les conclusions seront publiques ». La France a procédé à 210 tirs jusqu’à l’ultime expérimentation de 1996 en Polynésie française.

Raison d'État
Quelle que soit l'indemnisation prévue (peut-être) par une loi très imparfaite et adoptée avec un demi-siècle de retard, le secret qui a englouti ce crime d'État est intolérable. Il est digne de l'Union soviétique d'antan mais pas d'une nation démocratique réputée, dans le monde, pour sa défense des droits de l'Homme. C'est d'une autre défense qu'il s'agit ici, moins reluisante, bien que plus glorieuse en apparence.
On connaît les raisons qui ont poussé le général de Gaulle à doter notre pays de l'arme nucléaire. C'était au nom de l'indépendance nationale et d'une stratégie de dissuasion, toujours en vigueur, dont l'efficacité est néanmoins soumise à la présence parallèle du parapluie atomique déployé par les Etats-Unis. Présence dont se contentent d'ailleurs nos voisins européens. Le prix à payer a été important et la facture s'est alourdie, aujourd'hui, d'un coût humain inacceptable. Il serait facile d'affirmer que les temps ont changé. Que 1961, année de « Gerboise verte », n'est pas 2010. Qu'à l'époque de la Guerre froide et du redressement de la France, la vie ou la santé d'un jeune homme valait moins que l'intérêt général ou que cette fameuse raison d'État qui se passe de justifications. Mais c'est un peu court. Une vingtaine de militaires tués en Afghanistan font, de nos jours, un drame national. Comment passer par pertes et profits des centaines d'appelés du contingent sacrifiés sur l'autel de la force de frappe pour cause d'expérimentation physiologique et psychologique ? En exposant ces soldats amateurs, les autorités politiques et militaires de l'époque ont fait preuve non pas d'inconscience, puisqu'elles connaissaient les dangers et ne cherchaient qu'à en mesurer les conséquences sur les êtres humains, mais bien d'un souverain mépris pour une jeunesse transformée en cobayes. Le long silence de l'armée, spécialiste en la matière, est un aveu. En plaidant que les doses reçues lors des essais incriminés étaient « faibles », l'actuel ministre de la Défense protège sans doute l'institution qu'il représente, mais il n'atténue en aucun cas la responsabilité de celle-ci dans la destruction de dizaines d'existences, condamnées, en outre, à l'oubli. Soyons rassurés : l'aventure continue. La France de 2010 est rétive au désarmement nucléaire proposé par Barack Obama.

Pierre FRÉHEL.

Des milliers de vétérans demandent réparation
Cinquante ans après l'explosion de la première bombe atomique française en Algérie, des milliers de vétérans des essais nucléaires, persuadés d'être malades de la radioactivité, se battent pour la reconnaissance de leur préjudice. « Aussitôt après l'explosion, on nous a dit "allez voir le résultat". On nous a donné de belles combinaisons en tissu blanc qui ne servaient à rien et un masque à gaz », raconte Auguste Ribet, 74 ans, avec une voix très enrouée par un cancer de la gorge. Moi, on m'a même demandé d'aller planter le drapeau français dans le trou de l'explosion », ajoute Gérard Dellac, 71 ans, atteint depuis 1991 d'un cancer de la peau.
Des témoignages comme ceux-là, l'Association des Vétérans des Essais nucléaires (Aven) en a récolté une multitude auprès des 4 500 adhérents qu'elle revendique, tous ceux qui ont participé, eux ou leur conjoint, aux 210 essais nucléaires français entre 1960 et 1996 en Algérie, puis en Polynésie. Selon une étude de l'association fondée en 2001 par un vétéran chercheur à l'Inserm, décédé depuis, les vétérans ont notamment deux fois plus de cancers que les français de plus de 65 ans. L'étude se base sur 1 800 réponses à un questionnaire. L'association note aussi une mortalité infantile trois fois supérieure à la moyenne chez les descendants de ces vétérans. Ils sont peu nombreux à avoir obtenu gain de cause en justice jusqu'à présent l'État a demandé des preuves de la contamination, que les vétérans disent souvent ne pas pouvoir obtenir à cause du « secret défense » ou de l'absence de données, et du lien de causalité entre la maladie et l'exposition.

Vendredi 17 août 2018 (RL)


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