- LES CAHIERS LORRAINS -
Année 1924
(Pages 124-126)
Les Cent nouvelles Nouvelles de Philippe de Vigneulles.
M. Ch.-H. Livingston, professeur au Bowdoin College de Brunswick (Etats-Unis, Maine), a eu le mérite et la bonne fortune de retrouver et d'acquérir en 1921 un manuscrit du début du XVIe siècle, des Cent nouvelles Nouvelles de Philippe de Vigneulles.
Nous en aurons prochainement une édition dans la Bibliothèque du XVe siècle (Paris Champion). En attendant, M. L. a publié deux articles d'étude sur ce sujet, l'un dans la Revue du XVIe s (tome X, 1923), l'autre, en anglais, dans The Romanic Review (Vol. XIV, avril-sept. 1923).
Le ms, actuellement en la possession de M. L. fit partie, assez indûment, comme quelques autres, de la bibliothèque du comte Emmery, puis fut acquis par Michelant. Il n'est pas autographe, mais il contient des additions, des corrections et des dessins dus à la plume de Philippe. Des cent nouvelles qui devaient ensuite être au nombre de 110, il ne reste guère qu'une cinquantaine, dont quelques-unes incomplètes. Les mutilations, volontaires, ont été constatées déjà au XVIe s. par P. Ferry, qui avait consulté un autre manuscrit, complet celui-là et aujourd'hui disparu, alors entre les mains d'un Philippe de Vigneulles qui fut « avocat et aman ».
Jusqu'en 1923, nous ne connaissions qu'une des Nouvelles de Philippe de Vigneulles, la XCIe, par deux extraits que publia Michelant Athennæum franç. 1853. G. Paris reproduisit le Ier, sous le titre la Laitière et le Pot au lait, dans ses Récits extraits des poètes et prosateurs du Moyen Age, 1907. M. L., dans les deux articles cités, nous donne en majeure partie six nouveaux contes, choisis à l'appui de sa thèse. S'attachant à la question des sources, il est porté à croire que le recueil de notre conteur messin a inspiré plusieurs nouvelles à Bonaventure des Périers et à Marguerite de Navarre.
M. L. estime que Philippe et par son influence et par son art de narrateur mérite de prendre place parmi nos grands conteurs du XVIe siècle. D'abord, il apparaît un des premiers en date au seuil de ce siècle qui allait voir la pleine floraison du genre. Il écrivit entre 1505 et 1515, devançant ainsi Nicolas de Troyes (Grand Parangon, 1535-1537), Marguerite de Navarre (Heptaméron, 1545), et l'auteur des Contes et joyeux devis (1548 ; la plupart sont de Bonaventure des Périers). En second lieu, malgré des défauts de lourdeur, de prolixité et surtout de grossièreté, Philippe de Vigneulles, écrivain fort inégal, reste digne, comme l'avait bien vu G. Paris, de figurer dans une Anthologie des conteurs du XVIe siècle. Par leur composition, leur esprit, et l'art qu'elles décèlent, certaines de ses nouvelles sont des modèles du genre, par exemple « Brunain ou la Vache au prêtre,» et les «Trois Allemands qui allèrent en France pour apprendre à parler français ».
M. L. a finement montré que le récit de Philippe est nettement supérieur au conte, si connu, de Bonaventure des Périers : « de Trois frères qui cuidèrent être pendus pour leur latin ». Enfin et surtout, quoique Philippe de Vigneulles, qui séjourna en Italie (1487-1489) cite le Décaméron de Boccace et connaisse à n'en pas douter Sacchetti et le Pogge, il puise de préférence dans Antoine de la Salle (dont les Cent nouvelles Nouvelles lui ont, dit-il, servi de modèle), dans les fabliaux français et dans le folklore messin. G. Paris avait réparti nos conteurs des XVe et XVIe siècles en deux groupes, l'un italianisant, celui de la reine de Navarre, l'autre, constitué par Antoine de la Salle, Philippe de la Salle, Philippe de Vigneulles et Nicolas de Troyes, où la nouvelle « est purement française par son esprit et par ses sujets. »
Pour Philippe de Vigneulles, il faudrait même préciser « purement lorraine ». Les Messins trouveront à ses Nouvelles un intérêt très particulier, dû au cadre où elles se déroulent plus encore qu'à leurs sujets mêmes. Sans doute, Philippe déclare de la plupart de- ces aventures qu'elles sont « advenues tant dans la noble cité de Metz comme au pays environ, comme moi-même en ai sceu ou veu la plus grande partie, ou du moins je les ouy dire et raconter à gens dignes de foi et de créance. » Et M. L. ajoute : « Quelques-uns des personnages qui y figurent se retrouvent dans les Mémoires de Philippe de Vigneulles et désignent probablement de vrais personnages de l'époque. » Dans son second article, il est devenu, avec raison, plus sceptique, en constatant que Marguerite de Navarre, comme la plupart des conteurs, donne aussi de ces précisions de détail, destinées à rendre le récit plus vraisemblable. Nous avons peine à croire qu'un même quiproquo se soit reproduit dans des régions aussi diverses, à la fois en français, en latin et en allemand (LXe nouvelle). Il n'y a là qu'un procédé littéraire exploité par plusieurs conteurs, ce qui n'empêche pas que tel d'entre eux a pu être de bonne foi.
Du moins, Philippe, ayant adopté comme cadre à ses nouvelles Metz et le pays Messin, y introduit de précieux détails concernant l'histoire et les coutumes locales. Ainsi des Trois Dames qui trouvèrent l'anal (LXXXIXe nouvelle), l'une raconte à son mari son voyage à Metz « tant des belles églises, des belles maisons, des rues, des gens, des bestes, et lui dit qu'elle avait vu la rechinée au grand moustier avec saint Honoré ». La rechinée désigne probablement la célébration de la cène ; quant à saint Honoré c'est le nom du fameux crucifix, du poids de cent marcs et tout enrichi de pierreries, qui figura au trésor de la cathédrale jusqu'en 1567 (Société d'Archéologie, 1860, II, p. 82-85). Presque toutes les Nouvelles contiennent de ces allusions riches en commentaire. Aussi attendons-nous avec impatience la publication intégrale du manuscrit ; en nous la procurant, M. Livingston aura bien mérité des lettres françaises et aura droit en particulier à la gratitude des Messins.H. ABOUT.
Mai 1925
(p. 68-70)
Notes pour un conte de Philippe de Vigneulles
M. Charles-H. Livingston, professeur au « Bowdoin College » et ancien officier de l'armée américaine, est, depuis 1919, l'heureux possesseur des Contes de Philippe de Vigneulles, qu'il se propose d'éditer bientôt en entier. En attendant, il vient d'en publier, dans le journal Modern Philology (vol. XXII, n° 1, août 1924), « la LXXIe nouvelle », laquelle « faict mencion d'un fin magnier qui trompit une femme » et débute ainsi :
« En ung village auprès de Mets lequel je ne vueil point nommer, « advint, n'a pas encor loing temps, qu'il se trouva ung maigniez qui vandoit pelles, potz et chauldrons et les rescrioit par la ville comme ilz ont de coustume de faire, et entre ses aultres baigues il vandoit des seriz pour serizer et habillier la chauve ou le ling : c'est ung instrument où il y a plusieurs dents de fer. »
Dans cette phrase, quelques mots sont particulièrement intéressants. Et d'abord « magnier », que Philippe de Vigneulles écrit encore « maignier », « maigniez » et « magnies ». Un « magnier », c'est un chaudronnier ambulant ; c'est le « megneu », le « magnake », le « magné », le « magni », le « caramognad », le « rapatau », le « ratapatiau », le « retèmou », etc., du
Dictionnaire des patois romans de la Moselle par Léon Zéliqzon. Cet ancien mot figure sous la forme « Magnier » dans le
Dictionnaire de la langue française par Littré, qui l'a relevé, en 1799, dans une circulaire sur les patentes, où on lit : « Les magniers ou raccommodeurs de chaudrons sont des chaudronniers sujets au droit de sixième classe. » Les dictionnaires français de Larousse, eux, disent : « magnien, magnin ou magnier ». Jacob-le-Duchat, né à Metz en 1658, a publié les
Œuvres de maître François Rabelais (Amsterdam, Henri Bordesius, 1711) avec d'abondantes notes, dont l'une, consacrée aux « maignins » (t. VI, p. 12, note 16), se termine de la façon suivante : « On dit en Bourgogne « maignier » qu'on prononce « maignié ». A Metz, on dit « magni », et comme ces gens y crient « magni » dans les rues lorsqu'ils cherchent de l'ouvrage, on les prend pour être de la « Limagne », parce que la plupart sont Auvergnats ».
Un autre de nos compatriotes, Lorédan Larchey, a relevé dans les « Annuaires de Paris » quantité de noms patronymiques dérivés de « magnien, magnier », etc. Son
Dictionnaire des noms, publié à Paris en 1880, comprend les suivants : « Magnan, Magnein, Magniant, Magnien, Magnier, Magniez, Magnin, Maignan, Maignen, Maignien, Manin, Meignan, Meignen, Lemaignan, Lemeignan, » etc.
Le mot « baigues », qui signifie « bagages » figure dans le
Dictionnaire de L. Zéliqzon, sous la forme « bégues », avec le sens de « hardes, vieux meubles ».
« Seriz » et « serizer » sont des termes techniques qui sont restés dans la langue française sous la forme « séran » et « sérancer ». Un séran est une sorte de grande carde armée de dents de fer, dont on se sert pour peigner la filasse et la débarrasser de la chènevotte, et sérancer, c'est l'action de peigner la filasse avec le séran.
Au XVIIIe siècle, on disait aussi : « serin » et « serincer ». Dans son
Dictionnaire universel de commerce, (t. II, col. 1538, Paris, 1723), Favary des Bruslons a défini ces mots de la façon suivante :
« Serin. C'est aussi un instrument de bois avec des espèces de dents de fer, dont on se sert en quelques lieux pour séparer la filasse de chanvre de la plus grosse chènevotte qui y reste après que le chanvre a été broyé. Cet instrument s’appelle ailleurs un « escoussoir », et encore en d’autres endroits un « eschanvroir ».
« Serincer ou serincher. Se servir du serin pour séparer la filasse ».
Philippe de Vigneulles écrit « sery », « serey », « serry » au singulier, et « seriz », « sereys » au pluriel.
Le mot « sery » est resté dans le patois lorrain sous la forme « s'li » et « seli » que l'on trouve dans les
Textes patois recueillis en Lorraine par L. Zéliqzon et G. Thiriot (Metz, 1912, p. 198) et dans le
Dictionnaire de Zéliqzon (p. 617)
Quant à l'expression « habillier le chanve ou le ling », elle est encore usitée de nos jours et figure dans le
Dictionnaire de la langue française par Littré : « Habiller le chanvre, dit-il, c'est le passer au peigne pour séparer les brins de la chènevotte. »
Le reste du conte de Philippe de Vigneulles ne présente pas grand intérêt ni au point de vue messin, ni au point de vue philologique. Comme il est un peu licencieux, je m'abstiens d'en parler.
Paul DORVEAUX.
Avril 1928
(p. 64-65)
La Chronique de Philippe de Vigneulles.
éditée par Ch. BRUNEAU, professeur à l'Université de Nancy, publiée .sous les auspices de l'Université de Nancy. Tome 1er (de la Création du monde à l'an 1324), Metz, Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine,
1927, 1 vol. in-8° de XXX-382 pages.
C'est une figure intéressante et sympathique que celle du chroniqueur messin Philippe de Vigneulles. Né à Lorry-lès-Metz, en 1471, il mourut à la fin de 1527 ou au début de 1528. Bien que de condition modeste, son père l'envoya de bonne heure à l'école. Le désir de voir du pays décida Philippe, alors âgé de quinze ans, à s'expatrier. Après avoir passé un an à Genève, trois ans et demi à Naples, il revint à Metz, où il exerça la profession de chaussetier. Sa seconde femme - il fut marié deux fois - lui donna de nombreux enfants, dont plusieurs moururent en bas âge. Ses affaires prospérèrent et finirent par lui procurer une certaine aisance. Toutefois son commerce lui laissait des loisirs. S'il n'avait reçu qu'une instruction élémentaire, s'il ne savait pas le latin, on doit lui reconnaître autant de vivacité que de curiosité d'esprit ; ses goûts littéraires ne le portèrent pas seulement à lire des œuvres de toutes sortes, ils firent de lui un écrivain. Nous avons de Philippe des poésies, des contes assez lestes, un
Journal, que Michelant a publié en 1852, enfin une
Chronique, que Huguenin a reproduite en partie dans ses
Chroniques de la ville de Metz (1838). Malheureusement Huguenin, non content de l'amalgamer avec d'autres chroniques, a plus d'une fois mal lu et altéré les textes qu'il donnait. Il était indispensable d'offrir aux érudits et au publie lettré une édition critique de la
Chronique de Vigneulles. M. Charles Bruneau, professeur à la Faculté des lettres de Nancy, à qui cette besogne avait été confiée, s'est acquitté avec la méthode et la conscience qu'on lui connaît.
Le premier volume, qui vient de paraître, est précédé d'une introduction, où notre distingué collègue et ami raconte la vie du chroniqueur, énumère et apprécie les œuvres qu'il a laissées.
La
Chronique va de la création du monde à l'année 1525. L'auteur ne s'occupe pas seulement des événements qui concernent Metz ; ceux de l'histoire générale retiennent également son attention. On constate qu'il connaît mieux l'histoire de la France que celle de l'Allemagne, quoique Metz, sa patrie, soit une ville impériale. D'ailleurs ce qu'il dit de la France, emprunté à différents auteurs, en particulier à Robert Gaguin, ne nous apprend rien que nous ne connaissions déjà.
D'une tout autre valeur sont les passages de la
Chronique relatifs à Metz. Toutefois il importe ici de distinguer les époques. Sur l’antiquité Vigneulles accepte et présente comme historique des traditions dépourvues de vraisemblance et dont Auguste Prost a fait justice dans ses
Etudes sur l'histoire de Metz. Les Légendes. C'est à partir du 12e siècle que la
Chronique prend une importance réelle, qui va croissant à mesure que l'on se rapproche davantage du temps où vivait l'auteur.
Le tome 1er comprend deux livres, dont le premier commence à la création du monde et se termine en 1179 ou 1180, alors que Bertram ou Bertrand monte sur le siège épiscopal de Metz.
La partie du livre II reproduite dans le volume s'arrête à la guerre des quatre seigneurs (1324).
Si Vigneulles manque d'esprit critique, s'il regarde comme réels des faits légendaires, il a tout de même le souci, quand il s'agit de l'histoire de Metz, de se reporter, au moins depuis l'époque franque, aux sources, en particulier aux documents diplomatiques, qu'il analyse ou dont il reproduit même parfais le texte intégral. Sa
Chronique donne, outre la liste des évêques de Metz, celle des maîtres-échevins à partir de la seconde moitié du 12e siècle.
Vigneulles, qui n'avait pas fait d'études secondaires, n'a aucune prétention au beau style. Il écrit simplement, comme il parle ; c'est naturellement le dialecte messin qu'il emploie. Les lecteurs de la
Chronique trouveront, nous n'en doutons pas, du charme à cette forme dépourvue d'apprêt. Vigneulles ne gagnera pas moins leurs sympathies par son patriotisme, par l’amour filial qu'il porte à sa ville natale ; rien n'est touchant comme le soin qu'il met à célébrer l'antiquité, la gloire et la prospérité de Metz.
C'est donc avec grande raison que la Société d'histoire et d'archéologie de Metz a entrepris la publication de cette chronique. Nous nous félicitons qu'e]le ait confié cette tâche à l'un des maîtres de notre Faculté des lettres et qu'elle ait reçu le concours financier de l'Université de Nancy. En cette occasion, qui ne sera pas la dernière, les deux villes sœurs ont collaboré à la même œuvre, destinée à glorifier l'aînée, celle que Vigneulles appelait si justement « la noble cité de Metz ».
Robert PARISOT.
Année 1929
(p. 48-49)
DATE DE LA MORT DE PHILIPPE DE VIGNEULLES
Dans l'introduction au tome premier de
La Chronique de Philippe de Vigneulles, M. Ch. Bruneau écrit très justement que « la date de la mort de Philippe ne nous est point connue », mais que « des papiers et des comptes » conservés dans la famille de Philippe, il résulterait que notre fameux chaussetier-chroniqueur « aurait été vivant le 1er novembre 1527 et que Zabellin (sa seconde femme) aurait été appelée veuve à partir du début de l'année 1528 ». D’où M. Bruneau croit pouvoir conclure que « Philippe est mort entre le 1er novembre 1527 et le 19 mars 1528, puisque l'année commençait à Metz au jour de l'élection du maître échevin » (1).
Cette conclusion du savant éditeur de notre Chronique ressort très nettement des données qui étaient à sa disposition, mais comme ces données manquaient des précisions nécessaires, pour permettre de déterminer plus exactement la date de la mort de Philippe, il était inévitable que la conclusion, que M. Bruneau en tirait, fût trop approximative.
Car Philippe de Vigneulles n`est pas mort entre le 1er novembre 1527 et le 19 mars 1528 ; il vivait encore le 20 mars 1528, et, s'il ne nous est pas encore possible pour l’instant de donner la date exacte de sa mort, nous sommes cependant en mesure d'affirmer qu'il est mort après le 20 mars 1528, et, en tout cas, avant le 12 avril de la même année 1528. Ce n'est certes pas encore la précision parfaite et complète, mais il n'empêche que de cette façon la marge assez importante des cinq mois, pendant lesquels on supposait que Philippe avait pu mourir, est réduite à environ vingt-deux jours, et que nous savons maintenant d'une façon certaine que Philippe était mort à la date du 12 avril 1528.
Or une pareille affirmation se déduit clairement du treizième enregistrement du rouleau des bans de tréfonds de l'année l 528, ou, pour le dire encore plus exactement, du premier enregistrement des « bans prins à Paisque en la mairie d'oultre Muzelle... par mil Vc et vingt huictz ans » (1528) (2). En effet, à cette date remonte la plus ancienne, la première mention connue pour le moment d'Ysaibellin « femme feu Philippe de Vigneulle le merchant », c'est-à dire de la seconde femme de notre chroniqueur, en tant que veuve. Philippe était donc en tout cas mort à la date du 12 avril 1528, puisque c’est bien le 12 avril que tombait la fête de Pâques en cette année 1528. Et s’il est vrai que les enregistrements de bans ne se faisaient pas le jour même auquel les différents rouleaux les fixent (3), il n’en est pas moins certain que les jours ainsi indiqués doivent être considérés comme le terme « a quo », d’où ces enregistrements commençaient à faire foi.
Mais, d'autre part, il est aussi indubitable que Philippe non seulement n'était pas mort le 19 mars 1528, mais qu'il était encore bel et bien du nombre des vivants le 20 mars 1528, vu qu'à cette date remonte la dernière et plus récente mention que nous connaissions, pour l'instant, de notre chroniqueur. Alors il manifestait encore vie et pleine activité, d'après un passage que nous tirons non plus des rouleaux des bans de tréfonds, mais de l'un des très volumineux et très imposants volumes in-folio de la « Bullette » de Metz (4), ou, pour parler avec plus de clarté, du volume de cette collection qui porte la cote « Portefeuille 908 » au recto du feuillet 308. En effet, ce passage nous apprend très exactement que le 20 mars 1528, l'employé chargé de l'enregistrement avait affaire à Philippe lui-même, lorsqu'il écrit qu'il a « receu de Philippe de Vigneulle le merchant ledit jour (c'est-à-dire le 20 mars 1528) pour la pièce de prei et aultres héritages, que Dedier Sebille le jonne li ait donnez l'escript en l'airche Jehar Travalt, XII deniers. »
Il en résulte, répétons-le, que le 20 mars 1528, Philippe vivait toujours et qu’à cette date il n'y avait, semble-t-il, pas encore grande apparence qu’il devait mourir de sitôt. Car l'enregistrement dudit jour ne vient pas se placer à cet endroit comme un fait subit et sans précédent. L'article est en somme le dernier anneau d'une longue, très longue chaîne d'enregistrements que, dans la Bullette, nous avons rencontrés dès 1513, et qui dénotent une fois de plus l'activité dévorante et toujours avisée de notre chroniqueur. Toujours est-il qu'il a dû mourir assez rapidement, puisque vivant encore en pleine activité le 20 mars 1528, il était mort le 12 avril suivant, c'est-à-dire dans l'espace de moins de vingt-quatre jours.
Nos recherches ne nous permettent pas pour le moment d'aller plus loin et d’assigner une date plus exacte au terme de la vie de notre très séduisant chroniqueur. La chose n'a du reste qu'une importance relative. Mais nous ne doutons pas que tous ceux qui s'intéressent à l'œuvre de Philippe de Vigneulles nous sauront gré d'avoir quelque peu diminué l'intervalle de temps dans lequel on doit placer sa sortie de ce monde.
(1) BRUNEAU, O. C. page IX.
(2) Arch. mun, de Metz, cart. 935, pièce n° 16.
L’Abbe J. Foedit.
Année 1934
(p. 151-152)
Bibliographie
La Revue d'histoire ecclésiastique de Louvain du 1er juillet dernier donne un compte rendu succinct du tome IV de la chronique de Philippe de Vigneulles, paru au début de cette année, que nos lecteurs liront avec intérêt. Le tome V contenant des notes historiques et linguistiques ne tardera pas à être envoyé à l'imprimerie. Il constituera un instrument de travail de premier ordre, appelé à rendre de grands services aux historiens et philologues et formera le digne couronnement de cette œuvre monumentale.
* * *
Nous ne pouvons que souligner de nouveau le grand intérêt de la publication qu'achève M. Charles Bruneau : La chronique de Philippe de Vigneulles, t. III et IV (Metz, Société d'hist. et d'archéol. de la Lorraine, 1932-33. In-8, IV-406 et 559 p. et pl, hors texte). Ces tomes relatent les événements de 1473 à 1525. Nous n'avons pas à dire ici combien la langue de Vigneulles présente d'intérêt ; d'ailleurs, avec la compétence qu'on lui connaît, M. B. s'en chargera probablement lui-même, dans un prochain volume. Nous n'avons pas non plus à relever le mérite de l'écrivain, qui s'affirme dans ces pages plus personnelles et qui, à côté de son habituelle bonhomie et de sa charmante simplicité, sait atteindre à l'émotion dramatique, notamment dans le récit de sa captivité. Nous n'avons pas davantage à étudier l'homme, si sympathique cependant et toujours d'une évidente sincérité. Et d'autre part, il nous est impossible d'indiquer tout ce que l'historien peut glaner dans cette volumineuse chronique. Signalons toutefois avec l'éditeur, que « Philippe, qui est un homme intelligent.., est capable, quand il s'agit de documents administratifs ou de traités, ... de transcrire des phrases qui ne présentent aucun sens ... Philippe, dès qu'il sort, pour ainsi dire, de sa sphère, compile, et compile parfois hâtivement, brouillant les dates et écorchant les noms » (t. III, p. III). M. B. a mis à notre portée le précieux document : il reste à l'étudier à fond, à en tirer large profit, voire à en éditer avec des notes critiques les meilleures parties. A chacun d'y puiser selon ses besoins : sans parler des renseignements que la belle chronique fournit sur l'histoire générale ; c'est par des traits innombrables qu'elle permet de reconstituer toute la vie d'une cité aux confins du moyen âge et de l'époque moderne.
P. Groult.
Année 1936
(p. 5-6)
C'est avec le plus grand plaisir que nous publions ci-dessous le compte-rendu très élogieux qu'a consacré aux tomes III et IV de la CHRONIQUE DE PHILIPPE DE VIGNEULLES, publiée par M. Charles BRUNEAU, sous les auspices de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine et de l'Université de Nancy, la revue de langue anglaise :
American historical review, de New-York.
Nous ne pouvons que nous associer sans réserve aux compliments mérités que nos amis d'Outre-Atlantique adressent à l'éminent philologue et historien de la Sorbonne, dont la Lorraine regrette toujours le départ.
LA RÉDACTION.
La chronique de Philippe de Vigneulles. Editée par CHARLES BRUNEAU, professeur à l'Université de Nancy. Tomes III, IV, De l'an 1473 à l'an 1525. [L'Université de Nancy.] (Metz : Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine. 1932, 1933. Pp, iv, 402; 559).
THE character of the two volumes of Philippe's chronicle has been indicated in this
Review (XXXIV, 575 ; XXXVIII, 830). In them the author followed at first an unnamed priest, later Jean Aubrion,
a citizen of Metz. After Aubrion died in 1501, Philippe, who was then twenty-eight years old, assumed full responsibility for the narrative. While earlier parts of the chronicle may thus have been in substance contemporary with the events which they describe, Volume IV is unquestionably so. There is marked expansion of the tale between 1512 and 1523, resulting in some 400 pages on a sing1e decade. Philippe's plan, as indicated in his prologue, was to write particularly of the international wars fought in Italy. It is doubtful whether he has told us much about them that is new. Items like the reception of Francis's money by the Swiss before they turned against him hat Marignano or the censure of Julius II for causing the death of 50,000 men are of interest.
Relative to happenings at or
near Metz Philippe is most informing. Sometimes these are of general purport. We learn what princes and cities were present at Maximilian's Diet of Cologne in 1505, what ceremonies attended the coronation of Charles V, what were the proceedings against Luther a year later. The author at times assays to give documents, such as a letter of 1500 from the sultan to the king of France. He gossips about the duke of Suffolk, the "White Rose", who in 1514 came to live at Metz. The prince hunted with the townsmen, raced his best horse against a rival horse of one of them, attracted to himself the wife and jewels of another. About conflicts in which the city was engaged Philippe is naturally iietailed. When in 1492 Duke René demanded
of Metz 20,000 florins, an eloquent speech by Aubrion voiced the city's refusal to pay, and the court of the archbishop of Treves upheld the refusal. When in 1512 Maximilian requested a great "taille et ayde" from all his empire, the towsnsmen declined with spirit. The sharpest struggle was with Philippe Sluster, a German baron who assisted a rebellious citizen, was put under the ban of the Empire but bombarded the town, and could only be repulsed with the assistance of a French seigneur at a cost of 24,000 florins. All this was like the employment of
condottieri by Italian cities.
Episodes in the social and cultural life of Metz interested Philippe most. Whether it be his account of the kidnaping of his father and himself by brigands who exacted 500 florins for their release, or of the collapse of the bridge of Notre Dame at Paris with its sixty houses, or of the salt works at Salins visited as he went on pilgrimage, or of finely constructed Roman masonry uncovered in digging foundations in the city, or of the rebuilding of the parish church of his native village, for which he induced the villagers to contribute wine and money worth 50
livres, or of a servant girl burned for infanticide but breaking her bonds in frenzy because a niggardly executioner had supplied insufficient wood for the burning, or of the unsuccessful attempt of
Lutherans to preach at Metz - the narrative constitutes a revealing picture of urban life of the time. The editor explains that he has made no effort to edit the chronicle as a historian, his interest being philological. Yet Volume IV, as perhaps other parts, merits such editing. With it they would become as usable as they are already illuminating.
Bryn Mawr College.
H.L. GRAY.
Année 1929
(p. )
La table alphabétique et les concordances des « Chroniques » de Huguenin
Jean-François Huguenin, né à Metz en 1795, est mort dans notre ville en 1838, âgé à peine de 43 ans, après avoir été au collège royal un professeur universellement estimé et aimé. Durant les loisirs que lui laissait sa profession il a voulu tenter de
fusionner ensemble les diverses chroniques relatives à la cité de Metz et y a travaillé fébrilement durant les trois dernières années de sa trop courte existence.
En lisant la notice imprimée en tête de son ouvrage, il est permis semble-t-il de supposer que pressé par la maladie qui ne pardonne pas, Jean-François Huguenin a hâté son œuvre de compilation et qu'il eût fait beaucoup mieux s'il en avait eu le temps.
Son travail imprimé en 1838, chez Lamort à Metz, peu après son décès, nous a été livré tel qu'il l'avait laissé. Il a été critiqué à bien des points de vue et ces critiques sont exactes : transcriptions fantaisistes des textes, amalgame sans indication de source et, enfin, absence de table alphabétique. Qu'il nous soit permis d'espérer, soit dit en passant, qu'un jour viendra où les œuvres de nos anciens chroniqueurs messins pourront être toutes publiées séparément dans leur texte intégral accompagné de toutes les explications nécessaires. Un premier pas a déjà été fait dans cette voie.
M. Charles Bruneau, l'éminent professeur de langues romanes à la Faculté des Lettres de Nancy nous a déjà fourni les deux premiers tomes des chroniques de Philippe de Vigneulles, le 3e tome est en préparation et sera suivi de deux autres encore.
Ce magnifique travail, et ceux qui lui feront suite, contribueront à faire toute la lumière sur le passé de notre cité.
Mais, puisque nous parlons ici des chroniques de Huguenin, n'oublions pas que cet auteur travaillait il y a près d'un siècle, à une époque où l'on ignorait encore les méthodes scientifiques de nos jours.
Ce travail, si imparfait soit-il, est pour les chercheurs de l'Histoire, une des rares sources actuellement à leur portée. Tous s'y référent et indiquent : « chroniques de Huguenin... » faute de mieux.
Notre grand historien messin Auguste Prost s'est efforcé de combler une grave lacune. Il a cherché auxquels de nos chroniqueurs anciens Huguenin a emprunté ses textes : il a noté les concordances sur son exemplaire des « chroniqueurs » et le baron de Salis a reporté ces indications sur le sien propre qu'il a légué à la bibliothèque de Metz.
Nous avons. il y a quelques mois, dressé un tableau de ces concordances et nous l'avons fait tirer à un certain nombre d'exemplaires offerts gratuitement aux possesseurs des chroniques de Huguenin qui ont bien voulu nous en faire la demande.
Mais ce n'était là qu'un premier éclaircissement apporté à l'œuvre de Huguenin. Pour trouver une référence quelconque, ou bien savoir à quel endroit il est question de tel personnage, de tel pays ou de tel événement, les chercheurs se trouvaient dans l'obligation de parcourir les 890 pages in-8°, au texte très serré, de l'ouvrage de Huguenin.
C'était à désespérer les plus tenaces, les plus patients parmi nos bons ouvriers d'histoire locale.
M. l'abbé Foedit, qui s'est spécialisé dans l'étude de la cathédrale de Metz dont il est le gardien, a fait un premier travail pour dresser la table alphabétique des matières de cet important ouvrage. Il a bien voulu nous confier les nombreuses feuilles, fruits d'un labeur ingrat et fort long où sa documentation était assemblée. Mlle Marthe Chotin attachée à la bibliothèque de Metz a travaillé pendant plus de deux ans à la mise au point de ces tables alphabétiques.
Cette tâche, poursuivie avec méthode et clarté, est aujourd'hui terminée.
La table alphabétique des chroniques de Huguenin, ainsi établie, représente plus de 375 pages format écolier soigneusement dactylographiées.
Notons, enfin, que chaque référence de la table indique non seulement à quelle page et à quelle colonne se trouve le nom cherché, mais encore signale auquel de nos chroniqueurs anciens a été emprunté le texte.
Ainsi donc, désormais, grâce à ce travail, les chercheurs d'Histoire pourront, en un temps fort court, savoir ce que ces chroniques contiennent de renseignements sur les sujets les plus divers : la pluie et le beau temps, les grands et les petits faits de l'histoire, les personnages, les villages de la région, etc.
La lecture de ces tables inspirera, nous en sommes convaincus, de nombreuses études sur le glorieux passé de notre cité.
C'est là la seule récompense qu'attendent de ce travail ceux qui l'ont conçu comme ceux qui ont su le mener si parfaitement à bonne fin.
Roger Clément.
Conservateur des Musées et de la Bibliothèque.
- La table alphabétique des chroniques de Huguenin est désormais à la libre disposition du public à la Bibliothèque de Metz.