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MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DE METZ
1841
(Archives départementales de la Moselle)




Un homme a vécu naguère dans cette cité, lequel, dominé par l'amour de la retraite et de la science, avait placé son intelligence et son travail sous l'inspiration d'un sentiment patriotique, et s'était voué à l'étude de l'histoire de la ville où il était né. Metz avait perdu la plus grande partie de ses annales originales, les unes détruites par le temps et par des événements funestes, les autres détournées par des mains infidèles, ou dispersées par divers hasards. Cependant quelques-unes se trouvaient réunies dans la bibliothèque d'Épinal, où elles avaient passé avec toutes les richesses intellectuelles et le matériel même de l'abbaye de Senones. M. Huguenin accepta de vous, en 1834, la mission d'aller les reconnaître. Les deux manuscrits les plus importants de cette collection lui furent confiés : c'étaient la chronique de Philippe de Vigneulle et celle dite de Praillon, que l'on avait crue jusque-là
 
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perdue, mais dont les deux premiers volumes existaient encore. Durant trois années, il se consacra sans réserve à la transcription de ces mémoires : tâche pénible, ingrate surtout, si jamais il en fut ; mais dans laquelle il était soutenu par la pensée de rétablir en la possession de ses concitoyens des monuments qui leur étaient précieux à plus d'un titre. Enfin, il eut l'idée de.les mettre, en les faisant imprimer, à l'abri d'une perte nouvelle ; et vous avez vu Messieurs, comment il fut secondé dans ce but par le bon goût et le désintéressement du typographe, M. Lamort.
Grâces à tant de soins et de dévouement, nous possédons d'une manière impérissable les plus curieuses de nos chroniques. Mais à quel prix ! vous le savez. Epuisé par les fatigues d'un si rude labeur, M. Huguenin succomba, son œuvre à peine terminée ; et c'est dans le cercueil qu'il reçut les témoignages de la reconnaissance publique. L'Académie partagea les sentiments que cette perte fit éclater dans la cité ; et les paroles prononcées, dans cette douloureuse circonstance, par celui qui était alors votre secrétaire, viennent retentir encore dans nos cœurs, à ce triste souvenir.
En publiant les chroniques de Praillon et de Philippe de Vigneulle, M. Huguenin, Messieurs, a ouvert des mines neuves et riches pour l'histoire de notre cité, dans sa période la plus intéressante, celle de l'indépendance messine. Mais il paraît avoir reconnu lui-même qu'à travers le dédale à la fois uniforme et confus d'un ordre rigoureusement chronologique, il fallait un fil directeur. Effectivement, à la manière dont les faits se trouvent relatés sous chaque tête de date, sans qu'aucun d'eux empiète, par la narration, d'une année sur l'autre, au milieu de ce pêle-mêle de détails qui touchent à histoire générale

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de l'Europe, connue à celle de la cité, aux affaires civiles et ecclésiastiques, aux croyances et aux superstitions du temps, aux institutions, à la vie publique et privée, aux usages, aux monuments, aux fléaux qui désolent la contrée, aux phénomènes atmosphériques, à toutes les circonstances enfin qui agitent et diversifient l'existence des peuples et des particuliers, le lecteur s'égare et se rebute ; l'intérêt disséminé sur tant d'objets se refroidit. Il faut, pour ranimer tous ces éléments confondus, une nouvelle main qui distribue les masses, qui rassemble les membres épars de chaque corps de récit, et lui rende sa vie propre et individuelle. C'est ce que M. Huguenin s'était proposé de faire, comme le témoignent quelques lignes de son introduction, interrompue au point même où allait commencer cette exposition si nécessaire. J'ai essayé, Messieurs, dans le travail que je vous soumets aujourd'hui, de renouer cette chaîne précieuse, de démêler et de distribuer les faits contenus dans les Chroniques de Metz, et d'en former une sorte de Table analytique, propre à diriger les recherches des travailleurs. Tel a été, tel a dû être mon unique but, vu les obstacles qui m'ont forcé de renoncer à une exécution plus largement conçue. Les questions historiques resteront donc tout entières ; et, en songeant à ceux d'entre vous, Messieurs, qui sont plus capables que moi de les résoudre, j'ai trouvé, au demeurant, qu'il y avait plus de bien que de mal dans les causes indépendantes de moi qui m'ont empêché de les aborder.
Cette table est divisée en cinq points : 1° détails biographiques sur Philippe de Vigneulle, dont la Chronique est la base principale de l’ouvrage ; 2° histoire générale ; 3° histoire particulière de la ville de Metz ; 4° ses institutions ; 5° faits divers relatifs aux mœurs et aux usages de cette cité, aux monuments, etc.
 
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1° Détails biographiques sur Philippe de Vigneulle.

Les Chroniques de Metz ne nous apprennent rien de la naissance de Philippe de Vigneulle ; mais elles nous font connaître quels sont, dans les événements qu'il rapporte, ceux dont il n'a été que le compilateur, et ceux dont il parle comme témoin. L'écrivain pose lui-même cette limite, page 342, colonne 2. A la fin de l'année 1464 , s'arrêtent « les chroniques et diverses advenues par lui prises et recueillies en divers traictés et volumes ; » et il clôt les événements de son temps dans le cours de l'année 1525, p. 829, c. 1. Ainsi sa chronique contemporaine comprend soixante ans, de 1465 à 1525.
Philippe rapporte à l'année 1476 le premier souvenir qui lui soit personnel : c'est celui d'un aveugle de Vigneulle dont l'instinct tient réellement du merveilleux, p. 422, c. 2. Son enfance nous conduit jusqu'en 1484. Dans cet intervalle, nous le voyons mis à l'école de Saint-Martin de Metz, en 1478, lorsque fut bâtie la tour pour la cloche de Mutte, p. 428, c. 1 ; retourner chez son père à Vigneulle, en 1482, p. 449 , c. 2 ; envoyé en Allemagne, la même année, « en un village au pays de Waistriche Lande, nommé Amange, à dix lieues de Metz : et fut cause de celle allée un mauvais loup qui courait au pays de Metz, et qui étranglait plusieurs enfants. » Cette précaution de sa famille n'était que trop justifiée par le récit qui suit, p. 452, c. 2. et suiv. Il revint en France l'année d'après, 1483, p. 458, c. 2, et fut mis, dit-il, « à demeurer à Metz., à Rampoult, chez un nommé Steffe, au Rouge-Lion, et y fut un demi-an. » Puis, « fut mis à demourer chez un prestre, au village de Saulney devant Metz, et allait à l'école, et fut en celui village un an entier. »
En 1484, déjà adolescent sans doute, il lui fallait pren-

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dre un état. « Il fut mis à demourer à Metz, chez Jeannot de Hannonville, treize et aman, et n'y demoura qu'environ un demi an », p. 467, c. 2. A quel titre entra-t-il dans cette maison ? Il ne le dit pas ; mais bientôt, il ne craint pas d'avouer l'état de domesticité où il vécut, avant de prendre un état. Rentré à la maison paternelle, au bout de ce demi-an, il tente inutilement une première évasion, en 1485, p. 473, c. 1, mais il réussit mieux dans une seconde, en 1486, p. 477, c. 1. Il se dirige vers la Suisse, la traverse, arrive en Savoie où il se tient pour cette première fois, et sert, pendant un an entier, « un prélat d'église, homme de bien, lieutenant de l'évêque. » En 1487, il prit congé de son maître, lequel le payait très-bien, p. 479, c. 2, et s'en alla à Rome. Il suivit à Gaëte, puis à Naples, un gentilhomme de Lausanne. Bientôt après, il le quitta pour se mettre au service de damp Phrédérich, prince de Tarente, et fils au roi Ferrand, roi de Naples et de Sicile, avec lequel il fut trois ou quatre ans, p. 480, c. 1. C'est dans ce séjour en Italie qu'il vit les grands désastres amenés par le tremblement de terre de 1456, p. 286, c. 1, et qui se fit sentir pendant trois jours « ès pays d'Arragon et de Pouille : duquel crollement fondirent plusieurs villes et cités, avec plusieurs chasteaux et forteresses ; et avec ce, périrent plus de vingt-huit mille personnes. » C'est alors aussi qu'il parcourut le théâtre de la guerre qui avait eu lieu, en 1484, entre Jean, duc de Calabre et de Lorraine, et le roi Ferrando, roi d'Aragon, p. 344, c. 2. En 1489, il désire retourner à la maison paternelle, p. 489, c. 1, et s'engage avec un seigneur napolitain, pour conduire une partie des chevaux que le roi Ferrand envoyait au roi de France. Il traverse le mont Cenis, et arrive à Lyon, « puis de là en tirant à Bourbon. » Il revint à Metz la même aimée, p. 492, c. 1.
 
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Philippe de Vigneullc se fixe alors à un métier, et il est mis « chez Didiot Baillat, le marchand, citain de Metz, pour y apprendre celui de chaussetier, p. 492, c. 1. Dans le cours de cet apprentissage, il songe à prendre femme. Mais, pendant qu'il est à Vigneulle, chez son père, prêt à se marier, p. 528, c. 1, ils sont enlevés tous les deux de leur demeure, au commencement de novembre 1490. Il raconte fort au long, p. 528, c. 2, et suiv., cette aventure mystérieuse, qui, du reste, paraît n'être qu'une vengeance du duc René de Lorraine, p. 537, c. 1, parce que le père de Philippe de Vigneulle avait contribué à un emprunt fait par la ville de Metz, p. 523, c. 2, pour soutenir la guerre contre ce prince. Philippe fut enfin mis en liberté, le 22 décembre, après une captivité d'environ six semaines, p. 559, c. 2, et revint chez son père, qui avait été relâché avant lui sur rançon, p. 538, c. 2, et qui alors demeurait dans la rue de la Haye, du côté de la rivière, p. 559, c. 4. Six semaines après, 1493, il rentra chez Didier Baillat le marchand, « pour achever son terme et fournir ses années, p. 591, c. 1.
Philippe de Vigneulle s'établit enfin. Il épouse, au commencement de mai 1493, p. 591, c. 2, non la femme qui lui avait d'abord été destinée, mais « Mariette, fille à Niclausse, qu'on disait le maire Le Loup, d'Agondange en Allemagne. Il prend boutique à Metz, à Palramport, p. 597, c. 2, et se met « à vendre draps et à user du métier de chaussetterie. » Il perd sa femme, au mois de décembre de la même année, p. 598, c. 1 ; et, le 25 février suivant, 1494, il se marie, en secondes noces, avec Ysabellain, fille à Jean Lesairte, maire de Lessey, sa première fiancée. Il achète, en ce temps, la maison de Mangin le tailleur, située à Metz, derrière Saint-Sauveur, sur le tour

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de la rue des Bons-Enfants, où il demeura longtemps, p. 601, c. 2.
Philippe de Vigneulle eût un grand nombre d'enfants, p. 603, c. 2, - 624, c. 1, - 633, c. 2, - 645, c. 1, 648, c. 1, - 653, c. 2, - 656, c. 1, - 687, c. 2, et même plus qu'il ne prend soin d'en enregistrer ; car nous lui trouvons plusieurs filles, quoiqu'il n'ait mentionné que la naissance d'une seule, p. 687, c. 2. Mais il en perdit plusieurs, soit au moment où ils vinrent au monde, soit dans leur bas-âge, p. 603, c, 2 , - 624 , c. 1, - 645, c. 1, - 655, c. 1, - 677, c. 2, - 687, c. 2. Il semble même n'avoir conservé qu'un fils, nommé André, qu'il maria en 1521, p. 768, c. 1. Son père mourut en 1509, p. 656, c. 2, de la peste qui lui avait déjà enlevé deux enfants, et l'avait mis lui-même, ainsi que sa femme, en grand danger, p. 654, c. 1, - 655, c. 2 : il était âgé de plus de quatre-vingt ans.
Philippe de Vigneulle mentionne un grand nombre de voyages qu'il fit à Paris, p. 633, c. 2, - 638, c. 2, - 640, c. 1, - 656, c. 1, - 559, c. 1, - 666, c. 1, - 697, c 1, - 712, c. 2. Il paraît qu'il s'y rendait chaque année, à la foire du landy, pour « y faire son emploi en draperie, » p. 712, c. 2. Dans ces voyages, il n'eut presque toujours « que bien » ; mais en 1511 et 1515, un parti de routiers et de mauvais garçons épièrent sur lui et sur d'autres marchands de sa compagnie : il leur échappa en prenant un autre chemin, p. 666, c. 1, - 697, c. 1.
Il était fin ouvrier, à en juger par une pièce d'œuvre qu'il fit en 1507, p. 651, c. 1. Aussi le voit-on s'enrichir en propriétés. Il achète, en 1501, à Baudot Blanchart, l'aman, la maison qu'on disait le Maignier, située dans la rue des Bons-Enfants, derrière Saint-Sauveur, « et
 
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la joindit à celle où déjà il demourait, et des deux n'en fit que une, » p. 638, c. 1.
Tels sont les principaux faits que fournissent les Chroniques, sur la vie de Philippe de Vigneulle. Mais il est encore une foule d'autres circonstances qui, bien que se rapportant à sa biographie, serviront beaucoup mieux à faire connaitre son caractère, son esprit, et l'estime où il fut pendant sa vie. Philippe de Vigneulle, comme homme, est le vrai type du peuple de son temps. C'est un honnête marchand, qui sait le prix de l'argent, qui se donne de la peine pour en gagner, témoin ses voyages à Paris ; qui trouve bien simples ceux qui ont la générosité de travailler pour le public, sans se faire payer, p. 646, c. 1 : il nous figure, à cet égard ; les communes s'élevant à la liberté par le commerce, heureuses du double bien de l'indépendance et de la richesse. Cependant, comme il a quelque fortune, il en jouit suivant les goûts de sa piété, qui l'engage dans de nombreux pèlerinages, p. 528, c. 1, - 651, c. 2, - 654, c. 1, - 659, c. 1, - 671, c. 1 ; ou à relever l'église de Vigneulle, p. 747, c. 1, - 755, c. 1 ; et il trouve en même temps à satisfaire son humeur voyageuse et sa curiosité. C'est ainsi qu'en allant, avec sa femme, « en voyage à monseigneur Saint-Claude », il visite la saline de Salins, dont il décrit la tenue et les travaux, p. 670, c. 1, et en revient par un détour à travers la Suisse, p. 673, c. 1. Nous lui trouvons même une sorte de désintéressement, et tout au moins un sacrifice fait au désir de la gloire, dans la confection et l'exposition du magnifique tapis dont nous avons parlé, et qui fut « mis et tendu, le jour de la saint Marc 1507, avec un tableau écrit, par licence de justice, devant la grant église de la cité, » p. 651, c. 1. Mais rien ne dit qu'il n'en tira pas un beau parti en le vendant après la fête.

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C'est encore un bon bourgeois, en dehors des affaires publiques, qui voit tout avec intérêt, qui admire également les farceries d'un fin compagnon, et son adresse à échapper aux filets de la justice, p. 643, c. 1 ; les tours des sauteurs de corde, p. 645, c. 1; la souplesse des hommes de Hongrie et la danse des ours, p. 646, c. 2 ; les joyeusetés du gras temps , p. 664, c. 2 ; les jongleries des charlatans, p. 571, c. 2 ; le génie d'un clerc, « à la fois prêtre, géométricien, médecin, sérorgien, et d'un subtil engien en tous arts », p. 677, c. 2 ; les phénomènes du ciel, p. 379, c. 1, - 472, c. 1, - 630, c. 2, - 712, c. 1 ; les représentations de mystères, p. 200, c. 1, - 201, c. 1, - 473, c. 1, - 476 , c. 2, - 482, c. 1, - 638, c. 1, etc. ; les miracles, p. 663, c. 2, - 679, c. 2, - 686, c. 2 ; les pompes de l'église, p. 674, c. 1, - 685, c. 1, - 690, c. 2, - 695, c. 2, - 778, c. 2 ; enfin les fêtes en l'honneur des grands personnages, p. 394, c. 2, - 482, c. 1, - 625, c. 2, - 600, c. 1 , - 795, c. 1. C'est un homme doué d'une piété sincère et dévouée, p. 685, c. 1, - 735, c. 2, - 807, c. 2 ; croyant aux apparitions, p. 684, c. 1 ; plein de foi à toutes les pratiques qui tenaient à l'esprit religieux de son siècle, aux pèlerinages surtout, car il en entreprit un grand nombre (voir ci-dessus). Il trouve, dans ces sentiments, une résignation touchante aux malheurs qui l'affligent : à la mort de sa première femme, p. 598, c. 1 ; de ses enfants, p. 624, c. 1, - 645, c. 1, - 654, c. 1. - 657, c 1 ; de son père, p. 655, c. 2, et de ses autres parents, p. 657, c. 1. Philippe de Vigneulle n'aurait pas été de son siècle, s'il n'avait pas cru à l'art damnable des sorcières, p, 676 et suivantes ; à l'empire du malin esprit sur ceux qui se donnent à lui, p. 679, c. 1 ; il n’aurait pas été bon catholique, si, enfin, il n'avait pas formellement condamné l'hérésie de
 
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Luther, p. 804, c. 2, - 823, c. 2, - 824, c. 1. Toutefois, il est à remarquer qu'en parlant des sorciers, des blasphémateurs et des hérétiques qui furent brûlés (et le nombre en est grand), il énonce simplement le fait de leur supplice, sans approuver ni improuver en rien ces actes d'ignorance et de fanatisme. C'est qu'en effet, comme on le voit dans les appréciations qu'il exprime sur d'autres événements, Philippe de Vigneulle est un homme sage et judicieux, p. 640, c. 1, - 643, c. 2, et son silence significatif sur ces rigueurs salutaires, était tout ce que pouvait se permettre un simple particulier qui ne voulait compromettre ni son repos ni peut-être sa vie, pour des causes d'ailleurs condamnées par sa conscience.
C'est en appréciant ce jugement sain que porte le chroniqueur dans les récits qui tiennent à son temps, que les bénédictins, auteurs de l'histoire de Metz, ont pensé que Philippe de Vigneulle aurait dû vivre deux siècles plus tard. Ce sentiment nous paraîtra plus justifié encore, si nous considérons son goût pour l'étude, la portée remarquable de son esprit, et l'imagination dont il fut doué. Et en effet, avec l'ébauche d'instruction qu'il reçut dans son jeune âge, après la condition servile où il fut retenu pendant une partie de son adolescence, au milieu des idées étroites de son siècle et de la position civile où il passa le reste de sa vie, qui pourrait s'attendre à trouver en lui, d'abord la pensée d'écrire des chroniques, de compulser, de lire et d'extraire tant d'ouvrages divers ; puis celle de s'exercer à écrire, en mettant en prose d'anciens ouvrages rimés, p. 698, c. 2 ; le talent de composer un livre de cent nouvelles ou contes joyeux, p. 699, c. 2 ; de se livrer même à la versification, tantôt en charbonnant d'une complainte la tour où il fut enfermé à l’époque de son malencontreux enlèvement, p. 340, c. 2 ; tantôt

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dans une joyeuseté de carnaval, p. 668, c. 1, dont la conception indique d'ailleurs une certaine étude des écrivains de l'antiquité ? Il est probable, en effet, que Philippe de Vigneulle connaissait au moins les écrivains latins. Il témoigne lui-même avoir étudié Tite-Live, p. 2, c. 1 ; il a lu aussi Ovide, qu'il cite en latin, p. 435, c. 1. Aussi, par le relief que lui donnait la fortune qu'il avait acquise dans son commerce, et plus encore par son savoir supérieur, ce simple citain de Metz tenait-il figure parmi ce qu'il y avait de plus distingué et de plus éminent dans la cité. Il fait partie des railleries et joyeusetés des jours gras, dans la compagnie du seigneur Joachim Chaverson, maître-échevin, p. 773, c. 1 ; il joue les mystères, p. 677, c. 1, - 687, c. 2, genre de mérite fort apprécié de son temps, p. 562, c. 2, - 643, c. 1, où aimaient à se produire « seigneurs et dames, bourgeois et bourgeoises, gens d'église et autres manières de gens, » p. 622, c. 1, - 638, c. 1. ; il compose même bon nombre de ces divertissements ou burlesques ou édifiants, p. 668, c. 1, - 687, c. 2.
Telles sont, Messieurs, les particularités répandues dans les Chroniques de Metz, relativement à Philippe de Vigneulle ; telles sont, si je ne me trompe, les traits sous lesquels il peut apparaître comme homme et comme écrivain, à travers la sèche exposition de ses annales.
Ajoutons un dernier mot. Dans les Chroniques de Metz, qui portent aussi le titre particulier de Chronique de Philippe de Vigneulle, M. Huguenin a intercalé des extraits de la grande chronique de Praillon. Il est à regretter, je crois, que ces emprunts n'aient pas été distingués, par la désignation de leur auteur, du corps principal de l'ouvrage ; et plus encore, que ce qui existe de cette Chronique n’ait pas pu être produit séparément. Nous aurions ainsi,
 
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au lieu d'un seul, deux ouvrages originaux auxquels on s'est accordé de tous temps à reconnaître une grande importance. Quant à la personne même de Praillon, on ne connaît aucun détail sur sa vie. On sait seulement que son écrit comprenait de 1323 à 1497. Tout ce que nous avons à en dire de plus, c'est qu'il ne faut pas confondre par une erreur assez générale, ce Philippe Praillon, citoyen de Metz, avec Jacques Praillon, qui fut maître-échevin de Metz, vers le milieu du seizième siècle, sous la domination française.
Enfin, de 1525, où s'arrête Philippe de Vigneulle, à 1552, où Metz passe sous la puissance des rois de France, l'ouvrage est continué, faute de documents originaux, par la compilation, d'un religieux bénédictin, qui porte le titre d'Annales de Metz ; et il est termine par une relation du siège de 1552, faite par Chanatz, laquelle était restée inédite jusqu'à ce jour.


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