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NOVEMBRE 1490

Une prise d'otages au XVe siècle

Mlle Barthel, archiviste de la ville, vous emmène une dernière fois faire un petit voyage dans le temps jusqu'en 1490, grâce aux chroniques de Jehan Aubrion, Jacomin Husson et Philippe de Vigneulles.

Il arrive que l'actualité rejoigne le passé, même à cinq siècles de distance, et le XXe siècle n'a pas inventé les prises d'otages, à des fins politiques ou financières. Le chroniqueur Philippe de Vigneulles en fut victime en novembre 1490. Voici un résumé de ses mésaventures.
Au retour d'un voyage à Naples et dans les Flandres, le jeune Philippe Gérard, 19 ans, fils du maire de Vigneulles près de Lorry, passe son temps joyeusement et songe à se marier « hantant les fêtes et autres ébattements, prenant joyeuse récréation, comme jeunes amoureux font ».
Mais ses biens et ses succès font des envieux. Aussi cinq ou six « mauvais garçons » s'introduisent-ils une nuit dans la maison et enlèvent-ils le père et le fils afin de les vendre pour 1.000 florins à deux hommes d'armes, anciens mercenaires messins, sans emploi depuis la fin de la guerre entre le duc de Lorraine et la cité au mois de juin. Les deux hommes sont attaqués dans leur lit, frappés et traînés à moitié nus hors de la maison dans la nuit du 3 au 4 novembre 1490. A pied et à cheval, ils sont conduits ainsi en forêt de Briey, puis au château de Chauvencv près de Montmédy, château dont le capitaine est complice de leurs ravisseurs. Les yeux bandés ils sont conduits dans une pièce au sommet d'une tour dont les fenêtres ont été murées à l'aide de planches et de pierres.
Après 12 jours d'emprisonnement, les brigands leur réclament 3.000 écus en rançon. Les deux hommes ont bien tenté de s'échapper par les fenêtres démurées en cachette, et en nouant leurs draps, mais le père est tombé et s'est cassé la jambe. Ils sont repris, frappés, reconduits dans leur prison. Le père est soigné par un barbier du village et le fils attaché par un fer au pied de son lit.
Pendant ce temps, les premiers larrons ayant reçu moins d'argent que prévu dénoncent les seconds et la famille de Philippe entreprend la justice. Requête est faite au duc de Lorraine dont dépend le château de Chauvency, mais le capitaine du château prétend avoir rendu à ceux qui les avaient amenés « les deux pauvres pèlerins » qu'il avait momentanément hébergés.
Le temps passe. Au début de février 1491, le père, dont la jambe est guérie, est libéré, afin de rassembler et faire parvenir aux soudards une rançon de 1.000 florins d'or. La vie de son fils est évidemment menacée. La rançon doit être portée dans un délai de 12 jours près de la chapelle de Notre-Dame de Mancz, en terre de France et cachée entre deux pierres, après qu'une croix ait été tracée à la craie sur la porte de la chapelle. Le malheureux père tente de rassembler la somme en empruntant à ses frères, mais ceux-ci préviennent la justice de Metz, qui interdit au père de verser la rançon. Ce dernier entreprend de nouvelles démarches auprès du duc de Lorraine et de l'évêque de Verdun. Les seigneurs messins en effet, ne peuvent intervenir à Chauvency, territoire étranger appartenant au duc. Celui-ci fait visiter le château par ses hommes, mais le prisonnier, transféré d'une cachette à l'autre, n'est pas trouvé.
Il est mis aux fers dans une cave humide et sans lumière à laquelle ont accède par une trappe et une échelle. La nourriture lui est descendue par une corde munie d'un crochet et un panier. Toutes les deux ou trois semaines son geôlier vient lui rendre visite, et le menacer de toutes sortes de châtiments. Pour se réconforter, il pense à Dieu et à sa fiancée. On le nourrit de pain et d'eau, parfois un potage et un peu de viande salée. Il porte toujours les mêmes vêtements et vit au milieu des puces et de la vermine. Son calvaire va durer plus d'un an.
Le pauvre père, qui n'est pas aidé par la justice messine, utilise des intermédiaires pour essayer de joindre les ravisseurs dont le frère Nicolle, franciscain de Metz. A bout, il engage à son tour un mercenaire pour essayer de délivrer Philippe mais l'homme échoue. Le duché de Lorraine et la cité de Metz sont à nouveau en froid, aussi le duc et l'évêque de Verdun refusent-ils désormais d'aider la famille du prisonnier.
Après avoir menacé d'envoyer la tête de son otage à Metz, le capitaine consent à réduire la rançon à 50 florins d'or. Celle-ci doit être portée à Marville. La famille accepte, mais pour être sûre de revoir Philippe, elle confie la cassette avec l'argent au prévôt de Montmédy, ne donnant aux ravisseurs que la clé de la cassette. L'échange doit se faire chez le prévôt, neutre en l'affaire.
Durant ces tractations, qui durent plusieurs semaines, l'otage est mieux traité, il est sorti de sa fosse deux à trois heures par jour. Une fois la clé de la cassette reçue par le capitaine, il est mis dans une chambre, on lui enlève ses fers, on lui donne à manger. Puis on le force à se mettre à genoux, et à remercier ses geôliers pour leur bonté. Ensuite, il est conduit les yeux bandés à Marville où l'échange est effectué. On lui donne de nouveaux vêtements et il peut enfin rejoindre sa famille à Metz, par la porte du Pontiffroy. Une foule de deux cents personnes vient alors le chercher à l'hôtel de son père, rue de la Haye, pour le porter en triomphe à la cathédrale où un cierge est brûlé en remerciement de sa libération, deux jours avant Noël 1491.

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