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 Plappeville 

Octobre 1950
 


Le nombre des diminués physiques de toutes catégories dépasse en France le demi-million. C'est dire l’importance du problème de leur réadaptation, problème pour lequel le pays de l'abbé de L’Epée, de Valentin Haüy et de Louis Braille s'est laissé distancer depuis cinquante ans par de nombreuses nations, telle que la Hollande et l'Angleterre où la réadaptation du diminué physique fait l'objet d'une doctrine précise, d'une législation et d'une organisation d'institutions spécialisées.

C’est donc le mérite de l'abbé Victor Schmitt d'avoir créé dès avant la guerre, à Plappeville-lès-Metz, le premier internat-centre de réadaptation au travail pour convalescents, lequel, en dix ans, a permis la réadaptation, c'est-à-dire le retour à la vie normale de 1.000 malades.

L'étude qu’on va lire ne manquera donc pas d'intéresser les lecteurs de la « REVUE DE L'ÉCONOME », puisqu'il s'agit de la première collectivité d'un type nouveau, dont l'exemple n'est pas encore suffisamment suivi.

    À deux pas de Metz, sur une terrasse dominant la verte vallée de la Moselle, de longues maisons sans étage s'allongent entre vergers et jardins, au pied même du Mont Saint-Quentin. Des bâtiments de brique claire, simples, mais coquets, entourant une grande pelouse chargée de roses, où s'érige la statue de la Vierge, des ateliers un peu plus bas, avec des champs de fraises et de légumes, puis tout au fond, une galerie de cure et la rangée de peupliers qui la gardent: nous sommes à Plappeville, au Centre de Réadaptation au travail pour tuberculeux stabilisés que dirige l'abbé Victor Schmitt.
 
 

Vue des ateliers



Bâtiments entoutant le jardin.
 

Le Centre de Plappeville et le Mont St-Quentin.
 

Le pavillon P. Vautrin, réservé à l'administration.
 

Réfectoire et pavillon de cure au fond.
 

Buanderie et séchoir à droite, réfectoire et cuisine à droite.
 

La galerie de cure, vue extérieure.
 
UNE RÉUSSITE QUI TIENT DU MIRACLE

Œuvre d'amour et de foi, due à la ténacité d'un prêtre sans argent, qui, après un séjour de douze ans au sanatorium, résolut de venir en aide à ses frères de misère en leur facilitant le retour à la vie active.
Si son projet généreux finit par aboutir, c'est un peu grâce à la ville de Metz, à cette cité charitable, dont les clochers bruissants chantent l'histoire troublée au bord de sa rivière capricieuse.
Sa réussite tient presque du miracle.
Sur les instances de l'abbé Victor Schmitt et de son frère l'abbé Ernest, le maire Vautrin cède à l’Œuvre, pour un franc par an, à bail emphytéotique, une caserne en ruines, habitée par des sans-logis avec 3 hectares de serre, La municipalité verse une contribution initiale de 30.000 fr. et un conseil d'administration se forme, présidé d'abord par M. G. Hocquard, alors premier adjoint, par la suite sénateur-maire de la ville de Metz, puis par Mgr Erman, président de la Fédération diocésaine des œuvres de charité, entouré aujourd'hui par M. Mondon, député-maire de la ville de Metz, et d'autres personnalités du monde médical et administratif, parmi lesquelles : M. Poinsignon, secrétaire général adjoint de la ville de Metz.
Les « squatters » à peine casés - le dernier à partir fut un éleveur de cochons accompagné de son troupeau - les premiers convalescents commencent à monter : cinq anciens malades sans travail venant du sanatorium d'Abreschviller. Secondés par un Frère de Saint-Jean de Dieu, ils commencent les travaux de déblaiement et installent, tant bien que mal, un atelier d'encadrement. Pourvus d'un cuisinier, ils finissent par prendre pension complète. C'est alors que les dons les plus divers affluent de tous côtés : lits tout neufs, ustensiles de cuisine, chambres à coucher complètes, chaises-longues, chèvres, poules et lapins. Le « Timbre antituberculeux » donne 50.000 francs.
Il aurait fallu bien davantage. Mais à Plappeville tout finit par s'arranger. On découvre, sous le sable de la cour de l'ancienne caserne, un amas énorme de pavés, qui bientôt sont classés d'après leurs dimensions et livrés aux communes des environs. Metz en prend une bonne part, et, à 0 fr. 50 pièce, le Centre en tire une recette de cent mille francs, de quoi vivre encore pour un temps et repartir avec plus de vigueur. Sous la direction d'un artisan et d'un maçon retraité, les convalescents du Centre vont achever d'enlever les décombres avec l'aide de quelques mineurs pensionnés de Stiring et travailler à l'aménagement du réfectoire, des bureaux, de la chapelle. Des Sœurs de Peltre arrivent pour assurer le fonctionnement matériel du Centre.
Inauguré le 30 juillet 1938 et agréé par le Préfet de la Moselle, le 1er janvier 1939, il peut dès lors couvrir ses frais avec le prix de journée des malades que vont lui envoyer les collectivités.
Mais la guerre interrompt cet élan. Les sanatoria de l'Institut d'assurance invalidité-vieillesse et de la Caisse des employés étant réquisitionnés par l'autorité militaire, l'abbé Schmitt accueille un certain nombre de leurs malades. Ils subissent le bombardement allié, mais, ô prodige, les cinquante obus qui tombent autour d'eux ne les atteignent pas !
L'œuvre de Plappeville a repris son cours depuis et les dégâts de la guerre réparés, elle s'amplifie d'année en année.

RENDRE D'ANCIENS MALADES À LA SOCIÉTÉ

Réaccorder à la Société les tuberculeux convalescents en les rendant habiles à une carrière, tel est le but poursuivi. On admet donc aussi bien les adultes, possédant un métier, que les jeunes gens qui en cherchent un, ceux dont la profession antérieure ne convient plus à leur état, comme ceux qui seront à même de la reprendre après une remise en train progressive.
Aucune discrimination confessionnelle ne sera faite entre eux : catholiques, protestants, juifs, musulmans, athées, tous sont admis au même titre, et aucune pression non plus ne sera exercée sur eux pour les détacher de leurs croyances ou de leurs opinions.
La réadaptation professionnelle s'accomplit dans des ateliers pourvus de tout le matériel nécessaire : cartonnage, reliure, cordonnerie. L'entraînement à l'effort se fait dans la petite ferme, dans les jardins, dans les ateliers de cartonnage ou de menuiserie ou dans les bâtiments mêmes du Centre qu'il faut continuellement réparer, peindre et munir de serrures ou d'installations électriques Le voisinage de la ville facilite à la fois la réadaptation, le placement et la vie matérielle de l'établissement.

L'essentiel, c'est que le convalescent reprenne goût au travail et confiance en son avenir. Donc, pas de direction médicale, contrairement au principe posé au décret du 6 janvier 1950 dont les dispositions, malgré leur caractère très large, manquent encore de souplesse. Dans la pensée des fondateurs, en tout cas, la surveillance du docteur ne doit pas être constante comme au sana, ni trop apparente. Le directeur, de son côté, sait s'effacer aussi, laissant toute liberté possible à ses protégés qu'il n'astreint nullement à un règlement rigide, « La loi non écrite, nous dit-il, n'en fera que mieux son chemin dans les cœurs ». Et, pour accentuer cette discipline intérieure, une association « Les Amis du Centre » est formée, groupant nouveaux et anciens pensionnaires pour collaborer à la bonne marche de la maison et entretenir en eux un esprit de bonne camaraderie. Tous ont leurs heures de sortie, le dimanche et le jeudi après-midi pour leur permettre, s'ils sont du pays, de retrouver leurs parents, leurs amis, leur ancien patron. Une atmosphère familiale ainsi se développe, insensiblement, où chacun puisera la force de redevenir un homme.
ÉPANOUISSEMENT PHYSIQUE ET MORAL

Le cadre même où ils vivent s'est fait accueillant pour eux. Chambres à deux, trois ou quatre lits, auxquelles on accède de plain-pied du jardin et qu'ils vont eux-mêmes astiquer avec zèle, salles et couloirs dallés, cuisine au grand fourneau émaillé, réfectoire, salle de jeux, ateliers, tout est simple, clair, propre et confortable ; une blanche chapelle tout à côté s'ouvre à ceux qui prient.
Aussi les convalescents de toutes confessions affluent-ils là, des régions les plus diverses, mais surtout de la Moselle et des autres départements de l'Est. Près de la moitié proviennent du sanatorium de Saales. Les Caisses de Sécurité sociale, l'Assistance médicale gratuite ou la S.N.C.F, supportent les frais de pension (575 francs par jour).

La Réadaptation devant l'objectif.

 
Ci-dessus : Jeunes apprentis à l'atelier de reliure.
A droite : Une chambre de pensionnaires.

La Chapelle
Bien entendu, la primauté donnée à l'âme n'exclut nullement le soin au corps. Ne doit-elle pas, d'ailleurs, contribuer à la guérison définitive du malade en assurant le plein épanouissement de son être ? Les menus de l'établissement, les milliers de pots de confiture qui tapissent les murs de l’office, comme la présence régulière du médecin-chef, M. le Dr F. Becker, de Metz, deux fois par semaine, nous ôteraient toute inquiétude à ce sujet. Ce dernier, qui dispose sur place d'une installation radiologique et d’un laboratoire, procède aux ré-insufflations, aux sédimentations, aux analyses nécessaires. Il contrôle la répartition des convalescents dans les quatre groupes par lesquels ils passent successivement, le premier restant au repos et les autres faisant respectivement deux, quatre et six heures de travail, les heures de chaise-longue prévues dans la galerie de cure variant naturellement en proportion inverse.
Sur 85 sujets, 34 étaient occupés, fin 1949, au titre de la réadaptation simple, à des travaux de serrurerie, de menuiserie et de cartonnage ; 51 travaillaient en réadaptation professionnelle, dont 22 aux ateliers de cordonnerie et 19 à la reliure, les uns et les autres sous la direction d'un maître-artisan et d'un moniteur. Ceux des ateliers professionnels préparent d'ordinaire l'examen de compagnon, reconnu équivalent au C.A.P. par le décret du 14 mai 1938. Douze d'entre eux ont obtenu, l'année dernière, le diplôme de la Chambre des Métiers avec mention « très bien ». Mais le Centre formant aussi des teneurs de livres, dix pensionnaires préparent le certificat d'études comptables cette année. Presque tous suivent les cours d'instruction générale, donnés par M. Marcel Holler, qui a déjà tant fait pour l'organisation des premiers ateliers et qui se charge également d'établir les prix de revient des travaux. L'examen d'orientation qu'ils ont subi avant l'entrée, permet de les guider de la manière la plus adéquate. Un sélectionneur du Centre psycho-technique de Nancy passe, en outre, périodiquement à Plappeville pour vérifier ou compléter les constatations déjà faites.

L'atelier de reliure.
Les produits des ateliers, vendus aux commerçants, laissent un bénéfice qui est réparti entre les élèves au moyen d'indemnités dont le taux horaire, révisé chaque mois, s'élève en moyenne à 10 frs pour le groupe I, 15 frs pour le groupe II, à 20 ou 25 frs pour le groupe III. Ces sommes alimentent le pécule remis au pensionnaire à son départ. Plus d'un million de francs, l'année dernière, ont été attribués de la sorte à ce titre.
Les élèves acquièrent, pour la plupart, un savoir-faire, une dextérité remarquable et nous avons admiré les petits chefs-d’œuvre sortis de leurs mains, Sur les cent vingt-et-un qui ont suivi la cure de réadaptation en 1949, cent dix, soit 91 %, étaient aptes au travail à la fin de leur stage.
L’Amicale aide à leur placement et leur directeur reste en rapport avec eux. Les nombreuses lettres qu'ils envoient à ce dernier, montrent qu'ils ont trouvé d'ordinaire, une situation stable et sont satisfaits de leur sort. Toutefois, le placement des relieurs s'avérant plus difficile, la direction expérimente la mise en marche d'un petit atelier d'ébénisterie.
Pendant les six mois qu'ils sont restés au Centre pour l'entraînement à l'effort, pendant l'année ou les deux années que dure leur réadaptation professionnelle, les stagiaires ont dû vaincre la même apathie, le même découragement, avant de reprendre courage au fur et à mesure des résultats obtenus. Ainsi leur histoire à tous se ressemble.

ET VOICI DES FAITS

Voici, par exemple, K., qui travaillait à l'usine comme apprenti mouleur. Atteint de tuberculose osseuse, il fait un séjour de plusieurs années en sana, et entre au Centre le 24 mars 1947. Il a vingt-quatre ans. Durant des mois, aucune action n'a prise sur lui, car il a perdu tout goût à l'effort. Mais le voici qui se met à la reliure qui commence à l'intéresser. Il comprend bientôt qu'il a son rôle à jouer dans le grand concert humain. Ses progrès devenant alors plus rapides, il se montre souriant, discipliné. A sa sortie du Centre, le 23 mars 1948, on le recommande à un patron imprimeur de Boulay chez lequel il occupe depuis ce temps le poste de relieur de registres. K. reste reconnaissant envers le Centre où il retourne tous les mois pour quelques heures.

Un autre, H., âgé de 32 ans, père de deux enfants et chauffeur dans une grande entreprise de la Moselle, a fait deux cures successives au sanatorium d'Abreschviller pour son affection pulmonaire. Reçu à Plappeville le 11 avril 1947, il reste au groupe I jusqu'au 7 mai, puis au groupe Il jusqu'au 15 juin. Il est affecté au groupe III du 16 juin 1947 au 30 novembre 1948. On poursuit pendant ce temps les insufflations. Il passe l'examen de compagnon avec la mention « très bien ». H. est resté au Centre comme moniteur de l'atelier de reliure. Il nous explique qu'habitant un village retiré dans la montagne, il ne pouvait guère s'engager chez un artisan où il aurait eu un long trajet à faire, chaque jour, pour se rendre à son travail. Il s'acquitte maintenant à la perfection de sa tâche et habite depuis peu avec sa famille aux environs du Centre. Il suit des cours, comme élève libre, à l'Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg pour se perfectionner dons la reliure artistique.

Combien d'autres encore ont retrouvé là-bas la joie et les moyens de vivre ! Et quel magnifique exemple nous donne ce W., arrivé au Centre le 22 janvier 1943, puisqu'il fallait bien, pendant la guerre, y admettre les grands malades. Avec sa tuberculose bilatérale très avancée, la forte fièvre qui ne le quitte pas, il se trouve, à 19 ans, comme paralysé, incapable même de s'alimenter seul. Cependant, la guérison clinique s'accomplissant progressivement, il devient un chef d'équipe, un entraîneur qui pendant trois mois de séjour ininterrompu dans les caves, maintient, sous le bombardement, le moral de soixante personnes. Sorti guéri le 15 septembre 1950, il fonde un foyer et dirige maintenant une maison de commerce.
La maladie, quand elle éprouve des gens de cœur et de foi, peut être libératrice : Plappeville a formé de ces hommes.

Les cuisines.
 

Un coin de la menuiserie
 

Un couloir avec entrées des chambres des pensionnaires
dans un des pavillons d'habitation.
Son directeur les amène à croire en eux-mêmes et au monde, aussi simplement que son arboriste élève autour de la Sainte Vierge la grande bordure de roses de la cour. Puisse ce jardinier des âmes enfanter, longtemps encore, avec l'aide de la Providence, des héros obscurs tels que les H… et les W…, des hommes qui se mettront en règle, coûte que coûte, avec leur conscience ou leur foi et resteront jusqu'au bout, dans leur carrière, fidèles au devoir social.

L'atelier de cartonnage

La salle de jeux et son ping-pong.


L'aide à la fenaison.

Imprimerie FA. 5, rue Clovis - Metz.

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