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MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE METZ
XXXIIe année - 1850-1851
(Archives départementales de la Moselle)




Dans la préface restée incomplète qu'il destinait à son volume des Chroniques de Metz, M. Huguenin aîné raconte comment il fut amené à faire la copie de la chronique de Ph. de Vigneulles et de celle dite de Praillon, et comment l'idée lui vint d'y joindre quelques autres ouvrages moins importants, tels que la chronique de la venue de l'empereur Charles-Quint à Metz en 1540, et le récit du siège de 1552 par Des Chagnatz, avec des extraits de la chronique du doyen de Saint-Thiebault, du journal de Jehan Aubrion, des annales de Lattière, etc., pour en former, en quelque sorte, le corps de nos histoires originales.
« Mais ce n'était pas encore assez, ajoute-t-il, d'avoir réuni ces chroniqueurs : il fallait les coordonner en suivant l'ordre des temps, les dégager des emprunts qu'ils se font mutuellement , et prendre dans les uns ce qui manquait dans les autres….. »
Cette pensée, qui indique chez M. Huguenin l’intention
 
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de donner au public une œuvre nouvelle composée de fragments anciens, l'a jeté dans des complications d'exécution qui, à notre point de vue, font un tort regrettable à sa publication. S’il se fût contenté alors de donner à l'imprimeur les feuilles des précieuses copies qu'il avait exécutées, nous aurions aujourd'hui, sans doute, d'excellentes éditions de nos deux grandes chroniques. Il préféra les fondre l'une dans l'autre et les compléter. Dans ce travail nouveau il fut entraîné à laisser de nombreuses lacunes dans des parties souvent intéressantes des œuvres primitives, et à rapprocher des portions de textes empruntées à des sources différentes sans indiquer leurs diverses origines ; enfin, il fut amené à modifier le langage et l'orthographe des originaux, comme le prouve d'une manière incontestable l'examen de son livre et de ses manuscrits. Il résulte de là de grands inconvénients dans l'usage qu'on peut faire de son ouvrage pour l'étude de l'histoire ; car il ne donne aucun moyen de constater à qui appartient l'assertion qu'on lui emprunte , si elle est due à un contemporain ou à un homme qui a vécu longtemps après l'accomplissement des faits, à un auteur sujet à erreur ou à un critique ordinairement mieux informé, à un écrivain démocrate ou à un partisan de l'aristocratie, à un catholique ou à un protestant, points souvent décisifs dans l'appréciation des sources historiques. Ajouterons-nous que le rajeunissement des expressions et de l'orthographe ne permet d'user qu'avec une extrême réserve du livre des Chroniques de Metz pour tout ce qui concerne les études philologiques.
Nous demandons ici pardon à la mémoire de M. Huguenin des critiques que nous nous permettons à l'endroit de son œuvre ; loin de nous est la pensée d'en diminuer la juste importance. Le désir d'en tirer toute l'utilité possible nous a conduits à l'étudier de très près, et on nous pardonnera d’exposer franchement les observations que nous avons faites dans cet examen. L'estime qui est due à M. Huguenin ne

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saurait en souffrir : son éloge sera assez grand quand on aura dit ce qu’il a fait.
Nous nous proposons ici de parler de ses travaux sur nos chroniques et de décrire ses manuscrits restés entre les mains de son frère qui a bien voulu nous les communiquer. Nous entrerons à cette occasion dans quelques détails sur les originaux qu’il a transcrits, ou dont il a pris seulement des extraits. Nous parlerons ensuite de la composition du livre qu'il a publié sous le titre de Chroniques de Metz1, et enfin nous dirons quelques mots d'une table que nous avons dressée pour établir la concordance entre ce livre et les originaux dont la compilation a servi à le former.

Manuscrits de M. Huguenin.

Les travaux de M. Huguenin, sur nos chroniques, consistent principalement en deux manuscrits assez volumineux restés en feuilles, contenant les copies de la chronique de Ph. de Vigneulles et de celle dite de Praillon. Quand il entreprit cette longue tâche, la ville de Metz ne possédait pas d'exemplaire complet de la chronique de Ph. de Vigneulles ; elle n'avait aucune copie du dernier tome, le plus important des trois : depuis lors, elle a acquis le précieux exemplaire original qui était dans la collection de M. Emmery. Quant à la chronique dite de Praillon, son exemplaire unique appartient à la bibliothèque d'Epinal, et aujourd'hui encore nous n'en avons à Metz que la copie, qui a été exécutée par M. Huguenin aîné, et laissée par lui à son frère.
La copie de Ph. de Vigneulles, commencée vraisemblablement dans le courant de l’année 1835, a été terminée

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1. Les Chroniques de la ville de Metz, recueillies, mises en ordre, et publiées, pour la première fois, par J.-F. Huguenin, 1 vol. grand in-8°, Metz, Lamort, 1838.
 
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le 22 mai 1836. Elle se compose de trois parties correspondant aux trois tomes de l’original. Chaque partie comprend environ 500 pages in-4°, couvertes de la petite écriture très nette et très bien formée de M. Huguenin, et presque sans marges. Les 53 premières pages de la première partie sont d'une autre main que la sienne. La copie du second tome est très incomplète ; un grand nombre de pages est resté en blanc. Lors de l'impression du volume, M. Huguenin y a quelquefois transcrit des passages étrangers à Ph. de Vigneulles qu'il intercalait dans le texte. La troisième partie contient aussi quelques blancs, cependant elle semble être complète. Ce sont les feuilles mêmes de cette copie qui ont servi au travail de l'impression, et M. Huguenin a enfermé dans des cadres tracés au crayon les passages que le compositeur devait y prendre. Dans le troisième volume, qui a fourni plus de matières que les deux premiers, ce sont au contraire les passages à négliger qui ont été encadrés au crayon. On remarque qu'un grand nombre de mots des passages désignés à l'imprimeur ont été surchargés et modifiés ainsi dans leur orthographe primitive.
La copie de la chronique dite de Praillon a été, comme celle de la chronique de Vigneulles, partagée par M. Huguenin en trois parties, quoique dans l'exemplaire original rien n'indique cette division arbitraire. Ces trois parties, d'inégale étendue, ne comprennent ensemble que 950 pages environ, de même format et de même écriture que la copie de Vigneulles.
D'après les dates que M. Huguenin a inscrites sur son travail, la copie de la chronique de Praillon, terminée 8 mois après celle de la chronique de Vigneulles, a dû être commencée à peu près en même temps qu'elle. Sur la première page de la première partie on lit : « Commencée le dimanche 22 février 1835, » et à la fin de la dernière partie : « Terminée le jeudi 19 janvier 1837, à dix heures du matin. Laus dep. ». Ces naïves actions de

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grâces sont un témoignage touchant de la pieuse conscience avec laquelle l'écrivain avait accompli sa tâche laborieuse.
J'aurais besoin de revoir le manuscrit d'Epinal pour me rendre compte du motif qui a pu conduire M. Huguenin à diviser en trois parties, inégales du reste, la copie qu'il en a faite. La première embrasse les événements de 1323 à 1443, et comprend 399 pages ; la seconde, va de 1444 à 1482, et a 403 pages ; la troisième, de 1483 à 1497, n'a que 155 pages. Quelques cahiers du commencement de la seconde partie (de la page 5 à la page 84) semblent manquer dans les papiers de M. Huguenin. Il ne les avait pas exécutés. La matière qu'ils devraient contenir, a été imprimée dans le volume des Chroniques (de la page 221 à la page 254), d'après l'édition antérieure de ce même fragment, inséré précédemment dans les Preuves du siège de Metz de 1444 (publié, en 1835, par MM. de Saulcy et Huguenin).
La copie de Praillon a servi, comme celle de Vigneulles, à l'impression du volume des Chroniques, et de même que pour le troisième volume de cette dernière, les passages à négliger y ont été désignés à l'imprimeur par des encadrements au crayon. L'orthographe y a subi les mêmes modifications que dans les parties empruntées à Vigneulles. Je crois que la copie de la chronique de Praillon, par M. Huguenin, est complète, cependant pour le certifier il faudrait l'avoir collationnée sur le manuscrit de la bibliothèque d'Epinal ; c'est ce que je n'ai pu faire. J'ai dû me contenter de rapprocher du manuscrit original, le texte du volume imprimé ; et leur comparaison, dans un nombre de passages très limité, il est vrai, m'a fait remarquer, je dois le dire, quelques variantes.
Les deux copies de la chronique de Vigneulles et de celle dite de Praillon forment la partie principale du travail de M. Huguenin : il en a retranché beaucoup, et n'y a ajouté
 
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que peu de chose pour la publication du volume des Chroniques de Metz. A part les deux morceaux assez étendus de la chronique de la venue de Charles-Quint à Metz en 1540, et de la relation du siège de 1552 par Des Chagnatz (dont les copies ne se sont pas retrouvées parmi ses papiers), ce qu'il a réuni aux matériaux abondants fournis par les deux grands ouvrages qu'il avait transcrits, ne consiste qu'en petits fragments écrits sur des feuilles volantes que des signes de renvoi rattachaient au corps des grandes chroniques, et dont un grand nombre même sont aujourd'hui perdues. Ces fragments, dont il n'indigne nulle part l'origine, sont empruntés à divers ouvrages : à la chronique du doyen de Saint-Thiébault, au journal de Jehan Aubrion, à la chronique en vers, à celle de Jaicomin Husson, continuée par N. de Gournay, aux annales de La Hière, à l'analyse de la chronique de Vigneulles par Baltus, aux Observations séculaires de Paul Ferry, aux mémoires de Tavannes, à ceux de François de Rabutin. Enfin, quelques paragraphes ont été tirés des antiquités de la Gaule-Belgique de Wassebourg, des preuves imprimées par les Bénédictins à la suite de leur grande histoire de Metz, et d'une ancienne liste des maîtres-échevins de Metz.
Outre les passages copiés sur ces feuilles volantes quelques-unes sont, comme nous l'avons déjà dit, transcrits sur les pages restées blanches de la copie de Vigneulles, ou bien le plus souvent, quand ils sont très courts, ils sont écrits sur les marges et dans les interlignes de la copie des grandes chroniques.
Tel est l'état actuel des manuscrits de M. Huguenin aîné. Ils témoignent des travaux considérables de transcription, par lesquels il a préludé à la publication de ses Chroniques. Avant de dire comment il a employé ces riches matériaux dans la composition de son livre, qu'on nous permette quelques détails sur les ouvrages originaux auxquels il les a empruntés.

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Chronique de Philippe de Vigneulles.

La chronique de Philippe de Vigneulles est un ouvrage de grande étendue, qui nous est parvenu complet. L'auteur s'est proposé d'écrire l'histoire de Metz, depuis les temps les plus reculés jusqu'à ceux où il vivait. En effet, il la fait remonter au déluge, et la conduit jusqu'à l'année 1525, presque jusqu'à sa mort qui arriva, à ce qu'on croit, en 1527. On comprend que la valeur historique de cette longue composition varie beaucoup suivant les époques qui y sont traitées. Elle est surtout incontestable pour celles dont l'auteur a été contemporain. Alors le conteur parle de ce qu'il a vu et entendu, souvent de ce qu'il a fait lui-même. Pour les temps antérieurs, il s'appuie sur des témoignages très variés, qu'il accueille souvent avec beaucoup de crédulité et qu'il emploie avec peu de critique. Dans la préface de son premier livre il fait une pompeuse énumération des ouvrages dont il a réuni la matière dans le sien. Il cite à cette occasion la Bible, les Faits des Troyens, les Histoires romaines de Titus Livius, l'Histoire scolastique, Froissart, Robert Gaguin, etc. ; plus loin il parle même des livres hébreux. On doit préférer les indications qu'il donne çà et là dans le cours de sa chronique sur les sources plus réelles de notre histoire, qu'il a dû consulter. Leur énumération paraîtra aride, cependant il me semble qu'elle peut être utile. Dans le relevé que j'en ai fait, j'ai mentionné non seulement celles qu'il nomme formellement, mais encore celles dont l'examen de sa chronique fait supposer qu'il a eu connaissance.
Parmi ces sources, les unes sont relatives aux faits étrangers à l'Histoire de Metz, dont il a introduit le récit dans sa chronique, les autres concernent spécialement notre histoire locale. Dans la première catégorie se trouvent :
Eusèbe.
Orose.
 
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Berose.
Bede.
Venance Fortunat.
Jean la Belge.
La Mer des histoires.
Robert Gaguin.
Les Chroniques de saint Denis.
La Chronique des Bretons.
La Chronique de Bordeau.
La Chronique de Froissart.
Les Chroniques de Brabant.
L'Histoire scolastique.
Les Chroniques de France.
Les Chroniques de Lorraine.
Grégoire de Tours.
Guillaume, historiographe.
L'Histoire du chevalier du Cygne.
L'archevêque Turpin.
Le livre du voyage de Charlemagne.
Le dictier de la reine Hildegarde.
La légende de saint Sausson et saint Maloy.
La légende de saint Morize des Preys.
Dans la seconde catégorie se rangent les légendes et les chroniques écrites avant lui, les pièces empruntées aux archives municipales, à celles de l'évêché et des maisons religieuses, et quelques autres documents de diverses natures. Nous citerons :
Les légendes de saint Clément, - de saint Livier, - de 1'évêque Térence, - de sainte Glossinde, - de saint Sigebert, roi d'Austrasie, - de saint Goëric, - de saint Arnould.
La généalogie de saint Arnould (version normande).
La vie de l’évêque Adalberon II.
La vie et les œuvres de saint Bernard.
L’invention des reliques par l’évêque Théodoric I.

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Les épitaphes carlovingiennes de Saint-Arnould, - celles de la cathédrale et de diverses églises de Metz.
Le roman de Guarin le Loherin.
Les vieux Gestes des Messins (peut-être la chronique en vers).
La chronique des évêques.
La chronique des maitres-échevins.
La chronique du curé de Saint-Eucaire (doyen de Saint-Thiébault).
La chronique de Jehan Aubrion.
L'histoire de l'abbaye du Pont-Thieffroy.
Les mémoires sur les Carmes.
Le livre des Histoires de frère Vincent de l'ordre des Frères Prêcheurs.
L'histoire miraculeuse de la translation d'une portion de la vraie croix à Buris. Le petit cartulaire de Saint-Arnould.
Le livre des droits de monseigneur l'évêque.
Le livre des droits de l'empereur, à Metz.
Les archives et cartulaires de l'évêché, - de l'abbaye Saint-Pierre-aux-Nonains, - de la collégiale Saint-Thiébault, - de la maison des Prêcheresses, - de l'abbaye du Pont-Thieffroy.
Les archives de la cité.
  Une observation qu'il est utile de faire, c'est que, parmi ces sources il en est peut-être un certain nombre que Ph. de Vigneulles n'a pas consultées directement, mais dont il a pu trouver ailleurs des citations et des extraits. J'ajouterai qu'il a pu aussi en avoir à sa disposition quelques autres qui nous sont restées inconnues.
L'emploi de matériaux si nombreux et d'origines si variées aurait exigé plus de précautions et de critique que Vigneulles ne pouvait en apporter à la composition de son livre ; aussi y rencontre-t-on des répétitions et même des contradictions,
 
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sans parler des assertions douteuses ou complètement erronées. Malgré ces imperfections, la chronique de Philippe de Vigneulles est un ouvrage précieux pour l'ensemble des documents qu'il renferme sur les temps antérieurs au sien ; il est inestimable pour l'histoire de l'époque à laquelle l'écrivain a vécu. Pour tirer tout le parti possible de cet important ouvrage, ce n'est pas assez de savoir où son auteur a puisé ses renseignements ; il faut encore, afin d'apprécier l'usage qu'il a pu en faire, connaitre son esprit, ses idées, ses préjugés, toute son histoire enfin. Cette histoire a déjà été l'objet de plusieurs publications intéressantes. Le vieux chroniqueur a laissé de nombreux matériaux à ceux qui voudront s'en occuper encore. Nous ne voulons pas la redire ici ; contentons-nous d'en rappeler quelques traits.
Né en 1471, Philippe de Vigneulles était originaire du village dont il porte le nom. Simple paysan, il prit rang, plus tard, dans cette classe moyenne que la fortune élève au-dessus de la multitude sans pouvoir lui faire franchir les degrés qui la séparent des classes privilégiées. Dans sa première jeunesse, il avait reçu quelque instruction élémentaire des moines et de l'abbé de Saint-Martin qui, dit-il, lui témoignaient de l'intérêt et de l'affection ; plus tard, il suivit, à Metz, les écoles de la Trinité, puis les leçons d'un prêtre qui demeurait au village de Saulny. Il nous apprend que vers l'âge de douze ans il fut mis, à Metz, chez Jehan de Hannonville, l'aman, pour y apprendre le stille. Il quitta bientôt cette maison où il était maltraité, et abandonna même, quelque temps après, le pays pour voyager. Il voit la Suisse et l'Italie, successivement au service d'un chanoine de Genève, d'un gentilhomme de la cour de Naples, d'un homme d'armes italien, d'un musicien du prince Frédéric, puis d'un ambassadeur qui le ramène en France. Il revient à Metz ; de nouvelles aventures l'attendaient à son retour dans son pays, où il tombe au milieu

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des désordres de la guerre. Il est enlevé, une nuit, avec son père, et subit une captivité d'une année dans le château de Chauvency, Enfin, en 1493, cette existence agitée se fixe. Notre auteur avait alors 22 ans. Il se marie et s'établit à Metz comme chaussetier. Il ne dévia plus depuis lors de la ligne que cette double condition traçait à son existence, et ne cessa de faire des chausses et de vendre du drap jusqu'à sa mort arrivée, dit-on, vers 1527. Sa première femme était morte l'année même de son mariage ; il épousa quelques mois après une seconde femme qui lui donna successivement douze enfants, dont deux ou trois seulement lui survécurent. Par ce qui précède, on peut se faire une idée de ce que devait être son esprit peu cultivé d'abord, sans pourtant avoir été tout à fait privé des premiers principes d'instruction, plus tard, éprouvé par les vicissitudes les plus variées, éclairé par l'expérience, ébloui peut-être par le spectacle d'une cour brillante, travaillé ensuite par d'extrêmes infortunes, et bientôt montrant une maturité précoce en s'arrêtant de bonne heure à une ligne de conduite sage et modérée qu'il suit avec persévérance jusqu'au bout.
L'homme dont je viens d'indiquer ainsi l'existence, n'était ni un savant ni un lettré, mais il n'était étranger ni aux lettres ni aux arts ; il les aimait, il était doué de sagacité, et avait un bon sens parfait, dont il nous donne la mesure en maintes circonstances. Citons-en une seule qui en relief le caractère honnête du vieux chroniqueur messin. En 1519 il eut la sagesse de refuser l'office de receveur des deniers de la cité, que lui avait fait offrir la seigneurie. Cette charge n'était pas sans profit, elle était, en outre, de nature à flatter l’amour propre du marchand enrichi ; « mais, dit Vigneulles, considérant la paine et subiection et le dancier que cest je humblement remerciant les bon seigneurs de leur offre et me thins en mon estat. » Ce langage respire un noble sentiment d’indépendance, il marque
 
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en même temps la modération des désirs et exprime la déférence envers ceux qui dirigeaient l’Etat. Et pourtant ceux-là appartenaient alors à une aristocratie jalouse et absolue. Vigneulles ne voyait en elle que la tête glorieuse de la République, et il ne manifeste jamais à son égard qu’un sentiment de respect patriotique. Il semble, au contraire, éprouver peu de sympathie pour la multitude turbulente qui s’agitait souvent aux derniers degrés de l'échelle sociale, et il parle avec sévérité des excès auxquels il la voit se porter à différentes époques de notre histoire. On pourrait quelquefois lui reprocher, dans ces circonstances, une sorte de partialité en faveur de l'aristocratie. Ce sentiment ressort, entre autres passages, du récit qu'il fait de la Jacquerie de 1405. Le tableau des mêmes faits respire, au contraire, tous les sentiments de la rancune démocratique dans la chronique dite de Praillon. Nous verrons tout à l'heure que tel est en effet l'esprit qui anime ordinairement son auteur.
La chronique de Philippe de Vigneulles est divisée en cinq livres qui se subdivisent eux-mêmes en chapitres.
Le livre I comprend 165 chapitres précédés d'un prologue. Il contient les origines fabuleuses de la cité, l'histoire de l'établissement du christianisme dans son sein, celle des premiers évêques jusqu'à Bertram à la fin du douzième siècle, celle des deux premières races des rois de France, et le tableau du gouvernement de Metz par les nobles. On y trouve très peu de particularités concernant Metz même, et à part les dates très contestables qui fixent l'époque de la fondation de la ville par rapport à la création et au déluge, elle n’en donne qu’une seule antérieure au douzième siècle, celle d'un concile.
Le livre II comprend un prologue de 177 chapitres. Il donne le commencement de la liste des maîtres-échevins à partir du seigneur Benoy, en 1170, et l’histoire des

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évêques depuis le successeur de Bertram. On y trouve les droits de l'évêque, les droits de l’empereur, la réforme de l’échevinat et la suite des événements depuis la fin du douzième siècle jusqu'à et y compris le commencement de la guerre de Saint-Martin, en 1428. C’est dans ce second livre que la chronique commence à se suivre régulièrement.
Le livre III a un prologue et 98 chapitres ; il conduit les événements de 1429 à1472. Les principaux sont la guerre de Saint-Martin, la guerre des rois et la querelle du chapitre avec la cité.
Le livre IV, contenant un prologue et 187 chapitres, s'étend de 1473 à 1499. La guerre avec le duc Nicolas en 1473, celle avec le duc René II en 1489-1490, et la trahison de Jehan de Landremont y sont racontées. Vigneulles montre la cité, pendant cette période, presque continuellement aux prises avec ses voisins, et dépeint sa difficile neutralité entre les ducs de Bourgogne et ceux de Lorraine, puis entre les archiducs d'Autriche et les rois de France. C'est dans ce quatrième livre que le chroniqueur a placé les détails de sa longue captivité au château de Chauvency. Le prologue du quatrième livre montre que l'auteur, en le commençant, comptait en faire le dernier de sa chronique et y comprendre tous les événements arrivés jusqu'au siège de Metz, par le capitaine Francisque, en 1518. L'abondance des matières, se révélant à lui à mesure qu'il avançait, l'engagea plus tard à s'arrêter à la fin du quinzième siècle, pour commencer, avec le seizième, un cinquième et dernier livre.
Le livre V est à lui seul aussi étendu que la moitié des quatre précédents ensemble ; il contient un prologue et 255 chapitres. C’est de beaucoup la partie la plus curieuse de l’œuvre de Ph. de Vigneulles. Les événements qu'il y décrit vont de 1500 à 1525. Celui dont le développement a la plus d’importance est la guerre de Schluchtérer et du capitaine Francisque contre la cité, de 1512 à 1518. On y
 
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trouve encore un tableau instructif de la situation précaire des Messins, malgré leur neutralité, entre les deux grands rivaux, François I et Charles-Quint, dont les soldats viennent se rencontrer jusque sur leur petit territoire ; on y voit indiqués les commencements du luthérianisme. Enfin, ce livre abonde en détails variés, intéressants au point de vue de l'étude des mœurs et des institutions. C'est le journal de l'observateur en présence des faits eux-mêmes.
Les cinq livres de la chronique de Ph. de Vigneulles sont uniformément distribués dans tous les exemplaires en trois volumes d'une étendue à peu près égale. Le premier volume contient les livres I et II ; le second, les livres III et IV ; le troisième, le livre V. Les copies des deux premiers volumes ne sont pas rares ; la bibliothèque de la ville en possède plusieurs, et quelques autres encore sont entre les mains de divers particuliers. Il n'en est pas de même de celles du troisième volume, je n'en connais que trois ; elles appartiennent, l'une, à l'exemplaire complet que la ville a acheté, en 1849, à la vente de M. Emmery, l'autre à celui qui est à la bibliothèque d'Epinal, la troisième enfin, à celui que M. Huguenin aîné a exécuté d'après ce dernier, et qu'il a laissé entre les mains de son frère.
L'exemplaire de la chronique de Ph. de Vigneulles, acquis en 1849, par la ville, se compose de trois volumes in-folio, d'une exécution uniforme et d'une écriture qui appartient au commencement du seizième siècle. Ce manuscrit renferme à la fois des incorrections qui caractérisent le travail du copiste, et des ratures et additions qui trahissent la main de l'auteur. Il y a lieu, je crois, d'admettre que c'est une mise au net exécutée par Ph. de Vigneulles lui-même.
Le premier volume a 418 feuillets. Les deux premiers manquaient, ils ont été remplacés par six folios qui semblent écrits de la main de M. Tabouillot ; une seconde lacune entre les folios 414 et 415 a été aussi comblée par quatre

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feuillets de copie moderne. Entre les folios paginés 396, 397, il manque deux feuillets qui n’ont pas été remplacés. Les folios cotés 72, 73, 74, doivent être reportés entre les folios 416 et 417.
Le deuxième volume a 422 feuillets. La fin est tronquée. On remarque d'autres lacunes entre les folios 14 et 15, et entre les folios 418 et 419. Les folios 366, 369, 370, 375, sont cartonnés. Le folio 282 a été déchiré sur la longueur d'environ 18 lignes de l'écriture du manuscrit.
Le troisième volume a 597 feuillets. Le folio 168 a été relié par erreur entre les folios 161 et 162. Les folios 37 et 383 sont cartonnés. Le folio 9 a été en partie déchiré. Nous remarquerons enfin que dans les 50 derniers folios de ce volume, l'écriture devient plus fine, comme si l'auteur avait voulu resserrer la matière pour ne pas dépasser en étendue des dimensions déterminées d'avance.
On excusera ces détails minutieux sur un exemplaire que nous regardons comme l'original dû à la plume de l'auteur lui-même. Un siècle après sa mort, il appartenait à un de ses descendants comme en témoigne la note suivante écrite sur chacun des volumes : « Les présentes croniques ont été retirés des mains de monsieur de Marescot par la diligence de Philippe de Vigneulle amant estant à Paris le 12e mars 1624. » Ce Philippe de Vigneulles était beau-frère de notre célèbre Paul Ferry. Le manuscrit passa entre les mains de ce dernier ; il porte des notes de son écriture. La famille de Vigneulles devenue riche, avait été anoblie au commencement du dix-septième siècle, par le duc de Lorraine. C'est sans doute à sa vanité qu'il faut attribuer la mutilation de plusieurs passages où le chaussetier du seizième siècle parlait avec simplicité de son humble origine.
Après Philippe de Vigneulles l'aman et Paul Ferry, nous perdons de vue l'exemplaire original des chroniques. Au milieu
 
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du dix-huitième siècle, il était à Berlin où il avait été porté, sans doute, par quelqu'un des membres émigrés de la famille protestante de Paul Ferry. Une note de Baltus, jointe à l'extrait qu'il en fit à cette époque, indique que M. Russier, conseiller au bailliage de Metz, l'ayant fait revenir, le vendit, vers 1752, à la ville qui le paya alors 150 livres. Les renvois de pagination donnés par Baltus dans son extrait, la reproduction des lacunes et d'autres détails indiqués par lui ne permettent pas de douter que l'exemplaire vendu par M. Russier ne soit le même que celui qui est maintenant entre nos mains. La note de Baltus se trouve sur le manuscrit même de son extrait conservé jadis aux archives, maintenant à la bibliothèque de Metz. M. Lemaire, qui a fait, il y a quarante ans, l'inventaire de nos archives municipales, a écrit en regard de celle-là une nouvelle note de laquelle il résulte que lorsque cet inventaire a été exécuté, le manuscrit de Philippe de Vigneulles n'était plus dans les dépôts de la ville. Il avait été prêté en 1753 à M. de Creil, et rendu par lui l'année suivante. Un peu plus tard, il a dû se trouver entre les mains de M. Tabouillot qui semble avoir remplacé, par une copie de sa main, les premiers folios manquant au tome I. De nouvelles vicissitudes le firent passer ensuite dans la bibliothèque de M. Emmery. A la vente qui fut faite en 1849, de sa collection, la ville racheta, au prix de 1325 fr., l'exemplaire original de la chronique de Philippe de Vigneulles, et le replaça dans sa bibliothèque, où on peut le consulter aujourd’hui.
L'exemplaire de Vigneulles, qui est à la bibliothèque d'Epinal, vient de l'abbaye de Senones. Il est composé de trois volumes d'origines diverses. Le premier est un exemplaire du seizième siècle, d'une exécution analogue à celui dont nous venons de parler. Il avait appartenu, vers la fin du dix-septième siècle, à un comte de Gournay, dont il porte le nom. Peu de temps après il était à Senones, comme

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on le voit par la note suivante écrite au recto du deuxième folio : « Sti Petri senoniensis, an. 1755. » Les tomes II et III sont d’une écriture moderne uniforme ; ils portent l’indication : « Sti Petri senoniensis, an. 1755. » Les détails de leur exécution, qui reproduit les corrections et les lacunes de l’exemplaire de la ville, semblent prouver que c’est d’après lui qu’ils ont été transcrits. Comme nous venons de le dire, cet exemplaire de la ville avait été acheté par elle, vers 1752 , à M. Russier. D. Calmet, abbé de Senones, avait désiré, dit-on , en faire l'acquisition , mais des considérations de patriotisme avaient porté M. Russier à le donner plutôt à la cité. Il est naturel de penser que le savant abbé ait voulu avoir une copie, faute de l'original qui lui échappait. Cette copie a pu être exécutée en 1753 et 1754, époque à laquelle nous avons dit que le manuscrit de la ville avait été prêté à M. de Creil, intendant de la province, et en 1755 elle est entrée dans la bibliothèque de l'abbaye de Senones, pour être jointe à l'exemplaire du premier volume qui y était depuis 1737.
Nous avons déjà parlé précédemment de la copie de Ph. de Vigneulles faite par M. Huguenin d'après le manuscrit d'Epinal.
Nous ne dirons que quelques mots de l'extrait que Baltus a fait de cette chronique au milieu du dernier siècle. Ce travail est contenu dans un manuscrit conservé à 1a bibliothèque de Metz sous le N° 24. C'est un volume in-folio de 728 pages, auquel est joint un très-bon glossaire de 92 pages de la même écriture que le reste du manuscrit. Cette écriture très nette, est semblable à celle du manuscrit conservé à la même bibliothèque sous le N° 76, d’après lequel ont été imprimées las Annales de 1724 à 1759, composées par Baltus. On est fondé à croire que ce sont deux autographes de l’auteur. Les papiers de M. Huguenin semblent indiquer que dans la rédaction de ses Chroniques, il a eu
 
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quelquefois recours à cet extrait, notamment pour la partie correspondant au tome II de la chronique de Vigneulles dont il n’avait fait qu’une copie très incomplète. Le travail de Baltus paraît contenir à peu près tout ce que la chronique de Vigneulles renferme concernant spécialement la ville de Metz.
Il avait été, comme le dit l'auteur dans une note, exécuté d'après l'exemplaire de Ph. de Vigneulles appartenant alors à la ville. Nous avons dit précédemment que c'était le même que celui qu'elle a racheté en 1849 et qu'elle possède aujourd'hui.

Chronique dite de Praillon.

La chronique dite de Praillon présente des caractères très différents de ceux de la chronique de Philippe de Vigneulles. Nous n'en avons ni le commencement ni la fin, son auteur nous est resté inconnu, et, selon toute apparence, il n'a pas été contemporain des évènements racontés dans la partie de son ouvrage qui nous est parvenue. L'exemplaire unique de cette chronique est aujourd'hui à la bibliothèque d'Epinal, à laquelle il est venu de celle de l'abbaye de Senones. C'est un volume petit in-folio très épais. II porte la reliure uniforme des manuscrits de Paul Ferry qui sont à Epinal et à Metz, et comprend 755 feuillets, dont 262 ne sont écrits que sur le recto. Il est d'une écriture courante du seizième siècle, quelquefois un peu négligée, presque sans ratures ni surcharges, mais avec beaucoup d'intercalations et de transpositions d'articles. Ces intercalations semblent de la même main que le reste, elles sont quelquefois sur des feuilles volantes, souvent sur les pages restées primitivement blanches dans le manuscrit. On remarque que des blancs ont été généralement ménagés, sans doute pour cet objet, à la fin des années jusque vers le milieu du quinzième siècle. Ces carac-

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téres sont bien ceux d'un original, et M. Huguenin n'hésite pas à reconnaître dans le manuscrit d’Epinal un autographe de l'auteur.
En parlant de la copie que M. Huguenin a faite de cette chronique, nous avons déjà dit qu'elle va de 1323 à 1497. Nous venons de dire aussi qu'elle est tronquée au commencement et à la fin. On ne peut savoir ce qui en manque, mais la mutilation est incontestable. Le verso du dernier folio se termine par quatre mots placés en réclame, qui devaient être reproduits en haut de la première page du cahier suivant.
Quant au commencement, la lacune est moins évidente au premier coup d'œil, mais elle n'est pas moins certaine. Ce commencement est reproduit textuellement à la seconde colonne de la page 38 du volume des Chroniques, publié par M. Huguenin : « 1323. - Ly sire Symon Le Gornais fuit maistre escheuin de Mets l'an mil et xxiij (sic) – On dit ans Symon de Moncler…., etc… » Malgré le peu de vraisemblance du choix d'un début si simple et d'une année qu'aucun événement ne signale particulièrement pour point de départ d'un ouvrage de longue haleine, il n'y aurait pas dans cette double observation de raison suffisante pour admettre que ce qui nous reste de la chronique était nécessairement précédé d'une partie aujourd'hui perdue. Mais un peu plus loin, on lit : « Comme il est cy devant desclairé sus l'année de mil iijc et xxi Charle le Bel roy de France, etc…. » ; preuve matérielle qu'avant l'histoire de l'année 1323 qui commence le manuscrit, l'auteur avait écrit celle de 1321 qui y manque, et qui pouvait bien être accompagnée d'un certain nombre d'autres encore.
Rien dans le cours de la chronique ne révèle le nom de son auteur. M. Hugnenin y a seulement relevé un passage d'où il résulte qu'il vivait au milieu du seizième siècle. Dans ce passage, après avoir raconté la conquête du duché de
 
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Gueldre par le duc de Bourgogne en 1473, il ajoute : « et je croy que c’est l’ung des principaul titre que l’empereur Charles Ve de part son peire puist avoir de reconquesteir et repelteir la duché de Gueldre qu’il thient et possède presentement au jour et daltum de ces présentes croniques. » Or, l'empereur Charles-Quint n'a possédé la Gueldre qu'à partir de septembre 1543, époque du traité par lequel la cession lui en fut faite par le duc Guillaume sur qui il venait d'en faire la conquête. C'est donc entre cette date et celle de 1556, année de l'abdication de Charles-Quint, que l'auteur a dû écrire.
Le manuscrit que nous possédons aujourd'hui, a été entre les mains de Paul Ferry, qui y a laissé des notes de son écriture. Il en donne quelque part une description qui s'accorde parfaitement avec la condition de notre exemplaire, et il le désigne ainsi : « La chronique de feu M. Praillon, lieutenant-général au baillage de Metz. » Il ne prétendait appliquer ces expressions qu'au possesseur, et non à l'auteur du manuscrit qu'il ne connaissait pas, comme il le marque ailleurs.
Si la chronique a eu pour auteur un Praillon, on s'explique difficilement que cela ait été ignoré par Paul Ferry, vivant au commencement du dix-septième siècle, avec des membres de cette famille, qui n'auraient pu être que d'assez proches parents du chroniqueur de 1550 ; et, dans ce cas, n'aurait-il pas plus naturellement désigné l'ouvrage par le nom de son auteur que par celui de son possesseur. Cependant il n'y a là matière qu’à de simples présomptions, et rien ne prouve absolument, que celui qui a écrit la chronique ne soit, comme quelques-uns l’ont cru, un des ancêtres de Praillon qui la possédait au commencement du dix-septième siècle. Nous dirons à l'appui de cette opinion qui n’est pas insoutenable, que nous connaissons un Praillon qui, au milieu du seizième siècle, a écrit sur l'histoire

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de Metz. - La bibliothèque nationale de Paris, possède un manuscrit (S. Germ. 1088), qui contient le commencement d'une chronique de Metz, depuis la création du monde jusqu'au sixième siècle, sur le premier feuillet duquel l'écrivain a mis la dédicace suivante : « A Contereau et à ses amis, Praillon, Metz, le xij aoust 1553. » - J'ai vu à Londres au musée britannique un autre manuscrit à peu près du même temps, dont le titre est ainsi conçu : « Les maistres escheuin de Mets qui ont estez on passez en celle de quoy Jehan Praillon ait peheu estre aduertis, semblablement les conte et vowez de Mets. »
Ajoutons que diverses pièces de 1550 à 1549, mentionnent un Jehan Praillon qualifié tantôt l'escrivain, tantôt clerc des treize, tantôt greffier et secrétaire ; et rapprochons de cette indication la note suivante, que Paul Ferry a reproduite en quatre ou cinq endroits de ses Observations séculaires, après la mention de diverses pièces originales émanées à la même époque des magistrats de la cité : « Ledit plumetis est notoirement de la mesme main qui a escrit les croniques du sieur Praillon et ainsi estoit d'un des secrétaires ou greffiers ou clercs des treze. » Tout cela semble concourir à désigner Jehan Praillon, clerc des treze, comme l'auteur de notre chronique. - Depuis le milieu du seizième siècle les membres de cette famille, sont souvent signalés comme auteurs de recherches et possesseurs de documents relatifs à nos antiquités et à notre histoire. Meurisse, l'historien de nos évêques et le contemporain de Paul Ferry, le père Benoit, de Toul, auteur d'une histoire manuscrite de Metz, qui vivait un demi-siècle plus tard, parlent en plusieurs endroits du cabinet, des manuscrits, des mémoires, des annales et même des chroniques de M. Praillon. Ces mémoires et ces chroniques sont cités par eux, à l'occasion de faits qui appartiennent à diverses époques, depuis les médiomatriciens des premiers siècles jusqu'à la fin du quin-
 
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zième. Est-il permis de croire qu'ils aient connu des manuscrits pouvant former la première partie de la chronique mutilée qui est à Epinal ?
Qu'on nous pardonne ces longs détails ; peut-être un jour pourront-ils servir, avec de nouveaux renseignements, à déterminer le nom encore incertain de celui qui a écrit la chronique qui nous occupe. Aujourd'hui nous ne savons de lui que ce que nous en dit son œuvre. Il était lettré et même érudit. Il cite quelque part un passage d'Ovide, ailleurs des textes de droit romain. En plusieurs endroits il fait preuve de critique dans la discussion des sources qu'il consulte. Nous indiquerons comme exemple un passage de son ouvrage imprimé dans le volume de M. Huguenin, p. 237, col. 2. Quoiqu'il ne soit pas contemporain des événements qu'il raconte, il semble quelquefois mieux informé que les historiens qui l'ont précédé, et entre aussi ordinairement dans des détails plus précis et plus nombreux. Il paraît avoir fait beaucoup usage des documents originaux qu'il rappelle souvent, et les avoir surtout employés à contrôler les récits de ses devanciers. Parmi les auteurs qu'il cite on trouve les noms de Jeh. Chartier, de Monstrelet, de Robert Gaguin, de Ph. de Commines, de Nauclerus, de Nicolle Gille, de Jeh. Bouchet. Il mentionne aussi la chronique des Dex, et la chronique de Michel Chaverson que nous ne connaissons pas, le journal du siège de 1444, la chronique de Ph. de Vigneulles.
Ce lettré du seizième siècle, qui connaissait les auteurs de l'antiquité et qui avait étudié le droit romain, montre en plus d'un endroit un esprit jaloux et chagrin. Témoin de la décadence de l'État, il déplore souvent la perte des anciennes vertus. Ennemi de l'aristocratie, il accueille et reproduit volontiers les déclamations des tribuns du moyen-âge, et en maint passage, il traite avec une partialité hostile les classes privilégiées. Nous avons dit qu'en cela il est bien différent de Philippe de Vigneulles. Qu'on se reporte, pour

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s’en convaincre, à la peinture ardente qu’il fait de la Jacquerie de 1405 (In Huguenin, p. 131 et seq.). Qu’on parcoure un peu plus loin le récit des prédications fougueuses du frère Guillaume en 1429 ; qu'on relise surtout un passage plein de fiel (In Huguenin, pag. 245), dans lequel le haineux écrivain cherche à flétrir cette aristocratie détestée, en lui disputant le courage et la vertu, la noblesse même et l'antiquité de la race.
Un autre passage de cet auteur (In Huguenin, p. 281), pourrait faire penser qu'il était protestant. Au moins, s'y montre-t-il très hostile au pape.
Nous avons dit que le manuscrit de cette chronique est à la bibliothèque d'Epinal. Le peu que nous savons de son histoire ressort d'une note écrite de la main de D. Jean François sur le premier feuillet de garde du volume : « N. B. Il faisait partie des recueils de feu M. Paul Ferry, fameux ministre à Metz , décédé en 1669. Je l'ai acquis de sa famille en 1773. » La marque « 24lb » tracée par la même main sur le plat intérieur de la couverture semble indiquer que c'est là le prix modique pour lequel ce précieux manuscrit avait été livré au savant bénédictin. On sait que la bibliothèque de D. J. François passa à l'abbaye de Senones ; c'est par là que le manuscrit est arrivé à Epinal où il se trouve aujourd'hui. D. J. François est l'un des deux bénédictins auteurs de l'Histoire de Metz ; il ne connaissait sans doute pas la chronique dite de Praillon avant d'en faire l'acquisition en 1773 ; ainsi s'explique le silence que lui et D. Tabouillot gardent sur cet important ouvrage dans l'énumération qu'ils font des sources qu'ils ont consultées pour leur histoire, en tête du premier volume imprimé en 1769.
La chronique de Ph. de Vigneulles et celle dite de Praillon, fournissent, comme je l'ai dit, la plus grande partie des matières imprimées par M. Huguenin dans ses Chroniques messines. Cc qu'il y a ajouté a été emprunté à quelques
 
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autres sources originales que j'ai indiquées et sur lesquelles je me bornerai à donner des renseignements succincts.

Chronique du curé de St-Eucaire
(doyen de St -Thiébault).

La chronique du doyen de Saint-Thiébault commence à l'année 1251 et va jusqu'à 1445. Son auteur vivait à cette dernière époque. La partie de sa chronique antérieure au quinzième siècle ne forme guère que le quart de son œuvre. Il a développé surtout l'histoire des faits dont il a été contemporain, de 1420 à 1445, et particulièrement celle du siège de 1444 dont il a écrit un journal détaillé, d'autant plus précieux qu'il offre des variantes avec les récits que Vigneulles et l'auteur de la chronique de Praillon donnent du même fait.
Nous n'avons pas à Metz de manuscrits de cette chronique, sauf un exemplaire incomplet (tronqué à l'année 1438) qui appartenait à la collection Emmery et que je possède aujourd'hui. Les autres manuscrits connus de la chronique du doyen de St-Thiébault, sont au nombre de trois. L'un est à la bibliothèque nationale à Paris (fonds Cangé 122) ; les deux autres sont à la bibliothèque de Nancy (Nos 7 et 8). Les exemplaires de Nancy contiennent une préface dans laquelle l'auteur écrit : « Moy doyen de St-Thiébault, curey de St-Sulpice. » A l'année 1443, il mentionne un fait à l'occasion duquel il dit qu'il est curé de Saint-Eucaire, et à l'année 1442, il raconte la pose de la première pierre d'une chapelle de cette paroisse faite par « maistre Pierre de Sainct Dixier, curé de ladite eglise et archeprebstre de Metz. » Ces trois indications s'appliquent probablement au même personnage. C'est tout ce que nous pouvons dire de l'auteur de la chronique. Philippe de Vigneulles qui la connaissait, la cite sous le titre de : Chronique du curé de St-Eucaire. Un passage où il en parle et qui est imprimé dans le volume

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de M. Huguenin (p. 342, col. 2) pourrait, au premier coup d’œil, induire à penser qu'elle allait jusqu'en 1464 quoique nos exemplaires s’arrêtent à 1445 ; mais en y regardant de plus près, on reconnait que Vigueulles en parlant de la période qui s'étend jusqu'à 1464, dit qu'il en a trouvé l'histoire dans les récits du curé de St-Eucaire et de plusieurs autres. Ainsi nous pouvons nous considérer comme possédant la chronique originale tout entière, D. Calmet l'a publiée dans ses preuves de l'Histoire de Lorraine sous le titre, qui lui est resté, de Chronique du doyen de St-Thiébault ; mais il y a intercalé de nombreux passages empruntés à la chronique des Célestins, malheureusement détruite aujourd'hui.

Chronique de Jehan Aubrion.

Le curé de St-Eucaire avait vu la première moitié du quinzième siècle. La seconde moitié eut pour témoin et pour historien Jehan Aubrion dont le journal va de 1464 à 1501, continué ensuite jusqu'en 1512 par Pierre Aubrion, son neveu. Le manuscrit original est à la bibliothèque impériale de Vienne. En France, nous en possédons trois exemplaires, mais ils sont incomplets. Ils ne commencent qu'à l'année 1476, ils n'ont pas la continuation de Pierre Aubrion et renferment en outre plusieurs lacunes. L'un est à la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, les deux autres sont à la bibliothèque de Metz.
Nos chroniques mentionnent souvent le nom des Aubrion. Dès le milieu du quatorzième siècle, elles nomment plusieurs fois un Jehan Aubrion, aman et membre du paraige de Jurue. Un individu de même nom est maître-échevin en 1401, un autre est chanoine de la cathédrale de Metz en 1403. Cette famille aristocratique dut s’éteindre peu de temps après ; et dans le courant du quinzième siècle, d'autres Aubrion sortis de la commune essayèrent vaine-
 
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ment, grâce à la ressemblance du nom, de prendre la place qu’elle avait laissée vide dans le paraige de Jurue. En 1478 dit la chronique de Praillon, « ... fut portenfué et sentencié par le maistre escheuin, les trese et le conseil que Jehan Aubrion, l'escripvain, filz Hannès de Morhange, le marchant, ne avoit mie à estre escript au paraige de Jurue, pourtant qu'il ne se avoit mie bien et dehuement alignié, selon les atours et ordonnances sur ce faictes pour tel cas. » Il est permis de penser que ce Jehan Aubrion l'escripvain de 1478 est le même que Jehan Aubrion, clerc de l'abbaye de Saint-Vincent qui, en 1468, fut pris par les Français de la garnison de Gorze, en allant recevoir les dîmes de l'abbaye à Dornot. Depuis lors, nous voyons Jehan Aubrion, clerc du palais de Metz en 1483 ; en 1492, il est qualifié « coustumier, homme notable, boin bourgeois et homme éloquent. » La même année Jehan Aubrion, « … procureur en la cité, homme de bon conseil… » figure dans la suite des seigneurs messins qui vont à journée devant l'archevêque de Trèves et les commis de Strasbourg, pris pour arbitres entre le duc de Lorraine et la cité. Il raconte lui-même dans son journal, qu'en 1479 il avait accompagné les ambassadeurs envoyés par la ville de Metz au roi de France. Ces diverses indications forment les traits principaux de l'histoire de notre chroniqueur.
Nous l'aurons assez fait connaître quand nous aurons ajouté ce que Philippe de Vigneulles dit de lui en annonçant sa mort, arrivée en l'an 1501 :
« Eu celluy temps cest assauoir le xe jour d'octobre trespaissait de ce sciecle Jehan Aubrion citains de Mets, lequel en partie fist et composait plusieurs article de ces présentes cronicque. Du moins je Phle dessus dit, ait heu prins le scens de plusieurs mémoire qu'il auoit escript et les ay reduict auec d'aultre comme cy douent aues oy. De la mort duquel fut grant dopmaige ;

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car cestoit ung homme saige et discret et plain de tout bon conseil, et se entremettoit de faire biaucopt de paix et dacord. Il estoit homme de belle présence, bien renommes, grant coustumier et tousiours plain de bonne nouuelle.... » Pierre Aubrion, son cousin, qui a continué son journal dit de plus que son corps « ...est enterez et y ensepuelis en l'eglise parochiale de Sainte-Croix on mitant du cuer à la partie de l'autel Notre-Dame de Pytiez. » Ce que nous savons de la condition de Jehan Aubrion, nous montre qu'il était bien placé pour connaître et apprécier les événements ; ce que disent de lui ses contemporains témoigne de la considération dont il jouissait alors, et prouve l'estime et la confiance que nous devons accorder aujourd'hui à ses récits.

Chronique de Jaicomin Husson,
continuée par N? de Gournay.

Un Jaicomin Husson, contemporain de Jehan Aubrion, a écrit aussi une chronique de Metz, qui va de 1113 à 1518. Il n'est mentionné nulle part et ne parle que fort rarement de lui. Il semble appartenir comme Jehan Aubrion à la commune et paraît avoir vécu dans l'aisance. Sa chronique très succincte offre peu de ressources ; mais ce qui la rend très précieuse, c'est qu'elle a été continuée de 1518 à 1530 par un des fils de François de Gournay, qui nous donne ainsi l'histoire de cinq années postérieures à celle où s'arrête notre dernier chroniqueur Philippe de Vigneulles. Le manuscrit original qui contient la chronique de Jaicomin Hussou et le travail de son continuateur est à la bibliothèque nationale de Paris (Cangé 9861/1). J'en ai vu, en outre, un extrait assez étendu à la bibliothèque d'Epinal (arm. 2, n° 24). La bibliothèque royale de Copenhague possède aussi un manuscrit de la chronique de J. Husson jusqu'en 1518, sans la continuation de N ? de Gournay. Je ne l'ai pas vu et je n'en parle que d'après une description.
 
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Chronique en vers.

Après l'année 1530 toutes nos chroniques s'arrêtent pour le reste du seizième siècle, sauf la chronique en vers à laquelle plusieurs mains ont travaillé successivement pendant cette période. J'ai commencé une étude spéciale sur ce monument extrêmement curieux. Je me contenterai de dire ici que les manuscrits que nous en avons sont très nombreux et présentent entre eux des variantes notables. Cette chronique, écrite en strophes de quatre vers et dont les auteurs sont inconnus, commence avec le récit de la fondation de Metz par les petits-fils de Noë. Elle est composée du rapprochement d'un grand nombre de fragments d'origine évidemment différente, et sa rédaction a été reprise et continuée de siècle en siècle jusque dans le courant du dix-huitième.
Cette chronique a déjà été imprimée deux fois, mais toujours d'une manière incomplète. La première édition donnée par la veuve Bouchard à Metz en 1698, s'arrête à l'année 1471. La seconde édition donnée par D. Calmet, dans les Preuves de l'Histoire de Lorraine, omet tout le commencement de la chronique, qui forme, au contraire, la plus grande partie de la première édition, et elle va jusqu'à l'an 1550. Tout ce qui est postérieur à cette date est entièrement inédit.
La chronique en vers est une œuvre fort imparfaite au point de vue historique, cependant elle est souvent utile à consulter. D'ailleurs, après le premier tiers du seizième siècle, nous n'avons plus qu'elle comme ouvrage suivi. Mais aussi, à partir de cette époque, abondent les pièces originales et même les fragments de mémoires consacrés au récit particulier d'un fait isolé ou d'une courte période. Dans le nombre nous en mentionnerons ici deux seulement, que M. Huguenin a introduits dans ses Chroniques imprimées. Le premier est la chronique de la venue de l'empereur Charles-Quint à Metz, en 1540, le second est le récit du siège de 1552, par Des Chagnatz.

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Chronique de la venue de l’empereur Charles-Quint à Metz en 1540.

La chronique de la venue de l'empereur Charles-Quint à Metz en 1540, est un tableau contemporain du fait qu'il concerne. Le manuscrit original comprend vingt feuillets. Il est conservé à la bibliothèque de Metz (manuscrit 69-4, pag. 120-140). C’est une sorte de journal dans lequel a été intercalée la copie de plusieurs pièces officielles : ordonnances, instructions, discours, etc. M. Huguenin l'a reproduit presque intégralement dans ses chroniques (de la page 840 à la page 860). L'auteur, qui a gardé l'anonyme, réclame, à la fin de son récit, l'indulgence de ses lecteurs ; il leur rappelle que le zèle et l'application n'empêchent pas toujours l'écrivain de fléchir sous le poids de son sujet, et leur dit, en terminant :
« Imprudemment l'expérience en faiz
« En cest traictié : par quoy je n'ose aussy
« Nommeir mon nom, dont suis demeurant icy. »

Journal du siège de 1552, par Des Chagnatz.

Le journal de Des Chagnatz est aussi imprimé dans les Chroniques de Huguenin (de la page 879 à la page 890). Celui-ci nous apprend, dans sa préface, que l'original resté inédit jusqu'à lui, est conservé à Paris, à la bibliothèque nationale1, d'où il en a reçu la communication. Le journal de Des Chagnatz l'œuvre d'un soldat français ; on sent


________________
1 Ephéméride du Siège de Metz, par Des Chagnatz, ms. Petit in-4° sur parchemin, écrit avec le plus grand soin (Bibliothèque nationale, Colbert, 4804). C’est, selon toute apparence, l’exemplaire original exécuté pour être offert au Dauphin, à qui est adressé la dédicace placée en tête de l’ouvrage.
 
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dans quel esprit il a dû être écrit. L'auteur n'y mentionne les messins qu'une seule fois, pour nous apprendre que la plupart furent expulsés de la ville, dés les premières opérations, par le duc de Guise, qui se borna à conserver et à faire enrôler un certain nombre d'artisans dont on pouvait avoir besoin pendant le siège. Ce qu'on voit dans le récit de Des Chagnatz, ce sont seulement des Français enfermés dans la ville et attaqués par des Impériaux. Dans les opérations de la défense, dans la procession même d'action de grâces qui suit la levée du siège, on ne voit que des Français. Peut-être pourrait-on accuser Des Chagnatz de partialité dans cette manière exclusive de présenter les faits, s'il ne nous semblait pas voir ailleurs que des Messins eux-mêmes ne réclamaient pas alors de part à la gloire de la défense de 1552, dont un grand nombre déplorait sans doute le succès, puisqu'elle enlevait à la cité, son dernier espoir d'indépendance.
Pour la partie du seizième siècle sur laquelle nos chroniques sont muettes et quelquefois aussi pour les époques antérieures, M. Huguenin a trouvé de notables secours dans deux ouvrages d'une condition toute particulière. Ce sont des compilations faites au commencement du dix-septième siècle, de matériaux empruntés à des sources de toute espèce : les Annales dites de La Hière et les Observations séculaires de Paul Ferry.

Annales dites de La Hière.

Les annales dites de La Hière sont consignées dans un volumineux manuscrit de la bibliothèque d’Epinal dont nous avons en outre deux copies dues à la plume infatigable du laborieux Dom Robert. L'une de ces copies est à la bibliothèque de Metz (ms. n° 29) ; l’autre qui était dans la collection de M. Emmery a été vendue par sa famille. Le manuscrit original qui se trouve à Epinal, vient de Paul Ferry ; il a

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été acquis en 1773 par D. Jean-François, est passé à l'abbaye de Senones, et de là dans la bibliothèque où il est aujourd'hui. Il comprend 1246 pages, parmi lesquelles beaucoup sont restées blanches, et il est composé d'un certain nombre de cahiers marqués au millésime des années, sur lesquels on devait rapporter les faits d'après toute espèce de sources, à mesure qu'ils se présentaient.
Sur le premier folio, Paul Ferry a écrit le titre suivant, qui explique comment l'ouvrage a été composé : « Annales de Metz, tirées des escripts de feu le sieur Simon La Hière, et qu'il avait recueillie de divers autheurs et par luy adjoustées en quelques endroits sur.... anciens roolles des Euesques et Maistres escheuins de Metz. Accrues de ce qui se trouvera adjousté de ma main, de luy mesme y et d'autres. »
De ces indications, il résulte que le rédacteur de ces annales y a réuni des travaux du même genre, faits par Simon La Hière, d'après diverses sources, et que Paul Ferry y a ajouté plusieurs choses qu'il a empruntées aux écrits du même La Hière et à d'autres. En effet, le manuscrit d'Épinal contient quelques passages de l'écriture de Paul Ferry.
Le soin que l'écrivain a eu d'indiquer, surtout dans la première moitié du volume, les auteurs auxquels il faisait des emprunts, nous permet de nous faire une idée plus complète de son ouvrage. Parmi ces auteurs nous remarquons : Tacite, Crusius, Sigebert de Gemblours, Petrus de Natalibus, Tritheim, la Chronique de Cologne, Abbas Uspergensis, Flodoart, Munster, Kyriander, Baronius, Wassebourg, Rozières, Chartier, Aubrion, Vigneulles, Praillon, Craye, et surtout les recueils de Simon La Hière.
Nous ne savons, malheureusement, pas grand chose de ce Simon La Hière ; et ses recueils, qui semblent avoir été fort précieux, sont depuis longtemps perdus.
Simon La Hière était contemporain et ami de Paul Ferry.
 
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Une note de M. Emmery, que j'ai vue parmi ses papiers, nous apprend qu'il avait écrit des vers à la louange du célèbre ministre, sur un exemplaire d'un ouvrage de controverse de ce dernier, qui le lui avait adressé avec la dédicace suivante : « Doctissimo juris que peritissimo viro domino Simoni La Hière Reipubl. Médiom. consiliario dignissimo atque integerrimo hoec ut studiorum suorum segmenta sic et amoris honoris que argumenta D.D. Paulus Ferrius author. »
Nous voyons, par là, que Simon La Hière exerçait une charge municipale à Metz au commencement du dix-septième siècle. Ajoutons l'indication suivante que Paul Ferry a placée dans ses Observations séculaires (xvie. s. 561) : « Le sieur Simon La Hière dit Simonin de Gorze, parce qu'il y en estoit, fils de la femme du sieur Jean Humbert dit le Bonhomme et de son premier mary. » Cette note est écrite en marge de l'extrait d'un compte de paiements, faits de 1589 à 1601, pour ledit Simon par son beau-père Jean le Bonhomme. Ce dernier est mentionné en 1570 avec la qualification de marchand, fils de Jean Humbert dit le Bonhomme le boucher de porte Muzelle, et d'autres renseignements donnent lieu de croire qu'il était protestant.
Simon La Hière adressant des vers à Paul Ferry, qui lui envoie ses livres en le saluant du titre de savant, devait être un homme d'un esprit cultivé. Ce que nous trouvons çà et là de renseignements sur ses recueils, prouve qu'ils formaient une riche collection composée de copies et d'originaux, rangés non pas chronologiquement, mais probablement dans l’ordre où l’acquisition en était faite, et classés au moyen d’un système de pagination générale que Paul Ferry, dans les nombreux emprunts qu’il lui a faits, cite en donnant des chiffres quelquefois très élevés comme pag. 3152, pag. 4099, etc.
On peut inférer de là, que la collection était considérable.

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Les mêmes indications montrent que sa composition était très variée. Les pièces qu'elle comprenait sont tirées des archives de la cité et de celles des particuliers ; ce sont des lettres et messages politiques, des instructions pour les ambassadeurs, des traités, des règlements, des pièces de comptabilité, des conventions particulières, des actes d'amans, des généalogies, etc. Je trouve une note de la main de Paul Ferry, ainsi conçue en tête d'un petit travail généalogique, sur la famille de Gournais : « De la maison des Gournais, tiré des mémoires de La Hière en sa chronicq. mss. des maistres escheuins sur l'an 1230. » Peut-on conclure, de là, que La Hière ne se bornait pas à réunir des pièces, mais qu'il les étudiait et qu'il écrivait des mémoires ? Nous avons déjà vu, tout à l'heure, qu'il avait fait des extraits de divers auteurs, pour en composer des annales.
Pour achever de dire tout ce que nous avons pu réunir sur ce personnage oublié, nous ajouterons qu'il paraît avoir été quelque peu l’aîné de Paul Ferry, puisque son beau-père faisait déjà des paiements pour lui en 1589. A mourut aussi avant lui, et il semble que c'est entre les mains de ses héritiers que le savant ministre a trouvé, vers 1650, ses manuscrits, quand il les a consultés. En plusieurs endroits il les signale par des notes analogues aux deux suivantes que j'ai recueillies, parce qu'en même temps elles nous fournissent quelques nouveaux renseignements sur la famille de La Hière. Paul Ferry dit quelque part : « ... Copié sur l'original qui est ez recueils du sieur Simon La Hière, depuis la pag. 4065 jusqu'à la pag. 4098 incluse, qui sont entre les mains du sieur Daniel le Bonhomme, frère dudit La Hière. » Ailleurs il a écrit : « Au roolle des Maistres Escheuins de Metz, escrit de la main du sieur Simon La Hière qui est en ses recueils ou mémoires (qui m'ont esté prestés par le sieur Paul Feriet laisné, aduocat, petit-fils de la sœur dudit La Hière)…. »
 
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Voici donc, en résumé, ce que nous savons de Simon La Hière. Il était originaire de Gorze, et devait à cette circonstance le surnom de Simonin de Gorze. Avant 1589 il avait perdu son père et avait vu sa mère épouser, en secondes noces, Jean Humbert dit le Bonhomme, le marchand, fils d'un boucher de Metz. Il était sans doute encore fort jeune alors, puisque jusqu'en 1601 c'était son beau-père qui s'occupait de la gestion de ses affaires. Il y a lieu de penser qu'il était protestant ainsi que le reste de sa famille qui, sans doute, tenait un rang distingué dans la bourgeoisie messine. Quant à lui, il devait jouir d'une certaine considération ; il connaissait le droit et passait pour savant. Au commencement du dix-septième siècle il portait un des offices municipaux de la cité. Il figure parmi les membres de l'assemblée du grand conseil qui, en 1613, ordonna l'impression de la coutume de Metz ; en 1617 il est encore de l'assemblée qui s'occupe de sa révision. Sa mère lui avait donné un frère du second lit qui lui survécut. Il avait aussi une sœur qui avait épousé un Feriet.
L'époque de sa mort nous est inconnue, mais elle doit être probablement antérieure à 1650 ; elle a précédé ainsi d'environ vingt années celle de Paul Ferry, avec qui il avait noué de bonne heure des rapports d'amitié.
Revenons aux Annales. Ce qui précède nous fait voir que c'est une compilation dans laquelle doivent se rencontrer, et des extraits d'historiens, et des copies de pièces originales, rangés chronologiquement. Ces Annales commencent avec l'ère chrétienne ; elles sont riches de faits, surtout jusqu'au premier quart du seizième siècle ; mais, à partir de cette époque, quelques années ne sont même plus représentées dans la série. Pour 1557, le manuscrit ne donne que le nom des magistrats, après lesquels il ne contient plus que deux courts articles, l'un pour 1598, l'autre pour 1609.

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Observations séculaires de Paul Ferry.

Les Observations séculaires de Paul Ferry forment un ouvrage du même genre, mais beaucoup plus considérable que celui dont il vient d'être question. C'est aussi une compilation de matériaux historiques empruntés à des sources de toutes sortes, histoires, chroniques, pièces originales, inscriptions, etc. Ici les matières ne sont pas arrangées par années, mais par siècles, à chacun desquels est consacré un cahier où l'auteur transcrivait tous les documents qu'il pouvait recueillir à mesure qu'il les rencontrait. Cette collection immense, dans laquelle nous trouvons la copie d'une foule de pièces aujourd'hui perdues, ne comprend pas moins de trois gros volumes in-folio, couverts de l'écriture fine et serrée de Paul Ferry. Ces précieux manuscrits conservés longtemps dans la famille du célèbre ministre en étaient sortis à la fin du dernier siècle. Dom Jean François les avait achetés en 1773 ; après lui ils étaient passés en diverses mains jusqu'à l'acquisition que la ville en fit à la vente de la collection de M. Teissier, ancien sous-préfet de Thionville, qui les possédait. Quelques passages des Observations séculaires montrent que Paul Ferry avait entrepris ce travail pour se préparer à écrire une histoire de Metz. Combien on doit regretter que ce savant homme n'ait pas réalisé ce projet, et quelle idée ne doit-on pas se faire de ce qu'aurait été l'œuvre par l'importance des préparatifs ! Tel qu'il est, l'ouvrage de Paul Ferry est une des sources les plus riches à consulter pour notre histoire. Il se compose, comme je l'ai dit, de trois volumes in-folio : les deux premiers renferment l'ensemble des notes historiques depuis le premier siècle de l'ère chrétienne jusqu'au commencement du dix-septième ; le troisième est consacré à des tables parfaitement faites, qui donnent tout son prix à la collection , en permettant de la consulter facilement.
 
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Paul Ferry était déjà avancé dans sa carrière quand il commença cet ouvrage important ; quelques indications fournies par le livre lui-même, semblent indiquer qu'il l'exécuta entre 1645 et 1657. L’Histoire des évêques de Metz, de Meurisse, était publiée déjà depuis dix ans, et Paul Ferry paraît s'être proposé de combattre les opinions de l’évêque de Madaure sur la puissance temporelle des évêques dans la ville de Metz. On voit aussi, par ses notes, que l'histoire religieuse devait tenir une grande place dans son œuvre. Le soin avec lequel les atours de la cité sont transcrits et analysés par lui, montre enfin que nous y aurions trouvé un tableau instructif de nos institutions civiles incomplètement connues encore aujourd'hui. Dans ses Observations séculaires, Paul Ferry indique avec beaucoup de détails l'origine des documents qu'il y a réunis. Nous pouvons, grâce à cette précaution, nous faire une idée des ressources qu'il avait à sa disposition et qu'il nous a conservées ; il peut être utile d'en donner un aperçu.
Pour les premiers siècles, du premier au douzième inclusivement, Paul Ferry n'a guère trouvé d'autres documents que ceux qui lui étaient fournis par les ouvrages d'histoire générale ou étrangère. Il y a joint un petit nombre de renseignements empruntés à Meurisse et à Wassebourg, à la chronique des évêques de Metz, à la chronique en vers, à celle d'Ennery, à celle de Philippe de Vigneulles et aux Annales de La Hière.
Pour les treizième, quatorzième, quinzième et seizième siècles les sources originales de l'histoire messine fournissent à l'auteur d'abondantes richesses. De toutes parts lui arrivent les documents, les mémoires, les titres. Des collections déjà importantes sont mises à sa disposition. Il faut citer au premier rang celle de M. Praillon, lieutenant-général au bailliage, Passée à la mort de ce dernier, entre les mains de M. Kolb de Wartemberg, ami de Paul Ferry. Celui-ci trouve là les grandes

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chroniques de Metz qui sont aujourd'hui à Epinal (chronique dite de Praillon) ; une chronique des évêques ; une chronique des maîtres-échevins ; un livre contenant les lettres scellées de la volte au grand moutier (archives de la ville) ; un recueil d'atours ; un exemplaire du Garin Loherain qui venait de la famille de Heu, et dont le chancelier Séguier fit plus tard l'acquisition ; enfin les mémoires du sieur Praillon.
Dans la collection de Simon La Hiere, Paul Ferry trouve les mémoires de ce dernier ; ses additions à la chronique de Ph. de Vigneulles et à celle des maîtres-échevins ; enfin ses précieux recueils, immense collection de pièces originales et de copies ; et un extrait du trésor des chartes de la cité.
La collection du sieur Craye, avocat, fournit des mémoires ; un recueil relié contenant des chroniques et des documents de diverses natures ; une chronique sur l'an 1553 ; une collection d'anciens jugements recueillis en 1471, par Ph. Dex.
La collection de M. d'Hauconcourt, ancien secrétaire de la cité, comprenait un grand nombre de papiers que ses fonctions avaient mis entre ses mains ; un cahier des droits de la cité ; un livre des atours, écrit sur parchemin ; un autre livre écrit par Gerard Tannaire, ancien secrétaire de la ville.
Les vieilles arches des amans de Saint-Marcel, de Saint-Eucaire, de Saint-Victor, de Saint-Médard, de Saint-Gengoulf s'ouvrent pour le laborieux collecteur qui y transcrit un grand nombre de pièces des treizième, quatorzième et quinzième siècles. Il obtient de même l'accès de l'arche de Mme de Pommery ; puis de l'arche des de Heu, chez Mlles d'Orthe, derniers représentants de cette antique famille, qui lui en communiquent aussi une vieille généalogie.
Citons encore, parmi les sources auxquelles Paul Ferry a puisé : un rôle de amans ; de vieux comptes de recettes de la cité au quinzième siècle ; le livre des atours de l'hôpital Saint-Nicolas ; le livre des bienfaiteurs de cette maison ; le
 
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premier registre des baptêmes de l'église réformée de Metz, de 1561 à 1566 ; les mémoires et recueils du Président de Batilly ; les mémoires de Jeh. Girard dit de Saint-Mihiel, arpenteur-juré de la ville de Metz ; les extraits du sieur Pied, secrétaire et greffier de l'hôtel de ville ; les titres du coffre des chapeliers ; ceux communiqués par M. Gauvain, de la part de M. Ernest de Montigny ; d'autres par M. Ferriet aman ; d'autres par M. de Saussure ; un sac de pièces relatives à l'abbaye de Gorze.
N'oublions pas la vie de Philippe de Vigneulles, écrite par lui-même ; sa chronique qui appartenait à un de ses descendants, beau-frère de Paul Ferry ; la chronique en vers ; celle de Duclos, concernant le milieu du seizième siècle ; un cahier de jugements de la main de M. Dubois ; enfin, la collection de l'auteur lui-même, et ses ouvrages antérieurs qu'il cite dans ses Observations séculaires.
Ces ouvrages de Paul Ferry sont sa chronologie, son long recueil, ses mélanges, son extrait du trésor de la ville, son extrait des papiers de M. d'Hauconcourt. Sa collection comprenait ce qu'il appelle ses liasses, contenant un grand nombre de pièces originales des treizième, quatorzième, quinzième et seizième siècles ; les titres de feu son père ; ses titres sur Coing ; les papiers de Mont ; les lettres de M. Berneggher, secrétaire de Strasbourg, qui lui avait adressé un grand nombre de documents puisés dans les archives de cette ville, et relatifs à l'histoire de la réformation, à Metz, pendant le seizième siècle. Paul Ferry cite aussi, comme lui appartenant, un recueil d'atours sur papier ; une chronique de Metz allant jusqu'en 1523 ; un cahier d'observations sur les ordonnances de 1564 ; un cahier sur l'histoire de la guerre au seizième siècle ; un cahier qui lui vient de M. Duvivier, sur les années 1551, l552 ; des mémoires écrits en 1555, contre le cardinal de Lenoncourt ; un fragment de chronique de 1531 ; la chronique d'Ennery.

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Je ne rappelle que pour mémoire les ouvrages imprimés d'histoire auxquels Paul Ferry emprunte, en outre, un grand nombre de passages.
On me pardonnera cette longue et sèche énumération en faveur du travail aride de dépouillement qu'elle m'a coûté, et du but que je me suis proposé de donner ainsi, le plus succinctement possible, une idée des Observations séculaires de Paul Ferry, et du parti que nous pouvons en tirer aujourd’hui. Je n'ai rien à ajouter pour en faire comprendre toute l'importance.
Que dirai-je davantage de leur célèbre auteur ? Je n'ai pas besoin, pour donner crédit à son œuvre, d'insister sur son profond savoir, sur sa consciencieuse application. Je ne veux pas faire non plus sa biographie ; je rappellerai seulement que, né en 1591, ministre à Metz dès 1612, il vit sa longue et laborieuse carrière se développer toute entière dans sa ville natale ; que marié deux fois, il eut pour première femme une arrière-petite fille de notre célèbre chroniqueur Philippe de Vigneulles, dont la famille, devenue riche, était alors une des plus considérables de Metz. Paul Ferry a laissé d'immenses travaux dogmatiques et historiques ; la collection de ses sermons entièrement écrits de sa main, était énorme ; nous l'avons vue encore complète dans la bibliothèque de M. Emmery ; et pourtant ces grands ouvrages lui laissèrent le temps de suffire aux devoirs d'une correspondance considérable, et même aux exigences d'une gestion compliquée d'intérêts nombreux de famille et de fortune. Paul Ferry est mort en 1669.

Mémoires de Tavannes, de Fr. Rabutin, etc.

J'aurai dit tout ce que je sais des sources originales consultées par M. Huguenin pour la composition de ses Chroniques, quand j'aurai ajouté qu'il a pris dans les mémoires déjà
 
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connus de Tavannes et de François de Rabutin deux passages relatifs à l'occupation de Metz par les Français en 1552, qui sont, comme je l'ai déjà dit, imprimés en notes à la page 867 de son volume. Il a fait aussi quelques emprunts à la liste des maitres-échevins de Metz et à deux ouvrages imprimés : les antiquités de la Gaule-Belgique, par Vassebourg et les Preuves de l'histoire de Metz, par les Bénédictins.

Les Chroniques de Metz, par M. Hugnenin.

Il nous reste à voir de quelle manière M. Huguenin a employé dans son livre les documents originaux que lui fournissaient les ouvrages dont nous venons de parler. Les Chroniques de Metz, de M. Huguenin, n'ont été livrées au public que six mois après la mort de leur auteur ; cependant il avait pu en suivre, jusqu'au bout, l'impression. La commission chargée, par le conseil municipal et par l'Académie, d'en surveiller la publication, l'annonce au public par une lettre datée du 15 juin 1838, dans laquelle nous lisons ce témoignage honorable : « Cette œuvre, fruit d'une patience et d'une érudition peu communes aujourd'hui, était entièrement achevée ; la dernière feuille était entre les mains du modeste et savant professeur, qui corrigeait et collationnait lui-même chacune des épreuves avec une incroyable fidélité et le soin le plus minutieux, lorsqu'une maladie aiguë l'a enlevé tout-à-coup, sans lui laisser le temps d'offrir son travail à ses concitoyens. » M. Huguenin était mort le 28 janvier précédent. Il avait commencé, pour son livre, une préface restée inachevée et qui a été imprimée dans l'état où il l'a laissée. Cette préface devait être, à ce que nous a dit M. Huguenin jeune, suivie d'une introduction dans laquelle aurait été tracé le tableau historique des premiers siècles, dégagé des récits fabuleux que nos chroniqueurs y ont introduits. Enfin un glossaire devait accompagner

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l'ouvrage. Ces lacunes comblées, le volume des Chroniques eût été complet, et tel que son auteur le voulait. On voit qu'il s'est efforcé de lui donner l'unité en faisant disparaître, dans une disposition uniforme, la trace des œuvres originales ; ce n'est pas la publication de ces anciens monuments, c'est un monument nouveau, qu'il prétendait faire. C'est à ce point de vue qu'il faut considérer son ouvrage pour le juger équitablement. Si nous nous plaçons ici sur un autre terrain, c'est que nous y trouvons avantage pour nous ; c'est que nous pensons qu'il y a plus de profit à tirer du livre de M. Huguenin, pour l'étude de notre histoire, en y cherchant des témoignages originaux, qu'en se contentant d'y voir les siens propres.
Nous allons donc tâcher de retrouver dans l'œuvre de M. Huguenin celles de ses devanciers. Nous avons dit que pour donner plus d'unité à sa composition, il s'est abstenu de toute indication sur ses sources. A cette assertion nous ferons une réserve pour signaler trois endroits seulement où il s'est accidentellement écarté de cette règle ; premièrement, page 58, pour marquer le commencement de la chronique dite de Praillon, à l'année 1323 ; secondement, page 286, col. 2, ligne 7, pour mentionner l'origine d'un passage appartenant à la chronique de Philippe de Vigneulles ; troisièmement, enfin, page 852, pour indiquer le point où s'arrête cette dernière chronique. Je ne parle pas de quelques notes qu'il a ajoutées à son texte pour y placer des passages dont il mentionne l'emprunt fait à la chronique en vers, aux Observations séculaires de Paul Ferry, aux mémoires de Tavannes et de Rabutin.
Cc qui a conduit M. Huguenin au système de composition qu'il a adopté, c’est, il nous le dit lui-même, le désir d'éviter les répétitions quand le même fait est rapporté dans plusieurs chroniques, et de compléter la suite du récit quand l'une peut suppléer au silence de l'autre. Il a amené ainsi à imprimer successivement des passages provenant d'origines
 
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Diverses. A cette occasion nous ferons remarquer qu'il passe souvent jusqu'à cinq ou six fois d'un auteur à l'autre dans la même page. Sa première intention était, dit-on, de signaler à chacun de ces changements la source nouvelle à laquelle il s'adressait ; mais il paraît qu'il fut arrêté dans la réalisation de cette pensée, par la crainte de surcharger son livre d'annotation d'un effet désagréable. Cependant il n'eût pas suffi, il ne suffirait pas encore aujourd'hui de rendre à chaque source le fragment qui lui appartient, car les passages originaux ont, en outre, reçu presque tous de notables modifications dont il faut tenir compte. Ces modifications ont eu lieu de trois manières :
1° Par l'altération de l'orthographe et le rajeunissement du style des textes primitifs ; 2° par des lacunes dans les versions originales ; 3° par des intercalations de passages étrangers qui y sont introduits.
En changeant l'orthographe et, quelquefois, les expressions employées par les vieux écrivains, M. Huguenin se proposait, dit-on, de rendre son livre plus agréable au public en lui en facilitant la lecture ; il paraît qu'en adoptant ce parti il ne fit que céder à des avis peu éclairés qui lui furent adressés à cet égard pendant qu'il préparait ses matériaux. Quant aux lacunes, elles ne devaient primitivement comprendre que les récits que nos chroniqueurs font incidemment de faits étrangers à la cité et à la province. Plus tard, des considérations d'économie engagèrent encore l'auteur à faire le sacrifice d'un certain nombre de passages contenant des traits de notre histoire propre, qu'il jugeait être les moins importants, et qu'il supprimait pour resserrer l'étendue de sa publication. Enfin, un grand nombre de lacunes plus on moins étendues ne sont que des modifications de style. Les intercalations dérivent de la pensée qu'il eût, dès l’origine, de faire concorder ensemble les récits des divers chroniqueurs, et de la compléter les uns par les

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autres. Quelquefois les passages intercalés sont assez étendus pour être rapportés à un véritable emprunt capable d'être signalé d’une manière distincte, mais souvent aussi ils ne consistent qu'en un ou deux mots, ou en membres de phrases très courts, difficiles à isoler à cause de leur peu d'importance ou de leur brièveté. Ces intercalations, faites avec adresse, commencent et s'arrêtent souvent au milieu même des phrases. La plupart du temps il aurait été très difficile de les constater sans le secours des manuscrits eux-mêmes de M. Huguenin, qui étaient primitivement, comme je l'ai dit, des copies fidèles des deux grandes chroniques sur lesquelles il a établi son texte, et qui portent la trace matérielle des diverses modifications qu'il y a introduites. Ces intercalations, on le comprend, même les plus indifférentes en apparence, ne sont jamais complètement insignifiantes. Dans le nombre il en est quelques-unes qui pourraient tromper d'une manière fâcheuse le lecteur, en le portant à attribuer quelque fois à un auteur, un texte appartenant à un autre. Ainsi, par exemple, il est difficile de ne pas tomber dans une erreur de ce genre quand on lit (p. 568, col. 1, lig. 14) après un récit de plusieurs pages appartenant à la chronique dite de Praillon, la phrase suivante, empruntée à Vigneulles : « Et moy Philippe de Vigneulle escripvain de ces présentes vis touttes ces choses …. etc…. » Il est difficile aussi de reconnaître (page 500, col. 1, lig. 46) la même chronique dite de Praillon, écrite vers le milieu du seizième siècle, dans le récit détaillé d'un événement arrivé en 1489, au milieu duquel sont intercalés les mots suivants empruntés au récit d'un contemporain : « Et moy je le vis... » Les intercalations de ce genre sont assez nombreuses, outre les deux précédentes, j'en ai relevé plusieurs autres (pag. 341, 342, 433, 453, 458, 510, 513, 601).
Les copies de M. Huguenin sont faites avec beaucoup de soin et ordinairement fort exactes. Cependant, comparé aux
 
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versions primitives, son texte imprimé permet de reconnaitre quelques erreurs. J'en ai relevé un petit nombre, uniquement comme constatation du fait, et pour prouver qu'une révision détaillée pourrait ne pas être sans résultat.
Il nous reste à parler de la distribution générale des originaux dans le volume imprimé. Après la préface empruntée au premier livre de Philippe de Vigneulles, M. Huguenin passe immédiatement au chapitre 128 de ce livre, et en quelques lignes il arrive aux faits qui se sont accomplis à la fin du dixième et au onzième siècle. Il est loin de compte, on le voit, avec Vigneulles qui remontait jusqu'au déluge. Il parait que primitivement M. Huguenin avait pensé à donner un tableau des premiers récits du naïf chroniqueur, en imprimant l'analyse que Baltus en a faite dans son extrait. Parmi ses papiers se trouve une copie de cette analyse, avec la note suivante rédigée, comme on le voit, pour accompagner cette publication : « Le commencement de ces chroniques n'étant qu'un tissu de traditions fabuleuses et souvent absurdes, entremêlées de digressions non moins ridicules, nous avons cru pouvoir le supprimer avec d'autant plus de raison qu'il renferme beaucoup de hors d'œuvres qui auraient lassé la patience du lecteur sans le dédommager par le moindre intérêt : en effet, la vérité de l'histoire, la chronologie et le bon sens y sont blessés à chaque pas. Cette analyse que nous empruntons, à l'excellent extrait des chroniques de Vigneulles, par Baltus, ne doit être considérée que comme une entrée en matière. » M. Huguenin se ravisa ensuite et il commença son ouvrage sans nous donner cet aperçu des traditions admises au seizième siècle par les Messins sur les origines de la cité. Nous avons dit que son intention avait été de tracer l'histoire des premiers siècles dans une introduction qu'il n'eut malheureusement pas le temps d'écrire.
Jusqu'à l'année 1323 M. Huguenin suit exclusivement la

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chronique de Philippe de Vigneulles à laquelle il se borne à faire de nombreux retranchements. De 1323 à 1497 sa trame principale est fournie par la chronique dite de Praillon dans laquelle il ne laisse pas que d'intercaler beaucoup de passages appartenant à Vigneulles, aux annales de La Hière, au doyen de Saint-Thiébaut et à Aubrion. Pour cette période la préférence à accorder à la chronique dite de Praillon était indiquée par la supériorité de ses informations et de sa critique, ainsi que par les développements plus détaillés de son récit. Cependant elle cède de temps en temps ce dernier avantage à Philippe de Vigneulles à qui M. Huguenin emprunte alors son texte. Dans ce cas, le choix entre les deux auteurs est naturel. Dans d'autres il est plus embarrassant. Les deux versions ne présentent pas toujours de simples différences de rédaction, elles sont souvent aussi en contradiction entre elles, quelquefois sur des points extrêmement précis, sur la chronologie par exemple. L'étude de ces deux grands ouvrages démontre qu'ordinairement c'est la chronologie de Praillon qu'il faut adopter. M. Huguenin suit tantôt l'une tantôt l'autre. Il est regrettable que la nature de sa composition ne lui ait pas permis de dire quelles raisons déterminaient son choix, d'autant plus que parfois il semble difficile à justifier. Citons un exemple : A la fin du quatorzième siècle, deux amans de Metz, sont reconnus coupables de faux et sont bannis. Cette aventure est racontée avec quelques détails par Philippe de Vigneulles et par l'auteur de la chronique de Praillon, mais le premier rapporte le fait à l'an 1598 et le second à l'an 1400. Le dernier ajoute de plus, à l'autorité de son récit, le témoignage des pièces originales ; il écrit en marge : « Querez enz cronicque des Dex et on rolle de parchemin. » On ne s'étonne pas de voir M. Huguenin, déterminé, sans doute, par cette circonstance, lui prendre comme au mieux informé le texte qu'il imprime. Mais en même temps, par une contradiction
 
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apparente, c’est la date donnée par Vigneulles, qu’il préfère, et il place sous l'année l398, qui est celle de Vigneulles, la version donnée sous l'année 1400 par la chronique dite de Praillon. Comme nous l'avons dit, le texte de la chronique de Praillon domine dans les Chroniques de M. Huguenin de 1323 à 1497. Jusqu'en 1452 il n'est guère modifié que dans son orthographe rajeunie ; mais à partir de cette époque il est soumis à une foule de rectifications, de suppressions, et d'intercalations qui lui ôtent beaucoup de son originalité. Avant de quitter la chronique dite de Praillon, tronquée en 1497, disons que la plupart des lacunes que M. Huguenin y a laissées, concernent des faits étrangers à l'histoire de Metz. Il est permis, cependant, de regretter qu'il ait omis aussi, dans le nombre, plusieurs passages fort intéressants relatifs aux guerres de Lorraine, de Bar, de Vaudémont, de Commercy, de Verdun, etc., pendant la première moitié du quinzième siècle.
Après 1497, il faut renoncer aux précieux renseignements fournis depuis 1323 par la chronique dite de Praillon, mutilée à cet endroit. De 1497 à 1525 M. Huguenin revient à Ph. de Vigneulles qui va jusqu'à ce dernier point. Il y intercale de nombreux passages du journal de Jehan Aubrion jusqu'en 1500, et des Annales de La Hière à partir de cette époque. Nous ne pouvons nous empêcher de regretter aussi les nombreuses lacunes que M. Huguenin a cru devoir laisser dans le texte de Vigneulles, tant pour les époques antérieures, que pour celle dont il a été contemporain. J'ai relevé jusqu'à 1500 l'indication d'environ soixante-dix de ces passages les plus importants, restés inédits. De 1500 à 1525 il y en a beaucoup encore qui sont omis dans les Chroniques imprimées, et dont la connaissance serait pleine d'intérêt. La plupart sont relatifs aux guerres des français et des impériaux dans le pays, de 1521 à 1525 ;

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d'autres concernent l’hérésie de Martin Luther, d’autres enfin contiennent des anecdotes, des traits de mœurs instructifs par les nombreux détails de tous genres qu’ils renferment, et d'autant plus curieux que c'est un témoin oculaire qui les raconte.
Enfin, en 1525, la chronique de Ph. de Vigneulles s'arrête à son tour. Jusqu'en 1530 M. Huguenin trouve encore quelques secours dans la chronique de N... de Gournay, continuation, assez succincte du reste, de celle de Jaicomin Husson. De 1550 à 1552, point auquel il s'est arrêté, il n’a plus guère d'autre guide que les Annales de La Hière. Aux emprunts nombreux qu'il lui faits il entremêle des fragments tirés des Observations séculaires de P. Ferry et d'une ancienne liste des maîtres-échevins de Metz, qui m'a paru être celle qu'on trouve dans le manuscrit n° 81 de la bibliothèque de la ville.
Dans cette dernière période de 1550 à 1552, M. Huguenin a introduit quelques strophes de la chronique en vers, deux passages des Mémoires de Tavannes et de Rabutin sur l'année 1552, et de plus, deux documents importants dont nous avons parlé précédemment : La chronique de la venue de Charles-Quint à Metz en 1540, et le journal du siège de 1552 par Des Chagnatz.
Enfin l'éditeur du livre y a joint un fac-similé d'un plan de Metz publié à Paris en 1553 par Estienne, avec la première édition de l'histoire du siège de 1552 par Salignac. A ce fac-similé sont jointes deux pages d'une légende très curieuse qui accompagnent le plan original, le plus ancien que nous possédions de notre ville.
Je viens d’indiquer succinctement la distribution des ouvrages originaux dans le livre publié par M. Huguenin. Les renseignements de cette nature sont souvent utiles à ceux qui consultent les sources historiques. Pour les rendre plus précis, j'ai dressé une table de concordance dans laquelle
 
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sont placés en regard, l'indication de chaque paragraphe du texte imprimé et celle du fragment original qu’il reproduit. Il n'y manque plus aujourd'hui que les renseignements relatifs à trois passages, peu étendus au reste, dont je n'ai pas encore pu déterminer l'origine. Je ne désespère pas de trouver, à la longue, la source à laquelle ils ont été empruntés, et de compléter ainsi un travail dont j'ai déjà éprouvé l'utilité en mainte circonstance, et qui sera, je l'espère, accueilli avec bienveillance par ceux qui étudient notre histoire1.



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1. Mon intention est de publier ma table de concordance quand j'aurai pu la compléter. Pour hâter ce moment, je donne ici l'indication des trois passages du texte imprimé dont je n'ai pas encore trouvé l'origine, et j'invoque le secours obligeant de ceux qui pourraient me donner quelques indications à leur égard :
1° Passage relatif aux mesures prises à Metz, sur la fausse nouvelle que le roi Louis XI va venir attaquer la cité (1465).
Incip. : « Environ l'ascension……. » Page 344 ; col. 1, ligne 20 du vol. impr.
Desin. : « … Sans rien payer aux portes. » Page 344, col. 1, ligne 42 du vol. impr.
2° Passage relatif à la procession faite en action de grâces de la victoire sur les Lorrains (1475).
Incip. : « Le vendredi devant les palmes.... » Page 421, col. 2, ligne 10 du vol. impr.
Desin. : « ....Qui estoit liseur des Cordelliers. » Page 421, col. 2, ligne 15 du vol. impr.
3° Passage relatif à Gertrude Chaverson , première femme de Renalt le Gournais (1498).
Incip. : « Lequel Renalt avoit ja heu.... » Page 625, col. 1, ligne 23 du vol. irnpr.
Desin. : « … Fille seigneur Jehan Chaversson. » Page 625, col. 1, ligne 25 du vol. impr.

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