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Revue d'AUSTRASIE
NOUVELLE SERIE
TOME IV
1841



Philippe de Vigneulles, le marchand et citain de Metz, peut passer à bon droit pour un des hommes les plus remarquables de son époque. Son instruction profonde et variée, le nombre et le mérite de ses divers ouvrages le mettraient hors de ligne, même dans une ville moins pauvre que Metz en illustrations littéraires. Outre sa chronique en 3 vol. in-4°, il a laissé un recueil de contes en prose dans le genre de ceux de la reine de Navarre mis en prose le Roman de Garin le Lohérain, et enfin il a écrit lui-même sa propre biographie. C’est de son manuscrit qui, avec les autres ouvrages
 
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que nous venons de citer, fait partie de la riche bibliothèque laissée par M. le comte Emmery, que nous avons extrait les divers fragments que nous donnerons à nos lecteurs. Ce manuscrit de 400 pages, petit in-4°, était demeuré ignoré jusqu’à ce jour. (Voir la Biographie de la Moselle, par M. Begin.)

On non de Dieu le perre, le filz et le Saint Esperit qui est ung seul Dieu en trinité, soit acomencés cest œuvre parfaictes et achevée. On dit tout communément que en touttes chose y ait ung acomencement, et pour ce que mon intancion est de escripre en ce petit traictiet la plus part de touttes les adventure bonne et malvaise qui en mon tampcs me sont advenue, et aussy plusieurs autre diverse fortune et advenue que durant mon tampcs et desquelles jay heu cognoissance tant en guerre comme aultrement sont advenue tant en France, en Itallie, en Allemaigne et en Loraine, et principallement en la noble cité de Mets de laquelles plus que de touttes les autres je prestans à pairler, et pour ce tout premièrement je veulx escripre le tamps de ma nativité et de quelle gens je suis extrait et venus, affin que ceux qui vanront après moy ne ce orgueillissent de leur genealogie et de leur anciens parans, mais en toutte humilités il veullent vivre corne il ont fait cens voulloir prandre plus grand estat sinon doncques que leur office ou pratique le requier, laquelle chose il pouraient se en orgueillir. Or venons donc au faict.
A Lorey devent Metz y olt jaidis ung bon home nomé Jennat Royne, lesquelles avoit esses competanment des biens de fortune pour avec la paine de son labeur ce gouverner et entretenir. Celluy Jennat olt de Ciollette Royne sa femme

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V filz. Le premier fut nomé Geraird Royne, le second Jehan Geraird, le thier Jehan Jennat, le quairt Jehan Audelhatte, et le Ve fut appellés Collignon de Chaistel ; et le diversités de leur sournom leur fut ainsy mis pour lamour des personnaiges avec qui il furent nouris en leur jeunesse. Entre yceulx filz, Jehan Geraird fut celluy qui me enjanroit et me nourit.
Or venons à dire qui fut ma mère. Au villaige de Noeroy, devent Metz, y olt ung bon homme nommés Mangin Soult. Celluy pareillement nestait pas des plus riche, ains vivoit de la labour de son corps, parmy un peu de bon heritaige qu'il avoit. Or ce mariait à une jonne fille du lieu nommée Abillette, et fut celle Abillette en sa première année ensainctes dune fille ; mais ainsy comme il pleut à Dieu, celluy Mangin Solt escheut mallaide de laquelle malladie il mourut avent et ainssois que sa feme fut acouchée ne delivrée de sa pourture, ne avent qu'il solt a vray celle estait ensaincte ou non. Or advint le jour quelle delivrait et fut cette fille a sainct fon de baptesme apellée Magui. Celle Abillette sa mère, environ ung angs après ce remariait et fut donné à ung bon homme demourant à Vigneulles devant Mets, nommé Jehan Poinsay. Celluy Jehan était riche, honc n'avoit jamais heu anffans ne nolt encore depuys. Et ainsy vous oyes comment la jonne fillette Magui, elle estant jonne orfe* à la mamelle fut transportée de Noeroy à Vigneulle, et fut nourie esses powrement et rudement, et plus de sa mère que de son pairaiste** et tellement que alors et en l’âge de XIII ans quelle fut mariée, jamais navoit porté solles*** aux piedz ne cowrechief sus la teste, comme je luy ait oy dire et certiffies et que plusieurs le tesmoignent.

* Orphelin. ** Beau-père. *** Souliers.
 
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Or disons comment elle fut mariée. Collin Jennat Royne, de Lory, cy devant escript, estoit pairans à celluy Jehan Parisay, pairaiste à la devent dite fille, par quoy ils traicterent le mariage ensemble de celle fille aigée de XIII ans et de Jehan Geraird, anffans audit Jennat, aigiés de XXV ans. Touteffois les nopces furent faites et la sollainités, et demourairent ensemble à Vigneulle, avec ledit Jehan Poinsairt, et ce y gowernait tellement ledit Jehan Geraird, que ledit Jehan Poinsairt, a la fin de ces jours, le fist manbourt* de tous les siens et acquastait ledit Jehan Geraird aus hoirs tous les heritaiges qui furent audit Jehan Poinsairt. Or creust ladite Maigui sa femme en beaulteit et en science, tellement que quant elle vint a avoir ses aise cestait lune des belle jonne femme pour une petitte femme que l'on sceust trower en tout le pais et qui sçavoit le mieulx dire et ce faisoit aimer de jantil et de villain et n'y avoit de femme on pais qui mieux sceut chanter, et estoit toutte joieuse et toutte plaisante. Quant elle fut en eaige competant, elle olt plusieurs anffans, elle olt ung filz nommé Jennat Royne, après ung autre filz nommés Mangin, et moururent yceulx anffans depuis qu'il estoient grandellet et qu’il sçavoient lire et escripre. Après olrent une fille nommée…… Celle fille fut mariée a Metz comme cy après serait dit. Item en lan de lincarnacion nostre Seigneur mil iiiie lxxj par ung jour de vandredy on mois de Jung environ la Penthecouste, ladite Magui Poinsay, ma mère, delivrait de moy et fut son quaitriesme anffant. Et depuis moy olt encore une fille nommée Jehenne, qui mourut en leaige de iiij ou v ans, et furent tous les enffans que jamais olrent ledit Jehan mon père ne laditte Magui ma mère. Au

* Tuteur.

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jour de ma nativité, mon père en olt grant joie comme il ma dit, aucy olt ma mère ; puis fus pourtes a sainct fon de baptesme et olt a parains ung nommes Jehan de Vigneulle, cordonnier, lequelle depuis ait estes mairchamps de draps demourant a Mets pol rampol. Et cy olt pour mairenne une noutauble damme de Mets nommée damme Laurette Chaipel, laquelle dame voult et fut sa voulluntés que je portasse le nom d'ung sien filz nommés Philippe. Alors je fus nouris de mon père et mère bien honnestement cellon leur estat, et fus bien aymés d'iceulx comme plusieurs fois me lont monstres. Puis quant je devins grandellet, me menneiairent a lescolle a villaige pour seullement aprandre ung peu lire et escrire. Car il me aimoie tant qu'il ne me laissoie aller loing deux dont ce me poise, car jaimaisse mieulx quil meussent fait aprandre.
 

Je veult a cest heure retournait a mon premier prepos et dire comme jay promits à lacommencement de ce livre touttes les adventures bonne et malvaise qui me sont advenue. Il est vray que du sejour de l'ampereur qui fut à Metz, le samedi XVII jour du mois de septembre de l'an 1473, comme de la venue du Duc de Bourgongne et de ces gens qui passoiet et repassoiet, il men sowient bien aincy comme permy ung songe : car jestoie jonne allant a lescolle a villaige comme dit est et y souffris durant ces guere et course plusieurs adversites avec les aultre entre lesquelle il me sowient que une

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fois a Vigneulle, ou je demouroie, y avoit en ce temps ung aveugle nommes Jehan Burtault lequelle des laige de trois ans navoit veu goutte ; mais de croire ce que cest aveugle faisoit il n’y ait homme qui le vousit croire, car il chantoit a moustier, il apernoit les enfans a lescolle, il treselloit les cloche, il estoit lung dez grand braiconnier du pays et tandoit journellement a biche et a cerf, il faisoit lez paines* pour lez prandre, il faisoit les rois** a peschier, il faisoit hottes et chairpaigne***, il owroit en la vigne, il cuilloit dez serise sur les serisiet et estoit lung des bon tandeur a grieve, a merles et aultre oysiaulx a bret et aultre engiens que lon sceust trower ; et brief il faisoit chose incredible et est tout vray, car je lay veu mil journée et pour revenir a prepos, durant ces course et que nul ne se oisoit tenir a villaige, les bon homme de trois ou quaitre villaige avoient fait un grand paircque bien avent a bois pour mestre le bestial et tellement quil se y estoient retires, fort les anciennes femmes et les anffans qui estoit demoure à la ville entre lesquelles je y estoie. Alors vinrent ung grand nombre d'homme darme et de piéton bourguignon pour lougier ; mais tout incontinant les femmes prinrent leur anffans et en la conduite dicellui aweugle furent encore a heure de minuit dedans les grand fourest auprès de leur maris et y fus menes de ma mère avec les aultres, et la y avoit ung grand feu devent lequelle ce couchoie femme et anffans comme des bestes et advint en celle nuit que ung charbon de feu ardant saillit on collet du pourpoint mon père qui dormoit et lui brulit la chair bien profon dont il en souffrit grand doulleur. Moult dautre grand fortune et adversite advindrent au powre gens pour celluy tamps. Car

* Lacets de pannus. - ** Rets. - *** Ouvrage d’osier.
 
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ledit duc de Bourgongne nommés Chairles fut en son tamps le plus renommés prince et le plus crains que jamais fut depuis le tamps le grand roy Chairlemaingne. Car en son tamps il avait fait cy grand guerre et cy merveilleuse baitaille tant en France, a Monthleherey encontre le roy, comme a Mets, en Allemaigne, a Mouret et a Granson et en plusieurs aultre part. Et tellement que tous les prince crestiens le craindoient. Mais comme la roue de fortune ce tourne, tombait ledit duc par son orgueille et oultrecuidance du plus hault a plus bas, car en l'an mil iiijc lxxvj, alors que estoit maistre-Eschevin de Mets, SSgr Jehan Chaverson par le jour de la vigille des roys ve jour de janvier, aquelle jour ledit duc tenoit tres estroitement la ville de Nancey assiegees, vint le duc Regne de Loiraine avec grand puissance de Suisses pour reconquester son pays, et tellement que après plusieurs chose faiste et diste que je lesse, fut ledit duc de Bourgongne desconfis luy et ses gens et luy même y fust tué comme les vraye cronicque qui de ce l'ont mencion le devise et pourceque l'istoire en est trop grande et prolixe, je men paisse d'en plus dire, car cest journée fut lune des piteuze qui fut advenue de deux cents ans devent et en ait bonnes memoire, car je Philippe escripvain de cest istoire, estois deja grandellet.
Peu de tamps après, je fus mis demourer à St Mertin devent Mets, et y demourait près dung ans de tamps, que SSgr Simon de Gernay fut fait abbe dicelluy lieu. Et y estoie bien amés dudit abbe et de tous les moines pour plusieur raison que je lesse.
En l’an mil iijc et iiiijxx le xiij jor du moix d'Awoust qui fut la vigille de lasomption, nostre Dame fut trespassé de ce monde, Magui ma bonne mère que Dieu absoulve, et fut anterre derrier le suer de l’eglise de Vigneulle, apres de

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ces trois anffans, et alors je retournoit chez mon père et aidoie a lescollea Lorey devant Mets. Tantost après en cette meisme année apres les roys, ce remariai et reprint femme ledit Jehan Geraird mon père et print une tres ancienne femme de Joiey, qui navoit que deux dans en la bouche, ne jamais navoit heu anfans et y furent encor xxx ans ensamble en mariaige. En l'année iiijxx et deux, corroit un malvaix loupts et estranglait plusieurs anffans on vault de Mets, parquoy lon enfermoit lez anffans a lostel, et n'y avoit femme qui oysait aller dehors cen son mary et quil ne fut embaistonnes, parquoy et a cest cause je fus mis à demourer en Allemaigne , en ung villaige à x lue de Mets en allant à Strasbourch nommé Amenge, auquel lieu y ait ung bon prioré duquel estoit prieur, Messire Simon abbé de St-Mertin, et me y menait ledit abbé et y fus ung ans. En lannée suivente que je retournoit d'Allemaine, je fus mis à demeurer à Rampoult à Mets, chiez un merchampts nommés Stesse, tenen lostellerie du Rouge-Lion, et y fus ung demy ans.
Tantost après je fus mis a demourer à Salney devant Mets, de cost ung prebtre et alloie a l'escolle, et en ce lieu il me print une fievre quairtaine que me durait pres dung an. Puis ne demourait guer quil ne vint aulcuns trouble de guerre, parquoy l'on me mit a demourer a Mets chiez Jennat de Hannonville, lamant pour aprandre le stille. Mais ledit Jennat estoit tant terrible homme quil ny avoit clerc qui le puits servie et rompist la jambe à un jantil filz qui demouroit avec moi. Car léans y avoit une servante allemande qui valloit encore ung diable. Elle enfermoit le pains et autre vives, et cy paioie xx frant pour ma tauble et cy sçavoie dsjay escripre comme je fais et cy aprenoie très bien le stille.
 
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Or oyes qu’il en advint : ung jor entre les autres ce esment desbat entre nous deux ladite servente tellement que dung wain* de cheminée me cuidait férir sur la teste, mais je ampoigne ledit wain par le manche, et en donne a ladite servente du plait devent, et elle ce cuidant cowrir du bas, je vins a lestaindre de la corne du wain sur la cheville de la mains et luy fis une playe et elle en braiant en alloit a berbier, et mov ce vovant ce fut bien honteux, cy meu aillait faire nostre lit et ne scavoie quelle contenance tenir.
Or vint ma maitresse de laquelle je fus très bien batus et le faisait cuidant rapaiser lire de son main, lequelle quant il vint, a la perolle de la dite servente cen moy oyr perler cen vint a mont en nostre chambre, et me ruait de la crame** ou je estoie monte, en bas et me foullait aux piedz, et encore me voulloit ruer de hault en bas des degres à la vallée ce ne fust esté sadite femme.
Et ce fait me boutait hors villainement de sa maison cen ce enqérir ce je avoie ou tort ou droit.
Toutefois un chainoigne de St Salvour, voiant le tort que lon me faisoit, me priait à souper et cy me voulloit coucher, mais je avois le cuer tant gros du tort que l'on me faisoit que je m'en allais par la ville et de honte ne me osoie montrer à ma suer qui estoit marié et demouroit en visegneus, et avoit à mari Jennat sergent des Trese et dez compte. Et tellement que celle nuit je couchais en plusieurs lieu emmey la rue et cy me faisoit sairchier ladite ma maîtresse de toutte part pour moy rapaiser. Au lendemains il fut dit a ma suer et a mon père lesquelles en furent moult courousés encontre

* Pelle. - ** Chambre.

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ledit Jennat pour la villenie qu'il m'avoit fait et par cest cause je me thins pour aulcun tamps chez ladite ma suer, laquelle drant je prepousait par lamonestement d'aulcuns de men aller juer par le pais pour congnaistre et aprendre, et en fus en si grand desir qu'il me sembloit que jamais je ny vanroie a tamps et demandait aulcunement et covertemeut congiez à mon père ; car je sçavoie bien que à grand paine me l'eust donnés pour ce que surtout il doultoit a me perdre et désiroit tousiours a avoir la vue de moy, et pour ce quant il congneust ma voullonte de touttes sa puissance il men destournait et fist destourner par tous ceulx a qui il luy sambloit que je parloie et frecantoie, et tellement que a cest cause ne me voulloit donner denier ne maille quant je lui en demandoie, de peur et affin que par deffault dairgent je ne men aillasse.
Toutteffois ung jour que je luy en demandoie, il me comptoit et delivroit 15 petit blanc, et alors que je vis ce, je luy dis ainssi : Perre, vraiement vous me faites un grand compte de peu de chose. Et cen plus dire prins congièt de luy et deliberais que neanmoins je men yroie et abandonneroie le pais pour une espaisse de tamps.
En parlais alors a mon compaignon lequelles me mist et assignais journee pour partir, parquoy je mis touttes mes chose en ordonnances et fis et escript une lestre esses bien faites et bein dictée tout par rime et par vers, en laquelle je rescripvoie tout mon despairt et avec ce y avoit pourtraicture de plusieurs sorte, tant de mons pere, de ma suer, de son maris et de plusieurs aultre, et de nous qui estoie en cette painture, monstrant que nous pernions congiez ; car celle fueille de papier estoit papier de troye et grand voullume auquelle y avoit encor une lestre au dessouls de celle painture escripte en proise en laquelle estoit escript toute ma
 
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voullontes les escuse et recommendacion que je faisoie devers mons père, et estoie celle lestre piteusement faiste et dictee, parquoy ledit mon pere en plourait esses. Cy fut ladite lestre et painture par moy astaichée encontre le cloverses de ma huge du dedans, affin que quant on owreroit ladite huge, plus facilement on le vit.
Or, en icelluy tamps l'on juoist le jeu saincte Katherine du mon de Sinay, en chambre duquelle je avoie este requis pour en estre et ce devoit juer es festes de la Panthecouste ledit ans mil iiijc et iiijxx et vi.
Et fut celluy jue moult bien jues avec biaulsx mistere, et fut la Ste-Katherine, ung joune filz Barbiet natif de Nostre Dame Dais en Allemagne, lequelles, lan devent avoit desjay estes la Ste-Bairbe au jeu Ste-Bairbe, et fist par troi jour cy bien son personnasge, qu'il nestoit possible de mieulx faire. Et en celluy tamps, je resambloie tant bien a celluy guerson que lon mait prins xvij fois pour lui, et pour ce me amoit fort, ledit guerson et voulloit tousiours que je fusse lune de ces damoiselle a cellui jeu, mais je avoie le cuer aultre part et avoie deliberes que en ces jour je men yroie avec mons compaignons, et que secretement nous partiriens de Mets comme dit est. Touttefois ledit mon compaignon faillit ce jour de promesse, parquoy ledit jour men vins sceoir devent la maison ma suer, tant triste que merveille. Et alors y olt uug autres compaignon maries qui vit bien que je nestoie pas comme je solloie estre, car je faisoie triste chier, et me interrogait de la cause de mon dueil, tellement que je lui vins tout à dire, et après plusieurs perolle, nous acourdimes ensemble pour nous en aller et fut prins jour de partir dimenche après jour de le Trinié condit le royaulx dimenche.
Et me promist celluy compaignon nommé Collin, foy et

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loyauté. On n’avoit celluy point d’argent et moy le navoie que environs deux frant, lesquelle je avoie gaignee a dire dez sept seaulmes. Touttefois, je luy promis que tant come mon argent dureroit, il seroit a luy comme a moy. Or, vint le jour de partir, et fut conclus entre nous deus comment nous pourriens faire, et apres plusieurs parolle, je prins congiè de ma suer et luy donnais a entandre que mon pere mavoit mendes de le aller veoir. Mais je men alloit secretement en lostel dudit Collin en la rue des Olliet, et illec estoit le dejeunet preste et apaireillies, et quant nous eusmes dejeuner le plus secretement qu'il fut possible, fut le chemin prins par pourte Champenoize droit a Joiey.
En ce villaige je avoie congnoissance a ung jonne homme nommez Mangin le Vallée, car il estoit pairans a ma mairaistre, et a y celluy me adressait lui donnant a entandre que je men alloie a Arnaville querir du papier pour ung mairchamps de Mets nommé Piersons le mersiet et que dedans viii jours je me retourneroie a Mets : mais, dis-je, jais oubliés une clef d'une huge de laquelle mon pere avoit grand besoin, par quov je vons prie, ce dis-je audit Mengin, que lui pourtes avec celle petiste lestre. Or estoie celle clef de ma huge, et la lestre adressait à mon pere disant quil resgardast en ma huge et la trouwanrait escript toutte mon intancion, et ce dit nous fut donner à banqueter, puis nous prinmes congiet. Mais incontinant le dit Mengin voiant que je avoie ung serdellet se doubtait biens du fait, parquoy tout a leur ce partist et ce vint a Vigneulle a pourter celle lestre et celle clef. Or escoutes quil en advint bien. Collette ma suer voyant nostre despairt ce doubtait bien de ce qui estoit vray, et pour mieulx en scavoir la verité, elle rompit la serre de ladite ma huge, et alors vit tout le fait tant par
 
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lescript commes par le pointures comme oy aves, parquoy incontinaut ce mist en chemin droit a Vigneulle et trowait nostre pere menant grand chier avec la justice ; mais il fut bien rabaitus quant il entendist ces nouvelles et incontinant print deus hommes du villaige et les envoiait après le chemin de Nencey : mais, quant il vinrent à Mollin, il rencontrairent ledit Mangin avec la letre et la clef, cy ce dirent lung laultre leur pancée et la cause de leur alles, parquoy ledit Mangin retournait arrier avec ceulx compaignon et leur donnait sa lestre et la clef et cheminerent tant yceulx deux hommes quil arivairent a Pon a Monsons, et la vindrent proprement a aborder en lostellerie en laquelle nous aviens marandes* et leur en fut dis les inseigne. Cy ce remirent en chemin yceulx deus hommes en tirent droit a Nenay, mais la chose vint cy a point pour nous quil ne prinrent point le chemin que nous aviens prins et par aincy il ne nous trowairent point et cen retournairent à Vigneulle cen rien faire, parquoy ledit mon pere fus tant triste qu'il n'estoit hommes qui le peust rapaiser et nece vouloit reconforter ; et encore estoit en plus grand meschief quant il pansoit que cen argent il men avoit laissier aller, et ce doubtait tres fort que par ce il ne me advint quelques encombrier ou que je ne feisse quelque mal par l'enortement des malvaise compaignie. Mais la Dieux mercy, j'en estoit bien gairdé, car mon intencion estoit de servir loyaullernent et en prodomie en quelque lieux que je fusse.

* Déjeuner, collationner.

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