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Lorsque Charles Bruneau donna, à partir de 1927, les quatre tomes de son édition de la Chronique de Philippe de Vigneulles (1), on disposait de trois manuscrits essentiels de cette œuvre :
1 - le manuscrit 838-840 [88-90] de la Bibliothèque de la Ville de Metz, que Ch. Bruneau désigne par la lettre M, et qui constitue la source principale de son édition ;
2 - le manuscrit 2 F 1 des Archives départementales de la Moselle, auquel Ch. Bruneau a attribué la lettre A ;
3 - le manuscrit 34 de la Bibliothèque de la Ville d'Épinal (E), qui porte actuellement le n° 139.
On sait que le premier de ces trois manuscrits a disparu lors de l'incendie du fort du Mont Saint-Quentin, le 31 août 1944. Ch. Bruneau le considérait comme autographe. Il écrit dans l'introduction de son édition :
« Le manuscrit 838-840 [88-90] de la Bibliothèque de la Ville de Metz, écrit tout entier de la main de Philippe, n'est autre chose que la mise au net du manuscrit A ; il porte un certain nombre d'adjonctions, en général peu importantes, et pas mal de corrections de pure forme. » (2).
Charles Samaran était pourtant d'un avis différent. Rendant compte de l'édition de Ch. Bruneau, l'éminent archiviste écrivait en 1931 dans la Revue historique :
« La chronique de Vigneulles nous est parvenue par le canal de plusieurs manuscrits, complets ou fragmentaires. Selon M. Bruneau, (p. XX), un d’eux (le ms. 838 de la Bibliothèque de Metz) serait même entièrement autographe (3). Il n’y paraît pas, d'après la reproduction donnée en regard de la page 278. Ce manuscrit
1) La Chronique de Philippe de Vigneulles éditée par Charles Bruneau (Metz, Société d’Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, 4 t. parus de 1927 à 1933).
2) O.c. t. I, p. XX-XXI.
3) Nous verrons plus loin que, selon Ch. Bruneau, le manuscrit A est lui aussi autographe.

est selon toute apparence, d'un copiste ; son écriture, en tout cas, n'a rien de commun avec celle des additions du fragment de la Moselle (reproduction p. 200) (4), qui, elles, ont tous les caractères de corrections d'auteur. » (5).
Le « fragment de la Moselle » dont parle Ch. Samaran appartient au manuscrit A, que nous avons mentionné plus haut. Ch. Bruneau considérait celui-ci comme une première version de la Chronique, utilisée comme brouillon en vue de l'élaboration du texte définitif, représenté selon lui par le manuscrit M, aujourd'hui disparu :
« Le manuscrit A nous offre le premier état de la première Chronique qu'avait commencée Philippe (...) et le brouillon de la Chronique définitive. » (6).
Toujours selon Ch. Bruneau, le manuscrit A est lui aussi autographe :
« Par une bonne fortune, nous possédons les manuscrits autographes de Philippe : nous pouvons donc avoir, en particulier pour la prononciation, des renseignements très sûrs. Pour la Chronique elle-même (7), nous avons trois états : un brouillon autographe (8), une mise au net autographe (9), une copie exécutée par un scribe de profession et corrigée par Philippe (10). » (11).
Pour notre part, nous émettrons des doutes quant au caractère autographe des manuscrits A et M. Des raisons d'ordre divers nous donnent à penser que Philippe de Vigneulles a pu faire appel aux services d'un collaborateur, d’un « clerc » qui aurait donc participé à l'exécution de ces deux manuscrits.

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Le manuscrit A a très probablement servi de document de travail, comme le pensaient à la fois Ch. Bruneau (qui parle de « brouillon »), et Ch. Saraman (qui parle de « corrections d'auteur »). Ce dernier, rendant
4) Page 210 de l'exemplaire que nous avons sous les yeux.
5) Revue historique, t. 167 (1931), p. 129.
6) O.c., t. I, p. XX.
7) Ch. Bruneau distingue évidemment, et à juste titre, la Chronique du Journal de Philippe de Vigneulles, dont on sait qu'il a été édité par H. Michelant (Gedenkbuch des Metzer Bürgers Philippe von Vigneulles (…) herausgegeben von Dr. Heinrich Michelant, Stuttgart, (...) Literarischer Verein, 1852).
8) Il s'agit du manuscrit A.
9) Le manuscrit M.
10) Ch. Bruneau pense au premier tome du manuscrit E d'Épinal, au sujet duquel il écrit (o.c., t. I, p. XXI) : « Transcrit par un scribe de profession, ce manuscrit a été revu par Philippe, qui y a apporté de sa main, diverses corrections ». Ces affirmations de Ch. Bruneau appellent des réserves. Toutefois, ce manuscrit ne concernant pas directement notre propos, nous noterons seulement, outre l'exécution médiocre des débuts de paragraphe, les différences qui séparent son texte de celui de l'édition de Ch. Bruneau.
11) O.c., t. I, p. XIX.

compte de l’édition, semble avoir simplement comparé les deux planches hors-texte où celle-ci présente un court fragment de chacun des deux manuscrits ; il en a conclu à la différence des écritures entre le corps du manuscrit M et les « corrections d'auteur » de A, ce qui nous paraît totalement justifié.
Mais un examen rapide du manuscrit A nous a persuadé que les annotations auxquelles Ch. Samaran faisait allusion constituent souvent, plus que des « corrections d'auteur », des directives adressées à un collaborateur dont le chroniqueur aurait supervisé le travail en vue d'une rédaction définitive, sinon d'une impression.
C'est ainsi que l'on peut lire en marge du texte reproduit par Ch. Bruneau et examiné par Ch. Samaran : « Cecy est bon mais mettés le où il y ait pareille ensegne ? » (12).
Voici d'autres exemples de ces indications, que nous avons relevés dans le manuscrit :
(p. 93) « Resgairdés ès papier Gaguin [?]. Il me semble qu'il y peult avoir quelque chose qu'il fauldroit mestre ycy avent que parler dez evesque de mets ni des roy de France (...) »
(p. 231) « laissez ceci à escripre jusque ycy denier où il doit estre, là où la fueille est ploiés »
(p. 213) « prenés en Gauguin »
(p. 208) « Il est mieulx en Gauguin »
(p. 263) « Reprenés cy darier à pareille enseigne » (suit un signe constitué de deux traits verticaux barrés d'un trait horizontal), page 87, un billet collé indique : « et quant cecy serait (13) escript reprenéz ou quaiés dez evesque sur ledit evesque theodorich et escripvés le rest Puis ce fait reprenez en gauguin sus les roy de france (...) ».
On sait depuis longtemps que ce manuscrit A porte, p. 354, les indications suivantes, d'une écriture bien postérieure (14) :
« ceci est le brouillon de la cronique de philippe de vignuuelle mais il n'est pas complet ; il y a à la suite des extraits de la cronique de gaguin que vigneulle avoit préparé pour les intercaler dans son ouvrage ; avant de faire relier il sera bon de verifier si d'autres feuilles éparses de philippe de vigneulle que j'ay dépandeus çà et là n'apartiennent pas à lui. » (15)
12) Page 85 du manuscrit A ; fragment reproduit en regard de la p. 210 du tome premier de l'édition citée. Le signe de renvoi (appelé ici « ensegne ») ressemble à un signe égale barré. Nous modernisons partiellement l'orthographe des annotations.
13) Serait signifie « sera ».
14) Ces indications sont reproduites partiellement dans l'article de Marie Dorner : « Philippe de Vigneulles - Un chroniqueur messin des XVe et XVIe s. », paru en 1921 dans les Mémoires de l'Académie de Metz (1913-14), p. 89.
15) On sait que la Chronique doit beaucoup à Robert Gaguin, mort en 1501, dont le Compendium de origine et gestis Francorum a été traduit par Pierre Desrey sous le titre : Les grandes chroniques (…) (Paris, Galiot du Pré, 1514).

Le terme de « brouillon » a été repris par Marie Dorner (16) et, nous l’avons vu, par Ch. Bruneau. Quant aux extraits de l’œuvre de Robert Gaguin, relevés en vue de leur insertion (après modification éventuelle) dans la Chronique de Philippe de Vigneulles, ils sont contenus (au moins en partie) dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale (17) ; or, celui-ci porte également des indications qui rappellent celles que nous avons relevées dans le Manuscrit A :
(f° 41 v°) « reprenez en la mer des estoire » (18)
(f° 66 v°) « Entremellés tousjour quelque istoire de l'aultre livre entre deux ; celle y viengne à prepos ».
Ajoutons enfin que Ch. Bruneau lui-même, dans l'introduction de son édition, cite une annotation de ce type, sans toutefois en tirer aucune conclusion particulière :
« Devant que on inscripve plus avent, resgardez en Gauguin quel chose il dit de ces empereur et de cez roy de France icy aprez escript ; car il ne lez faut pas mestre deux fois. » (19).
Il va pourtant de soi que de telles directives supposent l'intervention d'un collaborateur dans la réalisation de la Chronique. Plus précisément, on peut distinguer deux ordres de faits.
1 - En ce qui concerne l'élaboration du contenu et sa formulation, le choix définitif de Philippe de Vigneulles a pu être précédé d'un travail préparatoire de compilation, voire de rédaction provisoire, travail confié à un collaborateur auquel a été laissée une part d'initiative plus ou moins grande, sous réserve des corrections apportées par le chroniqueur.
2 - En ce qui concerne l'écriture « matérielle » du manuscrit A, il existe théoriquement deux possibilités :
a) ou bien Philippe de Vigneulles a écrit de sa main la totalité du « brouillon » - et naturellement aussi les indications dont nous parlons - de manière à permettre à un scribe d'écrire le texte définitif ; dans ce cas A est autographe, mais M (manuscrit définitif selon Ch. Bruneau) a toutes chances de ne pas l'avoir été ;
b) ou bien le texte a été, au moins en partie, écrit par un scribe, les annotations de la main de Philippe de Vigneulles préparant une mise au net définitive.
En fait, un examen même rapide du manuscrit A (y compris les annotations) n'incite guère à n'y reconnaître qu’une seule main. Sans
16) Art. cit., p. 89. 17) Sous la cote 6696 (N. acq. fr.).
18) La Mer des Histoires est une compilation où l'on trouve en particulier les Grandes Chroniques de France, et à laquelle Philippe de Vigneulles renvoie au sujet de l'accession au trône de François Ier, nous apprenant du même coup que cette Mer des Histoires vient d'être réimprimée (éd. Ch. Bruneau, t. IV, p. 185-186).
19) O.c., t. I, p. XIV. Nous n'adoptons pas sans réserves la lecture de Ch. Bruneau. Cette indication se trouve p. 53 du ms. A.

entrer dans les détails, disons que l’hypothèse que nous venons de formuler en a) semble bien difficile à soutenir (20).
Si cette hypothèse doit être abandonnée, il faut renoncer à voir dans A un manuscrit entièrement autographe. Selon toute vraisemblance, les corrigés par Philippe de Vigneulles seraient de la main du scribe, ce qui n'exclurait pas que d'autres fragments eussent été écrits de la main du chroniqueur.
Mais l'essentiel reste pour nous l'existence d'un collaborateur (attestée par le contenu des annotations) et la participation de plusieurs mains à l'écriture de ce manuscrit, qui ne saurait donc, en bonne logique, être qualifié d'« autographe ».

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Faut-il préciser que nous n'avons jamais examiné le manuscrit M, disparu en 1944 ?
Les indications données à son sujet au milieu du siècle dernier par Auguste Prost nous semblent d'autant plus précieuses. A. Prost écrit alors dans les Mémoires de l'Académie de Metz :
« L'exemplaire de la chronique de Philippe de Vigneulles, acquis en 1849, par la ville, se compose de trois volumes in-folio, d'une exécution uniforme et d'une écriture qui appartient au commencement du seizième siècle. Ce manuscrit renferme à la fois des incorrections qui caractérisent le travail du copiste, et des ratures et additions qui trahissent la main de l'auteur. Il y a lieu, je crois, d'admettre que c'est une mise au net exécutée par Philippe de Vigneulles lui-même. » (21).
A. Prost indique ensuite (p. 222) qu'il considère ce manuscrit « comme l'original dû à la plume de l'auteur lui-même ». Est-ce à dire que le manuscrit est autographe ?
Sur ce point, les affirmations de l'érudit peuvent paraître contradictoires. Nous pensons qu'il n'en est rien, et qu'elles s'éclairent si l'un admet qu'elles supposent, en ce qui concerne la nature du manuscrit M, une situation analogue à celle que nous avons envisagée pour le manuscrit A : une première version, écrite de la main d'un copiste, subit des annotations de celle du chroniqueur.
20) Le manuscrit A est actuellement étudié, dans le cadre de la préparation de thèses (d'orientation, il est vrai, surtout linguistique), par Mademoiselle Catherine Fizelert et Madame Anne Jorio-Villard, dont les recherches pourront être éclairantes sur ce point.
21) « Notice de M. Auguste Prost, sur les Chroniques de Metz publiées par M. Huguenin » (Mémoire de l'Académie de Metz, 1850-1851, p. 208-255), p. 221.

La présence d'un copiste est admise par A. Prost, qui relève ses incorrections supposées. N'est-ce pas ce copiste qui a écrit « de manière uniforme » le texte de base sur lequel interviennent « ratures et additions » faites de la main de l'auteur ?
Si malgré cela la « mise au net » est attribuée par A. Prost à Philippe de Vigneulles, c'est sans doute parce que celui-ci est censé avoir accompli lui-même les choix qui ont donné au manuscrit son contenu textuel définitif ; c'est en cela, nous semble-t-il, que ce manuscrit est, pour A. Prost, « dû à la plume de l'auteur lui-même » (de ce point de vue, il importe relativement peu que Philippe de Vigneulles ait effectivement tenu lui-même la plume lors de cette mise au point finale). En d'autres termes, c'est sur la paternité littéraire - et non sur le caractère autographe du manuscrit - que l'érudit met ici l'accent.
De fait, cette paternité littéraire ne va pas de soi, et il n'était pas inutile de noter que le chroniqueur a « cautionné » le texte du manuscrit M. En effet, un collaborateur chargé de préparer, voire de « dégrossir » le travail de rédaction a pu laisser sa marque à la Chronique ; d'autre part, compilateurs et remanieurs, suivant une pratique admise à l'époque, et illustrée par Philippe de Vigneulles lui-même, ne se faisaient pas faute de modifier l'œuvre d'autrui. Dans ces conditions, il n'est pas indifférent de savoir que le texte de la Chronique offert par le manuscrit disparu a bénéficié en quelque sorte d'un « bon à tirer » de l'auteur.
Mais il n'est pas moins important de pouvoir se prononcer sur le caractère autographe du manuscrit : sur ce point, la réponse d'A. Prost est - au moins implicitement - négative. A. Prost distingue ailleurs (22) « original » et « autographe », au sujet d'un manuscrit de la chronique « de Praillon », qu'il considère comme original, J.-F. Huguenin, pour sa part, le déclarant autographe.
Force est bien de constater que cette distinction est souvent beaucoup moins nette qu'ici dans la littérature consacrée aux manuscrits de Philippe de Vigneulles ; donne-t-on au mot autographe, abusivement, un sens plus large, le rôle du copiste est-il sous-estimé ou tout simplement ignoré ?
La source d'information essentielle de Ch. Bruneau, qui ne tient pas compte de l'article d'A. Prost que nous venons de citer, semble avoir été le tome V du Catalogue des manuscrits des Bibliothèques publiques (23). La notice de ce catalogue relative au manuscrit M, due selon Ch. Bruneau à Jules Quicherat (24), déclare autographe ce manuscrit.
22) Page 226 de ce même article.
23) Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques des départements (...) (Paris, Imprimerie Nationale) ; le t. V est daté de 1879.
24) O. c., t. I, p. XXI, note 2. On lit dans cette notice (p. 304) : « Ces volumes des Chroniques de Philippe de Vigneulles sont d'autant plus précieux qu'il y a tout lieu de croire qu'ils ont été écrits en entier par l'auteur, ce qu'on juge par les ratures et corrections et par l'écriture, qui (...) présente la plus grande ressemblance avec celle du roman de Garin le Loherain et d'autres volumes qui sont de la main de Philippe de Vigneulles. ».

Bien plus, on trouve la même affirmation dans la notice générale sur les manuscrits de Metz due, d'après l'avertissement (25), à A. Prost, qui semble avoir fait preuve ici de moins de discernement que dans son article de 1850.
Nous pensons avoir montré que l'affirmation traditionnelle selon laquelle les manuscrits A et M (26) auraient été écrits entièrement de la main du chroniqueur est pour le moins sujette à caution.
Mais cette question ne relève pas d'une vaine curiosité : la participation éventuelle d'un « clerc » au travail de Philippe de Vigneulles place l'ensemble de l'œuvre dans un éclairage différent.
Certes, de telles conditions de travail n'avaient rien d'exceptionnel à l'époque ; certes, Philippe de Vigneulles a très probablement décidé en dernier ressort de ce que serait la Chronique. Mais il n'est pas souhaitable de laisser croire que le rapport entre l'auteur et son œuvre est en l'occurrence dénué d'ambiguïté.
On est habituellement enclin à distinguer radicalement la collecte de la documentation empruntée aux sources (surtout pour les périodes que le chroniqueur n'a pas connues), la rédaction (qui apparaît comme la tâche par excellence de l'écrivain), et l'écriture « matérielle » du manuscrit (travail qui peut être confié à un copiste). Si l'on prend en considération les conditions réelles dans lesquelles sont nés les manuscrits dont nous parlons, en tant que résultat de ce triple processus, il est impossible de séparer totalement ces trois activités.
Les annotations que nous avons relevées donnent à penser que le « clerc » auquel Philippe de Vigneulles a probablement fait appel n'était pas seulement un copiste. Par la force des choses, il était susceptible d'intervenir à ces trois niveaux. C'est dire qu'il n'est pas possible d'attribuer à Philippe de Vigneulles la paternité intégrale du texte de la Chronique, ni par conséquent d'y voir, avec Ch. Bruneau (27), une attestation de l'orthographe, voire de la prononciation du chroniqueur messin.
On sait d'autre part que Philippe de Vigneulles, pour trouver la matière de sa Chronique, a largement fait appel à ses prédécesseurs, et à des sources multiples (28). Dans quelle mesure a-t-il donné à ces divers apports - en rédigeant, en « dictant », en relisant, sinon en recopiant de sa main - une réelle unité ? Le problème est complexe. Apportons seule-
25) P. I. On lit dans cette « Notice sur la collection des manuscrits de la bibliothèque de Metz » (p. CLXIII) : « La bibliothèque de Metz possède (...) les trois volumes autographes de l'auteur ».
26) Le manuscrit comportant des « extraits de la Chronique de Robert Gaguin par Philippe de Vigneulles » dont nous avons parlé précédemment (notre note 17) est qualifié également d'autographe par Henri Omont dans le Catalogue général des manuscrits français [de la Bibliothèque Nationale] (Nouvelles acquisitions françaises, III, Paris, E. Leroux, 1900) (p. 31).
27) O.c., t. I, p. XIX et XXIII.
28) Ch. Samaran (art. cit., p. 128-129) note que Ch. Bruneau « n'a fait qu'effleurer dans son introduction l'étude des sources de Vigneulles ».

ment un élément au dossier; dans le passage suivant de la Chronique (29), il est question des enfants de Louis XI :
« Celluy roy Loys eut deux femme (...). La seconde fut Charlote, fille du duc de Savoie, de laquelle il eust plusieurs enfans, c'est assavoir seigneur Joachin, damme Anne, qui fut mariée à seigneur Pier de Bourbon, à présent duc de Bourbonnois et d'Aulvergne, conte de Clermont, de la Marche (...) ; puis olt damme Jehanne, femme de seigneur Loys, duc d'Orléans (...). Puis olt Charles, qui depuis fut roy de France, et qui conquist le royaulme de Neaple, comme nous dirons ycy après. »
A quelle date ce passage a-t-il été rédigé ? Entre 1488 (date à laquelle Pierre de Beaujeu, à la mort de son frère Jean II de Bourbon, reçoit à son tour des titres dont jouissait la branche aînée des Bourbons), et 1503 (année de sa mort). Après 1495 (conquête du royaume de Naples par Charles VIII) ; mais avant 1498, probablement, puisqu'il n'est pas dit que Louis, duc d'Orléans, est devenu roi de France sous le nom de Louis XII. Ce passage aurait donc été écrit entre 1495 et 1498 (ces deux années comprises). Mais comment Philippe de Vigneulles, donnant à sa chroni¬que un caractère définitif (pas avant 1515, d'après Ch. Bruneau) (30), n'a-t-il pas pris soin de mentionner ici un événement aussi important que l'accession au trône de Louis d'Orléans ? Comment a-t-il laissé écrire - ou à plus forte raison écrit de sa main - que Pierre de Beaujeu, mort en 1503, est « à présent duc de Bourbonnois » (31) ?
Des recherches portant sur la genèse de la Chronique, pour autant qu'on puisse les entreprendre et les mener à bien, devraient sans doute se situer d'abord au niveau de la confection matérielle des manuscrits, les sources devant, pour leur part, être étudiées à travers les conditions concrètes de l'emprunt, et pas seulement en fonction de leur contenu ou même de leur conformité textuelle avec le texte de la Chronique.
Mais n'est-il pas souhaitable de rappeler dès maintenant qu'à plusieurs égards la Chronique de Philippe de Vigneulles n'appartient pas intégralement à son auteur (32) (*) ?

Pierre DEMAROLLE
29) Éd. cit., t. II, p. 340-341.
30) O.c., t. 1, p. XIV-XV. Une première rédaction aurait commencé en 1514, date à laquelle Ph. de Vigneulles a fait (ou fait faire) ses extraits de Gaguin. Ch. Bruneau place avant 1520 le début de la rédaction définitive.
31) On peut évidemment, sur ce dernier point, invoquer l'ignorance. Mais souligner l'insuffisance de l'information du chroniqueur revient à insister sur sa dépendance à l'égard des travaux de ses prédécesseurs.
32) Ch. Bruneau écrit (o.c., t. I, p. XVII) : « Philippe a un procédé fort simple, qui d'ailleurs ne lui est pas particulier, d'utiliser les ouvrages de ses devanciers : il les transcrit mot à mot ». Dans cette même édition, on relève le témoignage du chroniqueur lui-même (t. IV, p. 14) : « Item, en celluy temps (...) trespassait de ce sciècle Jehan Aubrion, citains de Mets, lequel en partie fist et composait plusieurs articles de ces présentes cronicque ; du moins je, Philippe dessus dit, ait heu prins le scens de plusieurs mémoire qu'il avait escript, et les ay réduict avec d'aultre ».

*) Nous sommes heureux de remercier Madame L. Roux, Directeur des Services d'Archives de la Moselle, qui a bien voulu faire réaliser à notre intention un exemplaire de duplication du microfilm du manuscrit 2 F 1, et Monsieur G. Cahen, Conservateur, qui nous a si aimablement accueilli.

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