La sage-femme de Woippy avant la Révolution.
Par Pierre BRASME, professeur d'Histoire-Géographie au Collège Pierre Mendès-France de Woippy.
« Le onze du mois d'octobre de l'année 1757, a été inhumée dans le cimetière de cette paroisse une fille de Jean Boury, vigneron, et de Marguerite Bérard son épouse, qui est décédée une demie heure après sa naissance, ayant été baptisée à la maison par la sage-femme en présence de témoins dignes de foi ».
Le 31 mars 1778, Marguerite François accouche d'une fille, que la sage-femme (appelée aussi matrone) ondoie, c'est-à-dire baptise sommairement « au moment même qu'elle a été tirée du sein de sa mère à cause du péril de mort » : la mère, âgée de 35 ans, meurt le jour même et est inhumée avec sa fille.
Si, de nos jours, la naissance d'un enfant se déroule dans des conditions idéales de sécurité, rendant les accidents de plus en plus rares, il n'en était pas de même autrefois : le dépouillement des registres paroissiaux de 1674 à 1790 montre que, à Woippy, sur 100 enfants qui viennent au monde vivants, 3 décèdent dès leur naissance, dans les minutes ou les heures qui suivent (les morts-nés, non baptisés, ne figurent pas dans les registres). Aussi, pour les aider à accoucher, mais surtout pour baptiser l'enfant sur le point de mourir, les femmes de Woippy se font-elles assister d'une sage-femme que, sous l'autorité du curé, elles ont élue.
Au XVllle siècle, quatre femmes ont exercé à Woippy la charge de matrone. Anne Thiriet, épouse de Jean Somny, dont le nom apparaît pour la première fois en 1695, occupe sa fonction jusqu'à sa mort, à 70 ans, le 30 octobre 1719 ; en 1698, le curé de Woippy écrit d'elle que « la sage-femme fait son devoir ». Quelques jours après sa mort, Françoise Drapier est élue par les femmes du village pour la remplacer ; le curé consigne l'élection dans son registre paroissial : « Françoise Drapier, femme de Nicolas Vogeain, vigneron demeurant à Woippy, échevin de justice, ayant été choisie à la pluralité des voix des femmes de la paroisse pour les assister dans leurs couches en qualité de matrone ou sage-femme, elle a prêté le serment ordinaire entre les mains du soussigné curé de Woippy, en présence de la plus grande partie des paroissiens et paroissiennes à l'issue des Vêpres » ; la nouvelle matrone exerce son activité durant 34 ans, et cède la place en février 1753 ; elle est alors âgée de 80 ans, et meurt trois ans plus tard. C'est Madeleine Massenet qui la remplace dès le début de 1753 ; le 4 février, le curé fait procéder à son élection, et note dans le registre paroissial : « Madeleine Massenet, femme de Louis Remiatte, vigneron, ayant été choisie par les femmes de cette paroisse pour y faire les fonctions de matrone, l'ayant trouvée instruite dans sa religion et n'ayant rien à lui reprocher sur sa conduite, elle a été reçue par nous et a prêté le serment ordinaire » ; originaire de St-Marcel près de Doncourt-les-Conflans, Madeleine Massenet, remariée en 1723 avec Jean Remiatte, est mère de 10 enfants ; veuve en 1756, elle continue d'exercer sa fonction jusqu'en 1773 ; elle meurt le 28 décembre 1776, âgée de 82 ans. Pour lui succéder, les femmes de Woippy choisissent Anne Brouillard, qui occupe la charge d'accoucheuse jusqu'à sa mort en 1788.
Le mode de désignation de la sage-femme est donc l'élection, sous l'autorité du curé de la paroisse, par les femmes du village ; celles-ci, réunies un dimanche dans l'église après convocation au prône, désignent l'une d'entre elles à la pluralité des voix ; généralement, leur choix se porte sur une femme d'un certain âge, mère de nombreux enfants (ses propres accouchements sont bien souvent sa seule expérience), connue pour son dévouement, sa discrétion, sa bonne conduite ; elle doit être avant tout bonne chrétienne, puisque son rôle est essentiellement de baptiser les enfants en danger de mort à la naissance ; si une césarienne s'avère indispensable, elle doit faire appel à un chirurgien de Metz.
A partir de 1770, des cours d'accouchement sont organisés à Metz à l'intention des matrones ou futures sages-femmes ; mais nous ignorons si des femmes de Woippy y ont assisté. En tout cas, à la veille de la Révolution, il meurt encore pratiquement autant d'enfants à la naissance qu'un siècle plus tôt : la matrone est toujours indispensable à la vie du village.
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