Nicolas BOUCHERÉ (1846-1912) Le Père Boucheré, jeune missionnaire, et vers la fin de sa vie. Le bandeau du R.P. Boucheré
Nicolas-Marie Boucheré est né à Woippy le 5 février 1846. Il est le fils de Nicolas Boucheré, vigneron propriétaire, et de Catherine Guilpart. À peine âgé de 7 ans, il perd son père, et c'est à sa mère qu'incombe la charge de l'élever. Le curé de Woippy, M. Gauthiez, remarquant son intelligence et sa piété et soupçonnant une vocation, lui propose d’apprendre le latin, premier pas vers le séminaire. À 13 ans, il entre au Petit Séminaire de Montigny, où il se fait remarquer par sa ténacité et son ardeur au travail. Puis il intègre le Grand Séminaire de Metz, où sa piété ne fait que s'affermir. Souhaitant se vouer à la conversion des peuples lointains, il rejoint le Séminaire des Missions-Étrangères le 3 septembre 1866. Au milieu de confrères animés du même esprit que lui, il y passe trois années qui, suivant ses propres paroles, « furent une fête ininterrompue ». Le soir de son ordination sacerdotale, le 22 mai 1869, il apprend son prochain départ pour la province chinoise du Su-Tchuen méridional. Embarqué à Marseille, le 3 août 1869, il débarque à Soui-Fou le 8 décembre suivant. Après quelques jours de repos, il est envoyé dans une station assez éloignée pour y apprendre la langue sous la direction de M. Gourdin. Malheureusement ce missionnaire, chargé seul d'un immense district, ne peut que difficilement le guider dans l'étude de la langue et l'initier aux coutumes chinoises. Malgré ces difficultés, au prix d'un travail opiniâtre, le Père Boucheré est mis, quelques mois seulement après son arrivée, à la tête du vaste district de Tse-Lieou-Tsin. Il reste titulaire de ce poste, malgré les nombreux changements opérés dans l'administration du district, et y déploie un zèle ardent. Tse-Lieou-Tsin, où le nombre de chrétiens ne s'élève guère à plus de 70 personnes, n'a ni résidence, ni oratoire. Pour ne pas être obligé de loger chez ses chrétiens, il décide de commencer rapidement la construction des bâtiments nécessaires. Les travaux ne sont achevés qu'au bout de six ans. Le nombre de ses chrétiens ayant notablement augmenté, il fait aussi construire des écoles. Il ne se contente pas, d'ailleurs, de son ministère au milieu de ses fidèles ; son zèle le pousse à travailler de tout son pouvoir à l'évangélisation. A cette fin, il entre en relation avec les notables du pays, qui apprennent le chemin de l'église. Les visites sont fréquentes et cordiales, et c’est pour eux une occasion de rectifier bien des idées fausses. Ces notables apprécient le missionnaire et comprennent enfin qu'il fallait compter avec lui. Le Père Boucheré espérait que plusieurs d'entre eux se feraient chrétiens et que leur exemple entraînerait beaucoup de conversions. Si ses espérances ne se réalisent pas sur ce point, il a la joie de voir beaucoup de gens de condition obscure embrasser la foi. Pour subvenir à toutes les nécessités, notre missionnaire bâtit, près de sa résidence, un hospice pouvant loger une centaine de personnes ; il leur trouve des catéchistes, et lui-même, tous les dimanches à l'aube, va leur dire la messe. Malheureusement, malgré toute sa bonne volonté, il ne peut abriter tous les mendiants. Des chrétiens, formés par lui, parcourent sans cesse les rues, prêchant aux moribonds, les baptisant, quand ils les trouvaient suffisamment bien disposés. Sa charité ne s'arrête pas là. Pour les nombreux ouvriers sans famille, que la maladie livrait à la misère, il bâtit un modeste hôpital à côté de son oratoire, forma son personnel d'infirmiers, et lui-même est toujours le principal médecin. Cette œuvre, fort appréciée des païens, lui permet d'augmenter le nombre des conversions ; bien peu mouraient sans recevoir le baptême, et si tous ceux qui guérissaient n'embrassaient pas la religion chrétienne, ils gardaient au moins un reconnaissant souvenir de leur bienfaiteur. Le Père Boucheré, si désintéressé pour lui-même, sait être éloquent quand il plaide la cause de ses pauvres. Il ne craint pas de s'adresser, et non sans succès, à des sociétés païennes de bienfaisance. Il intéresse aussi à ses projets ses amis de France, ses confrères, sans parler de la caisse de la Mission ! Personne n'avait le courage de refuser l'obole demandée par celui qui se privait du nécessaire, même dans la nourriture, et allait toujours à pied, par économie, afin de subvenir aux besoins de ses pauvres. Ses courses sont restées légendaires, et ce n'est qu'à 50 ans qu'il renoncera, non sans regret, à ce qu'il appelait le bon temps, celui de sa jeunesse, où il faisait fréquemment des randonnées de 60 et 70 kilomètres, sans prendre d'autre nourriture qu'un bol de riz. Plus d'une fois, on dut modérer ses désirs de mortification, en lui représentant combien il était nécessaire aux fidèles de sa chrétienté. Il était attiré par l’exemple des saints, voulant imiter dans sa vie apostolique leur comportement et leurs pénitences. Son amour pour Jésus, sa confiance en Marie n'avaient pas de mesure, et c'est près du tabernacle, dans ses longues visites au Saint-Sacrement, qu'il allait retremper son âme délicate et sensible, trop souvent blessée par l'ingratitude de ceux pour lesquels il s'était le plus dépensé. C'est là qu'il puise la patience et la prudence dont il a besoin, surtout pendant la terrible révolte de 1900. Cette année-là, en effet, les Boxers livrent aux flammes sa résidence et son oratoire, et lui-même a beaucoup de peine à échapper à une bande de forcenés qui croyaient déjà tenir leur proie. Réfugié au prétoire, il entend avec inquiétude les hurlements de la foule se répandant dans tous les quartiers, pillant et saccageant les maisons des chrétiens, dont il n'avait aucune nouvelle. Trois jours après l'incendie, le prétoire manque d’être forcé par les révoltés, qui y soupçonnent sa présence. Le mandarin, effrayé, craignant de ne pouvoir plus longtemps protéger efficacement son hôte, le fait conduire, secrètement et sous bonne escorte, à la sous-préfecture, où il reste une quinzaine de jours. La tourmente passée, à force d'énergie et de démarches, il obtient une indemnité convenable pour lui et ses chrétiens, et put rebâtir résidence et oratoire. Tous ces tracas usent le peu de forces qui lui restent, et son état de sa santé décline rapidement. En 1906, il commence à perdre la mémoire, et craint d'en arriver à ne plus pouvoir dire la messe. Quelques mois plus tard, il est atteint d’une attaque d'apoplexie relativement bénigne, mais qui inspire à ses proches assez d'inquiétude pour juger nécessaire d'envoyer, à son insu, chercher le prêtre le plus proche. Quand celui-ci arrive, le Père Boucheré se trouve déjà beaucoup mieux, ne se plaignant que de sa vue, qui baissait de plus en plus. Le médecin voit tout de suite la gravité de son état, et lui ordonne le repos ; mais le Père voulait mourir debout, travaillant au service de ses ouailles. « Je ne suis pas malade, dit-il, il n'y a que mes yeux qui m'inquiètent. » En 1910, le même docteur lui déclare qu'il ne pouvait être guéri que par des spécialistes. Un voyage en France s'imposait, s'il voulait pouvoir continuer encore quelque temps son ministère, et surtout célébrer la messe. Le désir de travailler encore au bien des âmes décide notre missionnaire au rude sacrifice de la séparation. Hélas ! il était le seul à espérer une guérison. Aucun oculiste n'ose tenter une opération n'offrant aucune chance de succès. Deux pèlerinages à Lourdes n'amènent pas une amélioration sensible. Le Père Boucheré espère toujours retourner au Su-Tchuen. Ses dernières lettres annoncent que sa résolution de se remettre en route au mois de janvier est définitivement prise. Ne devrait-il plus pouvoir travailler, il aurait au moins la consolation de mourir sur le terrain qu'il avait arrosé de ses sueurs pendant plus de quarante ans. Le 31 décembre, une nouvelle attaque d'apoplexie lui paralyse le bras droit. Quand le curé de Woippy, toujours si dévoué, lui propose les derniers sacrements, il lui demande : « Suis-je donc si malade, Monsieur le Curé ? Non, mon état n'est pas encore désespéré. » Cependant, il n'insiste pas davantage et reçoit les secours de la religion avec le sentiment d'une très vive piété et d'une parfaite résignation. Quelques jours après, il perdait l'usage de la parole, et meurt le 15 janvier 1912, à Woippy. Ses funérailles ont lieu le 17. Mgr Kleiner, ancien évêque de Mysore, d'autres Confrères de la Société, d'anciens amis du Séminaire, les prêtres des environs, qui avaient pu apprécier la charité et la piété du défunt, en tout plus de 30 ecclésiastiques, viennent faire un cortège au vaillant missionnaire. Par son assistance sympathique et recueillie, la population tout entière de Woippy témoigne que la perte de ce bon prêtre était un deuil général pour la paroisse. Par les soins du curé de Woippy, le vénéré défunt repose dans la tombe même de son ancien curé, l'abbé Gauthiez, qui lui avait fait faire sa première communion et avait dirigé ses pas vers la prêtrise. Source : Archives des Missions Etrangères de Paris (Site Internet : www.archivesmep.mepasis.org). Voir aussi les Chroniques du Graoully n° 16 (2006), revue annuellle de la Société d'Histoire de Woippy.
Journal Le Lorrain du 19 janvier 1912. Woippy. (Funérailles d'un missionnaire). On nous écrit le 18 janvier : « Hier, la paroisse de Woippy faisait des funérailles magnifiques à l'un de ses enfants, qui l'avait, lui-même, grandement honorée. Le R.P. Nicolas-Marie Boucheré, après de solides études au Petit et au Grand Séminaire de Metz, était entré dans la Congrégation des Missions étrangères à Paris. Envoyé au Su-Tchuen méridional, il avait évangélisé les Chinois pendant 41 ans, quand, il y a 18 mois, épuisé par les fatigues de ce long apostolat, il était venu demander au pays natal un peu de repos. Le bon Dieu vient de lui donner le repos éternel et la récompense que méritait bien toute une vie consacrée à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Mgr Kleiner, évêque missionnaire et quelques membres de la même Congrégation des Missions, avaient tenu à honorer de leur présence les funérailles de leur si estimé confrère, M. le chanoine Scherrier et M. le curé de Sarreinsming remplaçaient leur frère que le R.P. Boucheré avait en Chine, pour compagnon et voisin de mission. Des anciens condisciples de séminaire, qui se font rares, et les prêtres des environs qui avaient pu apprécier la charité et la piété du défunt, étaient venus lui faire un cortège d'honneur. Et par son assistance sympathique et recueillie, la population de Woippy tout entière, a témoigné que la perte de ce si bon prêtre était un deuil général pour la paroisse. Avant l'absoute, M. le chanoine Pierret, un autre enfant de Woippy, a retracé, en termes émus, cette vie de séminariste, docile à sa vocation, et du missionnaire dévoué, dont le ministère a été si fructueux et si apprécié de ses supérieurs, vie couronnée par une mort bien douce et bien édifiante. Le R.P. Boucheré repose au cimetière de Woippy, dans la même tombe que son ancien curé, l'abbé Gautiez, un saint prêtre aussi, qui l'avait baptisé et qui l'avait lui-même dirigé vers le sacerdoce. Qu'ils reposent en paix ! » |